lundi 25 décembre 2017

En corps et en corps

Je fais corps avec ma langue. S'il m'arrive, rarement je l'espère, d'être une langue de vipère (tout de même pas une langue de pute), je ne pense pas avoir de cheveu sur la langue. Avant de prendre langue avec quelqu'un, je la tourne (au moins) sept fois dans ma bouche, pour éviter d'arriver à mon rendez-vous la bouche en cœur, ou, pire encore, en cul de poule. Je m'efforce en tout cas d'éviter de faire la fine bouche. J'espère, chère lectrice, cher lecteur, qu'à la lecture de ce blog vous n'aurez pas de dent contre moi. N'étant pas armé jusqu'aux dents, je peux simplement vous promettre que je prêterai l'oreille à vos remarques si elles ne sont pas trop incisives. J'essaierai éventuellement de vous tenir tête. Mais je compte plutôt sur le bouche à oreille pour promouvoir mes écrits.

Si rien n'est gratuit en ce bas monde, vous pouvez tout de même lire ce blog à l'œil. Heureusement, internet ne coûte pas les yeux de la tête, ni la peau des fesses, ni un bras. N'allez surtout pas croire que ces lignes, que je n'écris pas à la sueur de mon front, me vaudront un jour une prestigieuse reconnaissance : vous mettriez le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! Il faut tout faire pour éviter d'avoir les yeux plus gros que le ventre. Sans huile de coude, on ne produit rien de grand. J'espère simplement que mes détracteurs ne tomberont pas sur moi à bras raccourcis : je risquerai de les accueillir avec un bras (ou un doigt) d'honneur !

J'accepterai toujours qu'on me donne un coup de main ou qu'on me mette le pied à l'étrier. Je suis heureux de rencontrer des personnes qui ont le cœur sur la main, qui n'hésitent pas à mettre du cœur à l'ouvrage, et il ne me viendrait jamais à l'idée de refuser une main tendue. Quant à ceux qui ont un poil dans la main, tôt ou tard ils finissent par comprendre qu'il faut souvent payer de sa personne pour parvenir à un résultat. Mettre le doigt sur l'essentiel, voilà ce qui compte en n'oubliant pas de faire preuve de doigté. Un doigt de sagesse n'est jamais superflu. Et je ne montrerais pas du doigt celui qui chercherait à tromper sa solitude avec le concours de la veuve poignet (pardon, chère lectrice, cher lecteur, si je vous ai fait monter le rouge aux joues).

Devinette : je peux avoir de la cuisse, de la jambe, être long en bouche, avoir du corps – qui suis-je ? Le vin bien sûr, qu'on consommera avec modération en évitant de lever le coude. Faute de quoi on risque de se retrouver mou du genou et donc dans l'incapacité d'honorer dignement une personne à la cuisse légère. Mais ne boudons pas notre plaisir et sachons reconnaître qu'une bonne partie de jambes en l'air constitue un excellent passe-temps : c'est toujours le pied ! En revanche, multiplier les ronds de jambe pour obtenir une quelconque faveur n'est guère souhaitable. Cela revient même souvent à se tirer une balle dans le pied.

Il y aurait encore tant de mots (et non de maux) du corps à mentionner pour étoffer ce billet - je les ai sur le bout de la langue ! Mais je ne voudrais pas vous lasser et surtout je vous demande de ne pas tout prendre au pied de la lettre. Quoi qu'il en soit, si vous êtes tombés sur ce blog, c'est que vous avez eu le nez creux.

mercredi 20 décembre 2017

Deux neurones qui se battent en duel

On attribue à Albert Einstein la citation suivante à propos de sa vision de l'infini : "Deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue". Citation authentique ou apocryphe – peu importe. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la langue familière regorge d'expressions pour qualifier une personne dont les capacités intellectuelles laissent à désirer ou, comme j'ai pu le lire dans un roman, qui "est arrivée en retard le jour de la distribution de l'intelligence".

Parmi les expressions plutôt rares, citons le pittoresque "il/elle n'a pas sucé la Tour Eiffel pour la rendre pointue". On retrouve souvent cette idée de "pointu", "futé"/"affûté", "aiguisé", "tranchant" pour qualifier l'intelligence. Quelqu'un d'obtus ne brille pas par une intelligence aiguë. Il n'est pas très flatteur de se voir accuser de ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir (expression qui existe d'ailleurs à l'identique en anglais) ; il est incontestablement préférable d'être une fine lame. Et pour résoudre un problème, on cherchera toujours à réunir les experts les plus pointus capables de percer avec acuité les mystères qu'on leur soumet. Un esprit émoussé ne fera jamais l'affaire.

Le secret de la bonne cuisine réside souvent dans la qualité de la cuisson : trop cuit ou pas assez, le plat n'est pas bon. Si j'accuse mon prochain d'être mal cuit, c'est que j'aurais des doutes sérieux sur ses capacités intellectuelles. On entendra aussi parfois untel n'est pas fini de cuire, ou bien il lui manque un quart d'heure de cuisson, autrement dit il lui a manqué un fagot (pour alimenter le feu servant à la cuisson). La situation n'est guère plus reluisante pour quelqu'un qui a été démoulé trop chaud.

Que notre langue est riche pour qualifier ceux qui n'ont pas inventé l'eau chaude, à moins que ce ne soit l'eau tiède, la poudre, le fil à couper le beurre : parfois ils n'ont que deux neurones qui se battent en duel ou, pire encore, les fils qui se touchent (avec un sérieux risque de court-circuit). Tous ces malheureux ont-ils été bercés trop près du mur, voire ont-ils été finis au pipi (ou à la pisse dans un registre plus vulgaire) ? En tout cas une chose est sûre : ils n'ont pas volé le Saint-Esprit ! On est bien mal parti dans l'existence quand on est bas de plafond. Si, en plus, on n'a que deux de tension, il bien peu probable qu'on réussisse de grandes choses dans la vie.

Tout cela va-t-il changer avec l'avènement de l'intelligence artificielle ? Cette dernière aura-t-elle un jour raison de la bêtise naturelle ? Qu'il me soit permis d'en douter !

samedi 16 décembre 2017

Petite leçon de géographie

"Je vais monter à Paris pour le week-end et je redescendrai lundi" : voilà une formule qu'on peut entendre couramment dans la bouche d'un Grenoblois, d'un Lillois ou d'un Brestois – comme si la capitale occupait une situation géographique plus élevée que les villes de province. En vérité, la langue traduit ici simplement la perception d'une domination politique, institutionnelle, économique, culturelle etc. de Paris par rapport au reste de l'hexagone (rappelons à ce propos qu'un hexagone  est une figure géométrique à six côtés et que l'expression "aux quatre coins de l'hexagone" parfois entendue dans la bouche de certains journalistes est un tantinet ridicule).

Pourtant, la province n'a rien à envier à Paris : même si la structure politique de la France concentre beaucoup de pouvoirs dans la capitale, on vit au moins aussi bien, sinon mieux à Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Nantes etc. Pourtant, au fil du temps, ce terme de province a pris curieusement  une connotation négative. Une mentalité provinciale, un certain provincialisme dénotent un manque de sophistication dont ne saurait souffrir le Parisien. (Il n'est cependant pas certain que l'accusation de parisianisme soit préférable à celle de provincialisme). Et c'est ainsi que, dans le discours public, la province céda la place à la Région. Quand un ministre se déplace en Région il va à la rencontre d'une autre France, qui, si elle est différente de l'Île-de-France, n'est en rien inférieure à cette dernière.

Et soudain – patatras – exit la Région, terme que l'on réserve désormais principalement à l'entité administrative qu'elle constitue. Le choix du nom des nouvelles Régions issue de la récente réforme territoriale a donné lieu à de longs et parfois vifs débats. Au moment où nous écrivons ces lignes, la Région PACA (Provence Alpes Côte d'Azur) veut se renommer Région Sud : il est vrai qu'il n'est guère plaisant d'habiter dans un acronyme !

Dorénavant, lorsqu'on veut évoquer ce qui se passe ailleurs qu'à Paris, on parle des territoires : "il faut renforcer la couverture des territoires en internet très haut débit", peut-on entendre ; de toute évidence, cette phrase a un autre poids que "il faut accélérer le déploiement de la fibre en province" ! Du moins aux yeux des technocrates dont la langue a souvent tendance à dessécher la vivacité, la créativité, l'inventivité de notre belle langue française. On ne se désolera pas cependant de la disparition de l'expression la France profonde" ou, pire encore, la France d'en-bas (Jean-Pierre Raffarin) dont on mesure le caractère profondément valorisant pour les intéressés !

Alphonse Allais  disait : "on devrait construire les villes à la campagne car l'air y est plus pur" ; s'il était aujourd'hui Ministre de la cohésion des Territoires, il déclarerait certainement : "nous devrions porter des projets de développement urbain dans la ruralité pour bénéficier d'une moindre charge en polluants atmosphériques". Eh oui : la campagne, qui fleure bon le foin coupé et le fumier, n'a plus la cote et a cédé la place à la ruralité où des agriculteurs, voire des agronomes (certainement pas des paysans), abondamment diplômés, ne se contentent pas d'être un maillon indispensable de la chaîne alimentaire, mais apportent aussi une contribution décisive à l'aménagement du territoire (au singulier cette fois-ci).

Une chose est sûre : les habitants des banlieues défavorisées se sentent certainement beaucoup mieux depuis qu'ils habitent dans les quartiers.

vendredi 8 décembre 2017

Hommage à Jean d'Ormesson : "Le français, une langue animale"

Jean d’Ormesson s’est certainement beaucoup amusé, en écrivant ce billet d’humour :

«Myope comme une taupe», «rusé comme un renard» «serrés comme des sardines»… les termes empruntés au monde animal ne se retrouvent pas seulement dans les fables de La Fontaine, ils sont partout.

La preuve: que vous soyez fier comme un coq, fort comme un bœuf, têtu comme un âne, malin comme un singe ou simplement un chaud lapin, vous êtes tous, un jour ou l’autre, devenu chèvre pour une caille aux yeux de biche.

Vous arrivez à  votre premier rendez-vous fier comme un paon et frais comme un gardon et là , … pas un chat!

Vous faites le pied de grue, vous demandant si cette bécasse vous a réellement posé un lapin.

Il y a anguille sous roche et pourtant le bouc émissaire qui vous a obtenu ce rancard, la tête de linotte avec qui vous êtes copain comme cochon, vous l’a certifié: cette poule a du chien, une vraie panthère!

C’est sûr, vous serez un crapaud mort d’amour.

Mais tout de même, elle vous traite comme un chien.

Vous êtes prêt à  gueuler comme un putois quand finalement la fine mouche arrive.

Bon, vous vous dites que dix minutes de retard, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.

Sauf que la fameuse souris, malgré son cou de cygne et sa crinière de lion est en fait aussi plate qu’une limande, myope comme une taupe, elle souffle comme un phoque et rit comme une baleine.

Une vraie peau de vache, quoi!

Et vous, vous êtes fait comme un rat.

Vous roulez des yeux de merlan frit, vous êtes rouge comme une écrevisse, mais vous restez muet comme une carpe.

Elle essaie bien de vous tirer les vers du nez, mais vous sautez du coq à  l’âne et finissez par noyer le poisson. Vous avez le cafard, l’envie vous prend de pleurer comme un veau (ou de verser des larmes de crocodile, c’est selon).

Vous finissez par prendre le taureau par les cornes et vous inventer une fièvre de cheval qui vous permet de filer comme un lièvre.

C’est pas que vous êtes une poule mouillée, vous ne voulez pas être le dindon de la farce.

Vous avez beau être doux comme un agneau sous vos airs d’ours mal léché, faut pas vous prendre pour un pigeon car vous pourriez devenir le loup dans la bergerie.

Et puis, ç’aurait servi à  quoi de se regarder comme des chiens de faïence.

Après tout, revenons à  nos moutons: vous avez maintenant une faim de loup, l’envie de dormir comme un loir et surtout vous avez d’autres chats à  fouetter.


Jean d'Ormesson

samedi 2 décembre 2017

Une bonne potée de légumes

En France, quand on ne mange pas, on parle de la nourriture. À telle enseigne, que les expressions culinaires pullulent dans la langue française. Celles qui nous intéressent aujourd'hui nous arrivent tout droit du potager.

Quand des entreprises ou des candidats à une élection se livrent à une compétition désordonnée, où tous les moyens sont bons pour arriver en tête, on dit souvent qu'ils se livrent à une course à l'échalote. Une échalote serait une bien humble récompense pour les compétiteurs ; il ne s'agit donc pas du prix à remporter. A l'origine, dans une course à l'échalote, les coureurs essaient de retenir leurs concurrents par le fond du pantalon, ou, si l'on veut, par la peau des fesses, ce qui n'est pas très réglementaire. Or, en argot, l'oignon désigne l'arrière-train d'une personne. On peut imaginer que, par plaisanterie, on ait remplacé l'oignon par l'échalote, une course à l'échalote devenant ainsi une compétition où l'on cherche avant tout à mettre les bâtons dans les roues de ses adversaires.

Transition toute trouvée : après l'échalote, les oignons dont on est parfois invité à s'occuper.  Occupe-toi de tes oignons ou bien c'est pas mes oignons. Comme nous venons de le voir, l'oignon désigne en argot le postérieur d'un individu : si l'on dit à quelqu'un "occupe-toi de tes oignons", on pourrait tout aussi bien lui dire "occupe-toi de tes fesses", ce qui, vous le reconnaîtrez, est tout de même beaucoup moins élégant. Mais, dans leur Dictionnaire du français non conventionnel, Jacques Cellard et Alain Rey proposent une autre explication : dans le centre de la France, les femmes – c'était une marque d'indépendance – pouvaient cultiver un coin de jardin pour y faire pousser des oignons qu'elles allaient ensuite vendre au marché afin de gagner un peu d'argent. Lorsqu'il leur arrivait de se mêler des affaires des hommes, ces derniers les renvoyaient à leur potager en leur disant "occupe-toi de tes oignons" ou bien "c'est pas tes oignons" !

Les carottes, on peut les aimer crues ou cuites. Mais quand les carottes sont cuites, c'est que tout est perdu et qu'il n'y a vraiment plus d'espoir. Au XIXème siècle on disait que quelqu'un avait ses carottes cuites lorsque la mort était proche. Cela vient peut-être du fait que les carottes étaient l'aliment du pauvre, évoquaient le dénuement et, par extension, la mort. Autre hypothèse : les carottes cuites accompagnaient souvent un plat de viande, autrement dit un morceau d'animal mort.

Quand les carottes sont cuites, c'est généralement aussi la fin des haricots. Une fois de plus, deux hypothèses pour l'origine de cette expression : quand, dans le cadre familial, on voulait jouer à des jeux d'argent on remplaçait l'argent par des haricots. Pour le joueur qui avait perdu tout son pécule, c'était la fin des haricots. Ou bien, dans la mesure où les haricots – qui désignaient aussi les fèves, les pois etc. - étaient un aliment assez bas de gamme et bon marché, lorsque les pauvres n'avaient même plus de quoi en acheter, c'était réellement la fin des haricots.

À qui n'est-il jamais arrivé, en voulant entreprendre quelque chose, de faire chou blanc ? Cette expression nous vient peut-être du Berry où coup se prononce choup en dialecte berrichon (comme chacun sait, "une poule cha pond et un chapon, cha pond pas"). Et au jeu de quilles un coup blanc – qui se prononce chou blanc – était un coup nul qui ne rapportait aucun point. La situation n'est pas plus glorieuse lorsqu'on se retrouve dans les choux : la, c'est la paronymie – c.-à-d. la proximité à l'oreille – entre les choux et échouer qui est à l'origine de cette expression. A l'inverse, il est beaucoup plus plaisant de faire ses choux gras de quelque chose, c'est-à-dire d'en retirer profit, de s'en régaler. En ajoutant de la matière grasse au chou on rend ce mets beaucoup plus attrayant. Petite curiosité linguistique : en allemand, l'expression das macht den Kohl nicht fett (mot à mot "ce n'est pas cela qui rend le chou gras"), signifie qu'une action ne produit pas d'effet, n'améliore pas la situation.

On ne se plaindra jamais de pouvoir mettre un peu de beurre dans les épinards, pour, comme on dit, améliorer l'ordinaire. Mais si vous pensez que les épinards sont riches en fer, vous vous trompez comme un biochimiste allemand qui fit une erreur de virgule en écrivant, en 1870, que 100 grammes d'épinards contenaient 27 mg de fer, alors qu'ils n'en contiennent que 2,7 mg. Raison de plus pour les enrichir en beurre !

mardi 28 novembre 2017

La méconnaissance du fait linguistique dans les organisations


Le présent billet ne va pas, pour une fois, se pencher sur sur les expressions idiomatiques et autres particularités de la langue française, mais propose quelques réflexions sur la place accordée à la langue et aux langues dans notre société, et plus spécifiquement dans les grandes entreprises.

Dans le métro de Madrid, des affichettes apposées sur les portes invitent le voyageur à la prudence au moyen du message suivant : "DESPUES DEL SILBATO NO ENTRAR NI SALIR" ; la même formule est traduite en français de la manière suivante : "APRES LE COUP DE SIFFLET NE PAS ENTRER NI SORTIR". Le voyageur francophone comprend parfaitement l'avertissement ; et pourtant on ne trouverait jamais une telle formulation – traduction littérale de l'espagnol – dans un métro français. En français, on "monte" dans un métro ou dans un train et on en "descend" ; par ailleurs même si ce que l'on entend ressemble à un "coup de sifflet", en français on parlera généralement de "signal sonore". Il aurait donc fallu lire "AU SIGNAL SONORE NE PAS MONTER NI DESCENDRE".
Cet exemple traduit ce que nous appelons la "méconnaissance du fait linguistique", autrement dit une ignorance de ce qu'est une langue et de ce qu'elle n'est pas. L'objet principal d'une langue est de communiquer une pensée, une idée à un ou plusieurs interlocuteurs. Cela suppose naturellement que ces derniers comprennent la langue en question. Lorsque ce n'est pas le cas, il faut traduire le message. Or, l'exemple du métro madrilène, qu'on pourrait multiplier à l'infini, nous montre que l'opération traduisante se trompe très souvent d'objet. Quand on écrit "APRES LE COUP DE SIFFLET NE PAS ENTRER NI SORTIR", on procède non pas à une traduction, mais à un transcodage, autrement dit on n'opère non pas sur le message, sur  l'idée d'origine, mais sur la production linguistique conçue comme un code composé de mots, de phrases etc.

Cette conception erronée de la traduction est sans doute aussi à la base de l'échec relatif de tous les systèmes de traduction automatiques. Ces derniers, même s'ils s'appuient sur des bases de données de plus en plus grandes, en reviennent toujours peu ou prou à des transcodages, autrement dit opèrent sur la langue et non sur le discours. La traduction allemande proposée par les innombrables moteurs de traduction sur internet d'une formule aussi banale que "il n'y pas un chat ici", transforme systématiquement le "chat" en "Katze", alors l'équivalent allemand se dit "Hier ist kein Schwein" (le cochon se substituant au chat).

Cette confusion entre traduction et transcodage est à l'origine des innombrables traductions fantaisistes qui inondent notre quotidien, comme par exemple, sur une affiche dans un restaurant en libre-service "Meaning of the queue" pour "Sens de la file"… Toutes ces bévues seraient évitables si l'on confiait les traductions à des professionnels plutôt qu'au neveu de la belle-sœur qui apprend l'anglais au lycée. La cause de ces choix est double : d'une part cela participe d'une considération économique sachant que, comme toute prestation de service, une traduction de qualité a un coût ; d'autre part, la multiplication des modules de traduction gratuits sur internet – avec les piètres résultats qu'on connaît – accrédite l'idée selon laquelle la traduction est un exercice purement mécanique dont l'automatisation a réduit le coût jusqu'à la gratuité. Et l'on oublie allègrement que ce qui ne coûte rien est généralement sans valeur.
Mais cette méconnaissance du fait linguistique connaît aussi d'autres manifestations. Nous évoquerons ici l'omniprésence de l'anglais, ou plus exactement du "globish" dans la communication internationale. Si l'on ne peut naturellement que se réjouir de disposer avec l'anglais d'une nouvelle lingua franca permettant à l'humanité tout entière de communiquer, le recours systématique à l'anglais, ou plutôt à l'ersatz d'anglais qu'est le globish, loin d'améliorer la communication l'appauvrit dans des proportions considérables. Nous parlons ici de l'usage de l'"anglais" dans le monde des organisations, en particulier des entreprises. Les entreprises multinationales ont fait de l'anglais leur langue de communication au quotidien. Si cela se justifie pour leur communication interne – on ne va pas faire traduire le moindre mémo ni interpréter toutes les réunions de service – les enjeux sont d'une toute autre nature lorsqu'une entreprise s'adresse au monde extérieur ou lorsqu'elle négocie avec ses représentants du personnel dans le cadre du dialogue social.

Là encore, c'est la méconnaissance de la différence entre une langue maternelle et une langue étrangère qui est à l'origine de bien des déboires dans la communication d'entreprise. Rappelons, en citant Danica Seleskovitch, fondatrice de la traductologie moderne, que "dans sa langue maternelle on plie sa langue à sa pensée, dans une langue étrangère on plie sa pensée à la langue" ; autrement dit, dans sa langue maternelle on dit ce qu'on veut, alors que dans une langue étrangère, aussi bien qu'on la maîtrise, on ne dit jamais que ce qu'on peut. En privilégiant l'expression en "anglais", par exemple dans une conférence de presse, le dirigeant non anglophone d'une grande entreprise se tire une balle dans le pied en se privant de l'excellent moyen d'expression dont il dispose avec sa langue maternelle. Au motif que l'expression en "anglais" permet d'être compris du plus grand nombre (mais pas non plus de tous car il reste de nombreux non-anglophones dans le monde), l'orateur se coupe les ailes et délivre un message appauvri, aseptisé, dépourvu de tous les éléments propres à une langue maternelle qui rendent un message convaincant, voire charismatique. L'argument économique, bien sûr, n'est jamais loin puisque les services d'interprétation et de traduction ne sont considérés que comme un coût et jamais comme une valeur ajoutée.

Ces quelques réflexions montrent à quel point les décideurs dans notre société n'ont pas conscience du "fait linguistique" ; cette méconnaissance est sans doute largement imputable au fait qu'ils ne se sont jamais réellement posé la question de ce qu'est une langue, de la façon dont elle fonctionne, de ses interactions avec la société. Peut-être se montreraient-ils plus ouverts s'ils se posaient la question du coût, non pas de la traduction et de l'interprétation, mais de l'absence de traduction et d'interprétation, et du recours à un idiome unique. A cet égard, Dominique Hoppe, président fondateur de l'Assemblée des francophones fonctionnaires des organisations internationales (AFFOI), a publié en mai 2015 dans Le Monde Diplomatique un article intitulé "Le coût du monolinguisme". On retrouve cette très intéressante analyse sur le blog de Dominique Hoppe sous le lien suivant : http://dominique-hoppe.blog.lemonde.fr/2015/06/02/le-cout-du-monolinguisme/.

En résumé : traduire mal coûte cher, s'exprimer en globish pour ne pas avoir à traduire coûte également cher. Enfin, la principale victime de la "globishisation" de la communication internationale est la langue anglaise : les anglophones natifs devraient être les premiers à s'engager pour la défense de leur langue quotidiennement massacrée au nom d'une communication prétendument meilleure !

vendredi 24 novembre 2017

Y'a pas photo !

S'il est bien un domaine fertile en métaphores, c'est le sport. Dans le billet du 8 septembre 2017, nous évoquions déjà le marquage à la culotte que les acteurs du monde politique empruntent allègrement aux footballeurs. Lorsqu'il arrive à un homme (plus rarement une femme) politique de marquer un but contre son camp, autrement dit de commettre une action préjudiciable à son parti, il risque fort de recevoir un carton rouge de la part de ses amis, voire de se faire tacler par ses adversaires. Le tacle constitue un exemple intéressant où la métaphore ne retient qu'une partie du sens propre du terme ; en effet, un tacle au football est un geste parfaitement admis qui consiste à déposséder son adversaire du ballon via une glissade. Le tacle n'est sanctionné d'un carton jaune, voire d'un carton rouge, que lorsqu'il s'accompagne d'un mauvais geste contraire à l'esprit sportif (coup dans les chevilles par exemple). Mais au sens figuré, un tacle a toujours une connotation négative et traduit une vive critique. Mais attention : tant l'auteur que la victime d'un tacle risque de se retrouver hors-jeu ou de se faire renvoyer dans les cordes ; cette dernière métaphore nous éloigne du ballon rond au profit de la boxe qui se pratique sur un ring entouré précisément desdites cordes dans lesquelles on risque de se faire renvoyer.

Le cyclisme en général et le Tour de France en particulier – appelé aussi la Grande Boucle – ont également enrichi notre langue d'expressions plus imagées les unes que les autres, à commencer par la petite reine pour désigner la bicyclette. L'origine de cette expression serait liée à Wilhelmine d'Orange-Nassau qui devint reine des Pays-Bas à l'âge de 10 ans et était une grande amatrice de bicyclette. De passage à Paris en 1898, elle fut baptisée la Petite Reine par le journal "La France Illustrée" ; par la suite, cette appellation fut conservée pour désigner le véhicule à deux roues qu'affectionnait tant la souveraine. Mentionnons aussi un ouvrage de Pierre Giffard, écrivain et grand reporter français qui a intitulé "La reine bicyclette" un ouvrage paru à la fin du XIXème siècle retraçant l'histoire du vélocipède. Autre métaphore vélocipédique : changer de braquet. Le braquet désigne, sur un vélo, le rapport de multiplication entre le plateau (roue dentée avant au niveau du pédalier) et le pignon (roue dentée du moyeu arrière) : on choisit le braquet le plus approprié, selon que l'on privilégie la vitesse ou la puissance. Quand un gouvernement annonce qu'il va changer de braquet dans son action politique, cela traduit une volonté de changer de rythme, d'accélérer. Souvent, on pourra lire ou entendre que tel ou tel candidat a fait une échappée au cours de la campagne électorale, autrement dit qu'il a distancé ses adversaires. Il est clair qu'il vaut mieux faire la course en tête que se retrouver lanterne rouge en queue de peloton. Cette lanterne rouge, expression couramment employée dans le sport, est une métaphore empruntée au domaine ferroviaire puisque le dernier wagon d'un train arbore un feu de cette couleur (aujourd'hui deux).

Mais tout se joue souvent dans la dernière ligne droite, au cours du fameux sprint final. Lorsque l'arrivée des concurrents se fait dans un mouchoir de poche – autrement dit lorsqu'ils sont très proches les uns des autres – il faut les départager ; c'est là que l'on recourt à la photo-finish, séries de photographies prises selon une technique particulière pour déterminer avec précision le vainqueur de la course (à pied, cycliste, hippique etc.). C'est de là – et plus particulièrement des courses de chevaux – que vient l'expression y'a pas photo. En effet, pour les parieurs, l'ordre d'arrivée des chevaux revêt une importance capitale et, lorsque l'œil humain n'est pas capable de départager les premiers arrivés, la photo ou photo-finish peut faire la fortune ou l'infortune du parieur. En revanche, lorsqu'il n'y a aucun doute sur l'ordre d'arrivée, y'a pas photo ! Cette expression a pris un sens métaphorique lorsqu'on a affaire à deux choses de nature, et généralement de qualité très différente. Entre une confiture achetée dans une épicerie fine de la place de la Madeleine et celle achetée dans une grande surface hard-discount y'a pas photo !

J'espère, chère lectrice, cher lecteur, ne pas vous avoir envoyé au tapis, voire mis KO avec ces considérations linguistico-sportives. Le point (d'exclamation) final de ce billet vous permet d'être sauvé par le gong !

jeudi 16 novembre 2017

Touchez pas au grisbi !

Le titre de ce billet est celui d'un film de Jacques Becker sorti en 1954, adapté du roman éponyme d'Albert Simonin. Grisbi, voilà l'un des innombrables termes d'argot utilisés pour désigner l'argent : fric, flouze, oseille, blé, pépettes, fraîche, thune, pognon, galette, picaillons, artiche, rond ou radis (dans l'expression je n'ai plus un rond ou plus un radis). Une personne désargentée dira qu'elle est fauchée (comme les blés).

Là où la chose est devenue problématique lors du passage à l'euro, c'est avec les termes d'argot utilisés pour quantifier une somme d'argent : balle (1 franc), sac (10 francs), brique, patate, plaque (10.000 francs pour ces 3 derniers termes). Il semble que seul le terme balle ait survécu au passage à l'euro (avec une parité de 1 pour 1) et on peut entendre une phrase telle que "quand le paquet de clopes sera à 10 balles, j'arrêterai de fumer (ou pas)". Le franc appartiendra réellement au passé lorsque les différentes dénominations en euros seront passées à l'argot.

Si ceux qui aiment recevoir de l'argent sont très nombreux, on ne peut en dire autant de ceux qui le dépensent volontiers. L'avarice ou, tout au moins, la réticence à payer ce que l'on doit, se retrouvent aussi dans notre langue avec des expressions très pittoresques, comme par exemple avoir des oursins dans les poches ou dans le porte-monnaie. Cette expression se passe d'explication, tant on imagine aisément l'expérience douloureuse que représente l'extraction de quelque pièce ou billet d'une poche peuplée d'oursins ! Si votre débiteur se trouve dans cette disposition d'esprit, il y a de fortes chances qu'il vous paye au lance-pierres : le lance-pierres étant un instrument à la précision très relative et manquant souvent sa cible, attendez-vous à ne recevoir qu'une partie de l'argent qui vous est dû.

Et connaissez-vous le fesse-mathieu ? Voilà encore une façon de désigner un avare. L'étymologie est ici singulière : fesser signifiait au 15ème siècle "battre avec des verges" (pas forcément la partie postérieure souvent charnue de l'anatomie) ; et mathieu renvoie à Saint-Mathieu, l'un des quatre évangélistes qui fut prêteur avant de se convertir. Au 16ème siècle mathieu désigne ainsi un créancier. D'où l'expression fesser Saint-Mathieu qui signifierait "pratiquer l'usure" car, nous dit Alain Rey, celui qui fesse Saint-Mathieu serait un individu qui, pratiquant indignement son premier métier, mettrait à mal la réputation de l'apôtre. Le fesse-mathieu, après avoir désigné un usurier, qualifie ainsi de nos jours une personne avare. Si cette explication capillotractée ne vous convainc pas, ce n'est pas moi qui vous jetterai la première pierre (pour rester dans la métaphore biblique).

Peut-être vous est-il arrivé d'avoir maille à partir avec un débiteur ou un créancier, ou toute autre personne d'ailleurs ? La maille ici n'a rien à voir avec un tricot ou un filet de pêche. Il s'agit d'une monnaie valant la moitié du denier, lui-même égal au douzième du sou qui équivaut au vingtième de la livre. La maille représente donc une somme très faible et c'est aussi la plus petite pièce en circulation au Moyen-âge. Quant au verbe partir, il provient de départir qui signifiait partager. Ainsi donc, lorsque deux personnes voulaient se partager une somme aussi faible – une maille -, qui plus est l'unité monétaire la plus petite de l'époque, on aboutissait inéluctablement à une querelle car il n'est pas possible de diviser l'indivisible.

Alors, me direz-vous, tout cela n'est pas bien grave puisque l'argent n'a pas d'odeur. Le parfum d'un billet fraichement imprimé n'est pourtant pas désagréable ! Au 1er siècle de notre ère, l'empereur romain Vespasien institua diverses taxes pour renflouer les caisses de l'Empire mises à mal sous le règne de Néron. L'une de ces taxes frappait les urines que l'on collectait pour les teinturiers (les urines étant utilisées pour dégraisser les peaux). Les contribuables romains ne se privèrent pas de brocarder cette "taxe-pipi". Quand Titus, le fils de Vespasien, lui relata ces moqueries, Vespasien lui mit une pièce de monnaie sous le nez et lui dit "non olet", c'est-à-dire "cela n'a pas d'odeur". Autrement dit, peu importe la provenance de l'argent, pourvu qu'il remplisse les caisses. Pour la petite histoire, c'est en mémoire de Vespasien et de sa taxe sur les urines qu'on appela au 19ème siècle vespasiennes les urinoirs publics.

L'argent ne fait pas le bonheur, dit-on ; il fait en tout cas celui du blogueur en lui livrant un passionnant sujet de réflexion.

dimanche 12 novembre 2017

Du sexe des mots

Si le sexe des anges suscite d'éternelles interrogations, celui des mots, ou plus précisément le genre des mots en français s'apparente parfois à un sac de nœuds (sans jeu de mots graveleux). Le billet précédent s'intéressait à l'écriture inclusive dont l'objet est, entre autres, de tordre le cou à cette règle grammaticale de notre langue qui veut que le masculin l'emporte sur le féminin.

Mais connaissez-vous les mots épicènes ? Selon Le Petit Robert, un terme épicène désigne aussi bien le mâle ou la femelle d'une espèce (même si, pour certains linguistes, il s'agirait plutôt d'un terme générique et non d'un authentique épicène). Par exemple le rat peut fort bien être une rate, le cheval peut être une jument et une souris peut tout à fait arborer une paire de testicules (fort petits, il est vrai).  Mais un mot épicène désigne également un substantif ou un adjectif dont la forme ne varie pas selon le genre : par exemple un ou une acrobate agile ; dans cette formule le substantif tout comme l'adjectif son épicènes. On dira indifféremment un ou une interprète habile (l'auteur de ces lignes ne pouvait pas ne pas mentionner cet exemple).

Les mots épicènes sont fréquents dans la langue française : il peut s'agir de prénoms, tels que Camille, Claude ou Dominique, ou encore de gentilés (terme désignant les habitants d'un lieu, d'un pays, d'une région etc.), comme par exemple Basque, Belge, Russe, Suisse, Arabe etc. On pense aussi à des noms de métiers : un ou une pilote, psychologue, ministre, thérapeute, cinéaste, antiquaire etc. Sont également épicènes les mots adulte, élève, collègue, partenaire, nomade, malade… Tous ces épicènes ont un point commun : ils se terminent par un e muet, avec une exception notable : un ou une enfant.

Ne sont en revanche pas considérés comme épicènes, des mots qui admettent l'emploi des deux genres, mais désignent le même référent mais sans sexuation, comme par exemple après-midi[1] ou enzyme (une après-midi ou une enzyme ne se distinguent en rien d'un après-midi ou d'un enzyme). A l'inverse, lorsque qu'un mot désigne deux choses tout à fait différentes au masculin et au féminin, on n'a pas non plus affaire à un épicène : c'est le cas, par exemple, d'espace dont la forme féminine – une espace – désigne l'élément typographique correspondant à l'espacement entre deux mots, ou encore du mot icône/icone : une icône, avec un accent circonflexe sur le o, désigne une peinture religieuse exécutée sur un panneau de bois, alors qu'un icone (sans accent) est un symbole graphique permettant, sur l'écran d'un téléphone ou d'un ordinateur, d'accéder à un programme ou une application.

Attention, donc, à ne pas confondre le genre et le sexe : La Panthère Rose du film est bien une panthère mâle (amoureux ou amoureuse) d'une jeune et jolie panthère femelle !


[1] Selon certains linguistes, après-midi au masculin désignerait un moment dans la journée alors que la forme féminine indiquerait plutôt une durée (comme matinée ou soirée par opposition à matin et soir) 

mercredi 1 novembre 2017

Cher·ère·s lecteur·rice·s

Vous avez réussi à lire le titre de ce billet ? Bravo ! Vous maîtrisez donc ce que l'on appelle l'écriture inclusive, laquelle suscite ces temps derniers maintes prises de position, souvent polémiques. Il y a quelques jours, la vénérable Académie Française voyait dans cette pratique un péril mortel pour la langue française. Ce jugement nous paraît bien péremptoire et nous conduira à dire, avec Talleyrand, que "Tout ce qui est excessif est insignifiant".

La finalité de l'écriture inclusive est de remédier, dans notre langue, à la primauté grammaticale du masculin sur le féminin. Il n'est pas question de nier cet état de fait, dont les origines plongent dans la lointaine histoire – très patriarcale – de notre société. Mais n'est-on pas en train de confondre sexe et genre ? Le sexe est à nos yeux une réalité à la fois biologique, psychologique et sociologique par laquelle nous nous définissons dans la société, sachant que le sexe biologique peut parfois être en contradiction avec son incarnation psychologique. Le genre, en revanche, est une simple catégorie grammaticale – même si les tenants de la théorie du genre élargissent considérablement le champ sémantique de ce concept – qui conditionne le fonctionnement d'une langue. La langue française connaît deux genres, le féminin et le masculin, l'allemand et l'anglais trois, le féminin, le masculin et le neutre, et d'autres langues connaissent des régimes plus complexes.

On a de plus en plus souvent coutume de remplacer l'expression "droits de l'homme" par "droits humains" ou "droits de la personne humaine". Or, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (avec un "H" majuscule) considère bien l'homme comme un membre de l'humanité tout entière (en allemand Mensch et non pas Mann, bien que les deux termes aient la même étymologie). N'est-ce-pas, en quelque sorte, faire un procès d'intention que de penser que l'expression droits de l'homme ne viserait que la moitié masculine de l'humanité ? On pourrait aussi rétorquer que le mot personne (dans droits de la personne humaine) est féminin. On voit très vite que ces débats ne mènent nulle part.

Si l'on veut faire coïncider une langue sexuée avec une langue genrée, il faudra aussi remédier à cette bizarrerie du français où l'on dit la verge et le vagin ! Revenons-en à l'écriture inclusive et à son principal marqueur graphique, le point milieu ou point médian, comme par exemple dans les député·e·s ou les acteur·rice·s. La multiplication de ces formes dans un texte en rend la lecture extrêmement malaisée. L'écriture inclusive risque fort de rendre la lecture rébarbative. Et que se passe-t-il quand un texte inclusif doit être lu à voix haute ? On voit alors très vite les limites de la démarche. N'est-il pas plus simple d'écrire et de dire celles et ceux, les députés – hommes et femmes -, les actrices et les acteurs etc. ? Cela fonctionne très bien à l'oral et n'alourdit qu'à la marge le texte écrit, et beaucoup moins en tout cas qu'une phrase comme celle-ci : "les auteur·e·s jugent que leurs lecteur·rice·s sont spéciaux·ales".

Et que faire des mots dont la forme grammaticale féminine a un sens totalement différent du masculin : une marine est autre chose qu'une femme marin (un marine existe aussi dans l'armée américaine), une carabine n'a rien à voir avec un carabin et, si un matelot est capable de nous cuisiner une succulente matelote, cette dernière ne désigne pas une femme exerçant son métier sur un bateau, mais un plat à base de poisson. Enfin, la prochaine fois que je rencontrerai mon avocate, je ne suis pas certain qu'elle serait ravie que je l'appelle maîtresse !

Si, contrairement à l'Académie Française, je ne pense pas que l'écriture inclusive fasse courir un péril mortel à la langue française, il ne me paraît pas, en revanche, utile de vouloir imposer à la langue et à sa grammaire les conséquences d'une évolution de la société dont on ne peut que se réjouir. Il y a encore beaucoup à faire pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes dans notre société : ces progrès sont lents, certainement trop lents, mais la langue, qui obéit à ses propres lois et à son propre rythme, finira bien par les refléter le moment venu. Mais ne cherchons pas à lui faire violence, elle ne se laissera pas faire !

dimanche 29 octobre 2017

Des fruits sur la langue

Les fruits et les légumes sont omniprésents dans la langue française. Le présent billet se veut fruité.

Commençons par la prune : selon qu'on se prend une prune ou qu'on fait quelque chose pour des prunes, la prune coûte cher ou, au contraire, ne vaut rien. Se prendre une prune signifie, en langage familier, voire argotique, recevoir un avis de contravention et donc être condamné à une amende ; mais pourquoi donc une prune ? Il faut remonter au Moyen Âge où le terme de prune était synonyme de coup de poing ou de pied, autrement dit quelque chose de douloureux, comme une contravention par exemple. On retrouve d'ailleurs cette étymologie dans le terme de pruneau qui désigne en argot une balle d'arme à feu. Longtemps, les avis de contravention ou prunes furent apposées sur les pare-brise des véhicules en infraction par des aubergines en référence à la couleur de l'uniforme porté par les auxiliaires de police ou contractuelles chargées de cette tâche ingrate. Lorsque leur uniforme passa du violet au bleu elles quittèrent le potager pour les massifs fleuris et furent baptisées de pervenches.

À l'inverse, si le présent blog n'avait quasiment pas de lecteurs et si je me donnais tout ce mal pour des prunes, je m'interrogerai sérieusement sur l'utilité de poursuivre cette entreprise. Ces prunes sans valeur nous font remonter aux premières croisades, au XIIème siècle. Selon la légende, lors de la 2ème croisade qui se solda par un échec, les croisés rapportèrent de Damas des pieds de pruniers dont il avait pu goûter les excellents fruits. Lorsqu'ils rendirent compte au roi de leur expédition à la fois infructueuse et fructueuse, celui-ci leur aurait reproché de n'être allés si loin que pour des prunes, autrement dit pour rien.

L'histoire ne dit pas si, accablés par les reproches royaux, certains Croisés tombèrent dans les pommes. Une fois de plus, nous voilà en présence d'une expression à l'origine controversée. Pour les uns, les pommes sont une altération de la pâmoison, puisque se pâmer ou tomber en pâmoison voulait dire s'évanouir, perdre connaissance. Mais sachant que l'expression tomber dans les pommes date de la fin du XIXème siècle alors que la pâmoison a disparu du vocabulaire au XVème siècle, il est permis de douter de la filiation entre ces deux expressions. Pour les autres, c'est à George Sand que revient la paternité - ou devrait-on dire la maternité - de cette expression : en effet, dans l'une de ses lettres, elle écrit qu'elle est dans les pommes cuites pour dire qu'elle est extrêmement fatiguée ; on peut rapprocher cette formule de l'expression être cuit pour désigner un état de grande fatigue, éventuellement susceptible de causer un évanouissement.

Incontestablement, il vaut mieux avoir la pêche ou la banane ! Celui qui a la pêche est plein d'énergie, de dynamisme. Là encore, deux origines possibles : la culture chinoise, où la pêche est signe de vitalité et de bonne santé ; ou bien la boxe, ou l'expression avoir la pêche signifie avoir beaucoup de force. Nous allons couper la poire en deux et attribuer l'origine de cette expression à la boxe chinoise ! Quant à la banane, celle-ci traduit la satisfaction, le contentement, par référence au sourire auquel fait naturellement penser la forme de ce fruit. Sourire qui n'est hélas plus de mise chez celle ou celui qui sucre les fraises : cette expression bien peu charitable qui date de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle désigne une personne affectée de tremblements en raison de son âge avancé et qui, bien involontairement, reproduit le geste que l'on fait lorsque qu'on saupoudre de sucre un aliment, comme par exemple des fraises.

Et pour conclure, cerise sur le gâteau, nous éviterons en tout cas d'avoir le melon, autrement dit la grosse tête, car cela n'est guère seyant.

dimanche 22 octobre 2017

Quand les noms propres cessent de l'être

"Tu peux me passer un kleenex s'il-te-plaît" – "désolé, je n'en ai pas" – "ce n'est pas grave, je vais prendre du sopalin". Dans ce bref échange, nous avons deux exemples de noms de marque qui se sont imposés dans la langue au point de devenir des noms communs. Nous sommes en présence de ce que les linguistes appellent un onomastisme ou une antonomase, c.-à-d. une figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme nom commun.

Le kleenex a été créé en 1924 par la société américaine Kimberly-Clark. Il faut attendre 1960 pour que les premiers kleenex débarquent en France. Ce nom de marque est couramment utilisé pour désigner un mouchoir jetable et figure dans les dictionnaires. On note avec intérêt qu'en Allemagne les mouchoirs en papier ont connu le même phénomène linguistique : en effet, le mot Tempo qui désigne, par antonomase, un mouchoir jetable, est à l'origine une marque commerciale déposée en 1929 par la société Vereinigte Papierwerke de Nuremberg.

Quant au sopalin – qui désigne un essuie-tout -, son histoire est également intéressante. Le mot sopalin est à l'origine une contraction des premières syllabes de la Société du Papier linge, filiale de la Papeterie Darblay, qui commercialise en 1946 un essuie-tout en ouate de cellulose. Par la suite, l'américain Kimberly-Clark, à qui l'on doit le kleenex, rachète la marque et continue de la distribuer jusqu'en 2010, date à laquelle il la cède à un groupe italien ; cette décision est pour le moins surprenante pour une entreprise qui a la chance de posséder une marque entrée dans le langage courant pour désigner, d'une manière générique, tous les essuie-tout. Mais, vu du Wisconsin où Kimberly-Clark a son siège, on n'est peut-être pas très sensible à ce genre de considération…

Les exemples d'antonomase sont légion. Frigidaire, scotch ou mobylette par exemple. Mais aussi escalator, botox et caddie. D'ailleurs la société des Ateliers Réunis Caddie, propriétaire de la marque Caddie, fait régulièrement valoir ses droits lorsqu'elle s'estime lésée par une utilisation abusive de sa marque. Et pourtant imagine-t-on plus belle reconnaissance que de voir une marque entrer dans le langage courant et dans le dictionnaire ?

Nous conclurons en rappelant que la poubelle a été inventée en 1884 par le Préfet de la Seine Eugène Poubelle et que le terme de silhouette nous vient d'Étienne de Silhouette, Contrôleur général des finances sous Louis XV ; ce dernier s'était fixé pour but de réduire les dépenses de la Cour (rien de nouveau sous le soleil), ce qui lui valut moult critiques et railleries. Pour qualifier une chose réduite à sa forme la plus économe, comme par exemple un dessin ne représentant que les contours d'un objet ou d'une personne, on forgea alors l'expression "à la silhouette".

vendredi 29 septembre 2017

Fâcheries

Les relations humaines n'étant pas toujours caractérisées par l'harmonie la plus complète, nous avons voulu nous intéresser aux expressions qui qualifient les rapports humains conflictuels.

Dans le billet "Vous prendrez bien une veste", nous avions déjà évoqué la situation inconfortable d'une personne qui se prend un râteau. Mais on peut tout aussi bien se prendre un vent ou, si l'on change de point de vue, mettre un vent à quelqu'un. L'origine de cette expression, assez récente, est difficile à cerner. Précisons d'emblée qu'a priori le vent dont il est question ici n'a rien à voir avec les conséquences métaboliques de la consommation de cassoulet ou de soupe à l'oignon… On se prend un vent en particulier lorsqu'on échoue dans une tentative de séduction : le séducteur entreprenant s'approche du visage d'une personne pour l'embrasser et, à la dernière seconde, celle-ci se dérobe en se détournant, laissant notre séducteur en quelque sorte dans le vent.

Restons dans le domaine aérologique avec deux expressions très imagées – à l'étymologie assez mystérieuse – pour qualifier des remontrances ou un rappel à l'ordre énergique : se prendre une soufflante et se faire souffler dans les bronches. S'agirait-il de la sensation éprouvée par la "victime" lorsque l'auteur de l'engueulade lui crie dessus en se rapprochant de son visage ? Peut-être. Synonyme : se faire remonter les bretelles, avec ici deux étymologies possibles : au cours d'une bagarre l'un des protagonistes saisit l'autre par les bretelles et le secoue pour le ramener à la raison. Ou bien, quand les bretelles d'une personne sont mal fixées ou détendues, le porteur de ces dernières peut avoir assez mauvaise allure avec un pantalon qui tirebouchonne. En lui remontant les bretelles, on lui redonne une bonne allure, bien ordonnée ; au sens figuré remonter les bretelles pourrait ainsi signifier "rétablir l'ordre" (au besoin avec quelques remarques bien senties).

Et toujours dans le même ordre d'idées, on peut se faire appeler Arthur, avec, là encore, deux origines possibles, aussi pittoresques et non-avérées l'une que l'autre. Durant l'Occupation en France, les Allemands avaient imposé un couvre-feu qui débutait à vingt heures – en allemand acht Uhr. Pour rappeler à l'ordre les passants qui s'aventuraient dans les rues après l'heure fatidique, les soldats allemands indiquaient leur montre en disant acht Uhr ; les Français comprenaient Arthur : c'est peut-être ainsi que de ce rappel à l'ordre est née l'expression se faire appeler Arthur. Autre hypothèse : en argot, un arthur (comme un jules) désignait un proxénète ; l'expression se faire appeler Arthur tout comme se faire appeler Jules qu'on entend parfois était donc tout sauf élogieuse.

Enfin, toujours au chapitre des remontrances, mentionnons l'expression entendre parler du pays. Le parent qui sermonne son enfant en lui disant "si tu continues comme ça, tu vas entendre parler du pays" ne lui promet pas une émission de radio ou de télévision évoquant la douce France, mais plutôt une engueulade bien sentie.

Si, comme certains l'affirment, la langue française est la langue de l'amour, elle est – nous venons de le voir - tout aussi capable de transmettre des sentiments hostiles !

samedi 23 septembre 2017

C'est le pied !

L'extrémité de nos membres inférieurs, le pied est omniprésent dans la langue française. Avant de nous laisser couper l'herbe sous le pied, essayons de faire le tour de la question. Dans l'expression couper l'herbe sous le pied, qui signifie se faire devancer ou prendre de court, l'herbe désignait à l'origine les légumes et plantes qu'on mangeait, sous forme de bouillon ou de soupe par exemple. Ce sens a évolué pour désigner plus généralement les aliments et moyens de subsistance. Si l'on se faisait couper l'herbe sous le pied, on se trouvait ainsi privé d'un moyen de se sustenter. Aujourd'hui, cette expression décrit plus généralement une situation dans laquelle on s'est fait priver d'un avantage par quelqu'un d'autre qui a su être plus réactif.

Ce n'est pas une raison pour nous tirer une balle dans le pied ! Ce sont, dit-on, des soldats désireux d'être éloignés du front qui se tiraient une balle dans le pied, pour se voir reconnus inaptes à la faveur d'une blessure (non mortelle) qu'ils s'étaient infligée volontairement. Cet aspect volontaire a disparu de nos jours et celui qui se tire une balle dans le pied agit – involontairement – contre son intérêt. On pense ici à d'autres expressions de sens similaire telles que marquer un but contre son camp ou scier la branche sur laquelle on est assis.

Il ne faut pas toujours prendre un texte au pied de la lettre, c.-à-d. de façon totalement littérale. L'expression viendrait de la Bible, plus précisément de la Deuxième épître (lettre) aux Corinthiens où une interprétation littérale des mots est opposée à l'esprit d'un texte. Le terme de pied y a ici le sens de mesure ; on pourrait dire prendre à la mesure de la lettre.

Et une locomotive haut le pied alors ? Il s'agit d'une locomotive qui circule seule, sans tirer de wagons. Dans le passé, lorsqu'un cheval n'était pas attelé et n'avait donc pas lourdes charges à tirer ou lorsque les attelages étaient vides, il levait les pattes plus haut car il se déplaçait avec plus d'aisance : il avançait donc haut le pied, tout comme la locomotive qui ne remorque rien (et qui très certainement se sent, elle aussi, plus légère).

Le lecteur de ce billet resterait sûrement sur sa faim si l'on n'évoquait pas l'expression prendre son pied. Contrairement à ce que l'on pense parfois, cette locution ne renvoie pas au bébé qui s'empare de son pied et suce son orteil avec grand plaisir. Dans l'argot du 19ème siècle, le pied désigne la part du butin qui revient à chacun des complices d'un vol. Celui qui prend son pied en retire donc une grande satisfaction, un réel plaisir. Et c'est ce sens de plaisir intense qui subsiste aujourd'hui lorsqu'on dit qu'on prend son pied au point culminant du plaisir sexuel !

Alors, ce blog, c'est le pied ?

vendredi 15 septembre 2017

Musique Maestro !

On dit que la musique adoucit les mœurs ; en tout cas elle enrichit notre vocabulaire. Ne sommes-nous pas tous convaincus que l'expression mener à la baguette renvoie à la baguette du chef d'orchestre qui s'en sert pour diriger ses musiciens ? Objection, votre Honneur ! L'étymologie est beaucoup plus martiale : la baguette désigne en fait l'épée des chefs militaires qu'ils utilisaient pour commander, pour mener leurs troupes. C'est une forme de commandement nettement plus brutale que celle du chef d'orchestre ; quoique … De la baguette à la braguette  il n'y a qu'un pas, ou plutôt une lettre. Et là nous revenons dans l'univers de la musique ; en effet, l'une des plus jolies définitions de la braguette n'est-elle pas : "l'ouverture de la flûte enchantée" ?

Donner le la : c'est à partir de cette note que les musiciens de l'orchestre accordent leurs instruments ; par extension, cette expression signifie donner le ton, donner l'exemple. Comment faire pour donner le la ? Par exemple au moyen d'un diapason. Et, si l'on n'avait pas de diapason sous la main, il suffisait, avant la généralisation de la téléphonie par internet, de décrocher son téléphone fixe dont la tonalité correspondait à la note la. On peut aussi, au sens figuré, se mettre au diapason d'un interlocuteur ou de son environnement, autrement dit en accord ou en harmonie avec celui-ci.

Comment le pipeau, cette petite flûte champêtre, s'est-il retrouvé dans l'expression c'est du pipeau, qui signifie "c'est une blague", "ce n'est pas sérieux" etc. ? Parce le pipeau désigne également un appeau, instrument servant à attirer, à leurrer (on parle aussi d'un leurre) les oiseaux en imitant leurs cris, généralement dans un but avicide. Cette manœuvre, qu'on peut assimiler à une tromperie à l'égard des volatiles condamnés, est sans doute à l'origine de l'expression c'est du pipeau pour qualifier quelque chose de faux, d'infondé.

Pour éviter d'aller plus vite que la musique, mieux vaut être réglé comme du papier à musique, autrement être bien organisé, prévoir les moindres détails, voire avoir des habitudes très régulières, aussi régulières que les cinq lignes parallèles de la portée musicale.

Enfin, comment se fait-il qu'en argot, le violon désigne une prison. Deux explications possibles : au 13ème siècle, au Palais de Justice de Paris (où se trouvait une prison), le seul loisir autorisé aux prisonniers selon un arrêté royal était le violon, et si l'on allait au violon, la destination était bien la prison. A moins que cette expression ne provienne de l'analogie entre les cordes du violon et les barreaux de la prison. Pour éviter de se retrouver au violon, peut-être vaut-il mieux, avant d'être arrêté, faire l'Arlésienne, ce personnage d'un conte d'Alphonse Daudet qui donne son nom à un opéra Bizet, mais que l'on ne voit jamais. L'Arlésienne désigne ainsi une personne ou une chose que l'on attend, mais qui n'arrive jamais.

vendredi 8 septembre 2017

Avec ou sans culotte ?

Après notre dernier billet consacré à la veste qu'on peut prendre ou retourner, intéressons-nous aujourd'hui à un autre attribut vestimentaire bien présent dans la langue française : la culotte.

A une époque pas si lointaine, où le genre était un concept grammatical et non sociologique, on jugeait naturel que, dans un couple, l'homme – qui portait la culotte – était le chef auquel la femme, qui portait la jupe, était censée se soumettre. Mais heureusement le monde a évolué – pas autant qu'on pourrait le souhaiter – et de plus en plus souvent c'est la femme qui, dans le couple, porte la culotte, autrement dit qui commande. Et encore cela ne vaut-il que pour les couples hétérosexuels ; dans les couples de personnes du même sexe, sans doute dit-on que c'est x ou y qui porte la culotte pour désigner celui ou celle des deux qui dirige. Cette expression devrait disparaître le jour où une réelle égalité existera entre les deux membres d'un couple et où le port de la culotte sera partagé à parts égales …

Les sans-culottes, quant à eux, sont les révolutionnaires qui portent des pantalons à rayures et non  la culotte (la culotte courte avec des bas) des aristocrates de l'ancien régime. Plus récemment, on pouvait entendre Jean-Luc Mélenchon déclarer à l'Assemblée nationale : "Il y a eu dans cette Assemblée des sans-culottes, il y aura désormais des sans-cravates".

Dans une campagne électorale, il n'est pas rare d'entendre qu'un candidat marque son concurrent à la culotte. La culotte nous vient ici du monde du sport, plus précisément du football. Marquer son adversaire veut dire le suivre, le surveiller de très pour ne lui laisser aucune marge de manœuvre, aucun espace de liberté. Le marquer à la culotte (ici le short du footballeur) signifie que le marquage est particulièrement proche et insistant.

Et si l'on dit de quelqu'un qu'il est particulièrement culotté ou qu'il ne manque pas de culot ? L'origine de cette expression est moins évidente : le culot (d'une lampe ou d'une bouteille par exemple) désigne à l'origine la partie basse d'un objet. Et donc, celui qui est culotté ou qui a du culot ne perd pas facilement son équilibre, car il s'appuie sur une base solide. On dira aussi qu'il ne manque pas d'aplomb voire de toupet. Mais d'où nous vient donc ce toupet qui caractérise les effrontés ? Au 16ème siècle en Italie, les "bravi", sortes de tueurs à gages, cachaient leur visage à l'aide d'un toupet pour ne pas être reconnus lorsqu'ils commettaient leurs méfaits. Et le toupet est ici une touffe de cheveux qu'on laisse pousser en haut du front ou sur le sommet du crâne.

A-t-on vu un jour, durant la Révolution française, un sans-culotte suffisamment culotté pour marquer à la culotte un aristocrate dont l'épouse portait la culotte ? Il faudrait avoir un sacré toupet pour l'affirmer !

lundi 4 septembre 2017

Vous prendrez bien une veste ?

Retourner sa veste n'est pas vu d'un très bon œil en politique. Et pourtant, plus d'un candidat à une élection a ainsi changé de couleur politique dans l'espoir de décrocher un siège convoité. L'origine de cette expression est amusante. C'est en effet la version moderne de l'expression beaucoup plus ancienne tourner casaque. La casaque est à l'origine un vêtement militaire et désigne, par extension, l'uniforme du soldat, en l'occurrence celui de Charles-Emmanuel de Savoie, Prince de Piémont et gendre de Philippe II d'Espagne. Voulant être roi, ce dernier n'hésitait pas à s'allier indifféremment avec la France ou l'Espagne au gré circonstances. Sa casaque, blanche d'un côté et rouge de l'autre, portait les couleurs de chaque nation. Il lui suffisait alors de porter le blanc pour la France et le rouge pour L'Espagne en tournant sa casaque. De la vient l'expression tourner casaque – et sa version moderne retourner sa veste - qui signifie changer de camp ou d'opinion de manière intéressée au gré des circonstances. On la retrouve dans le refrain de la chanson Je suis un opportuniste de Jacques Dutronc de 1968 :

Il y en a qui contestent
Qui revendiquent et qui protestent
Moi je ne fais qu'un seul geste
Je retourne ma veste
Je retourne ma veste
Toujours du bon côté

Il arrive – fort heureusement pour la morale – que le candidat qui retourne sa veste pour gagner une élection finisse par la perdre et par prendre (ou se prendre) une veste. L'origine de cette expression est beaucoup moins évidente. Au départ, il n'était pas question de veste, mais de capot, quelque chose qui sert à protéger comme par exemple le capot d'une voiture, mais qui a également donné capote qui désigne un manteau long tel que la capote militaire portée par les poilus au cours de la 1ère Guerre mondiale. Mais en même temps, capot est un terme utilisé dans certains jeux de cartes pour désigner le joueur qui n'a marqué aucun point et qui se retrouve ainsi capot. Ce sens nous ramène à l'allemand kaputt ! Et la capote désignait le coup par lequel on mettait un adversaire capot. Mais alors pourquoi ne dit-on pas prendre (ou se prendre) une capote ? C'est dans la seconde moitié du 19ème siècle que, par l'effet d'un jeu de mots, la capote s'est transformée en veste. Ainsi, celui qui subit un échec prend-il ou se prend-il une veste. On pourrait aussi dire qu'il se prend un râteau, expression qui a deux origines possibles : soit la mésaventure de celui qui marche malencontreusement sur le peigne d'un râteau et se prend violemment le manche de celui-ci dans la figure ; soit une substantivation humoristique du verbe rater qui donne râteau plutôt que ratage. 

De la veste au râteau, les méandres de la langue française regorgent de trésors insoupçonnables.

lundi 28 août 2017

De feu et d'os

Faire long feu et sa forme négative ne pas faire long feu : voilà deux expressions françaises qui forment un véritable sac de nœuds, pour ne pas dire d'embrouilles. A l'origine, on disait d'une arme qu'elle faisait long feu lorsque la poudre se consumait sans exploser : on est donc en présence d'un échec. Un projet qui fait long feu est un projet qui n'aboutit pas, autrement dit qui ne dure pas. Et pourtant, comme nous le rappelle l'excellent blog des correcteurs du Monde "Languesauce piquante", lorsqu'on demande en octobre 2012 au Premier ministre s'il pense faire long feu à Matignon, il répond par l'affirmative en précisant que son action s'inscrit dans la durée. Nous sommes donc en présence d'une expression qui peut avoir deux sens contraires – les linguistes parlent alors d'énantiosémie.

Quid de ne pas faire long feu ? Dans son usage le plus courant, cette expression signifie ne pas durer, ne pas s'éterniser ; ce n'est donc en aucun cas la négation de faire long feu. L'ambiguïté de ces expressions vient sans doute de l'emploi énantiosémique de l'adjectif long : dans faire long feu, long  traduit à la fois la durée (la poudre se consume lentement sans exploser) et la brièveté puisque le projet qui fait long feu est un projet qui tourne court.

Comment nous sortir de ce feu roulant d'interrogations suscitées par ces expressions ? Lorsqu'on ne compte pas s'éterniser quelque part, plutôt que de courir le risque de s'exposer aux remarques pédantes de puristes mal réveillés en disant "je ne vais pas faire long feu ici", disons plutôt "je ne vais pas faire de vieux os" au sens figuré bien sûr, car au sens propre ne pas faire de vieux os renvoie à un passage prématuré de vie à trépas ! A l'inverse, même si cette expression est généralement utilisée dans sa forme négative, on peut dire d'un futur centenaire qu'il fera de vieux os.

Qui se souvient de la chanson de Sacha Distel Mamadou de 1965 :

Quand Mamadou, Mamadou m'a dit
"Toi, mon colon, pas faire long feu ici"
J'lui ai dit "Oh oh, Mamadou, fais ton boulot"
Et je me suis remis à gratter mon banjo
Quand Mamadou, Mamadou m'a ti-
ré dans le dos, du coup j'ai réfléchi
Je m'suis dit "Oh oh, par ici j'ferai pas d'vieux os"
J'ai pris mon fusil, mon couteau et mon banjo
Et le premier bateau... hop !