vendredi 27 mars 2020

Les mots du Bassin



Chaque région a son parler, on pourrait presque dire chaque village ou chaque "pays", au sens régional du terme comme dans "vin de pays". D'ailleurs ne conseillait-on pas jadis aux jeunes hommes d'épouser de préférence une "payse", autrement dit une fille du "pays" ? Le Bassin d'Arcachon, l'un des plus beaux "pays" du monde – et j'entends déjà certains qui me rétorqueront "le plus beau pays du monde" – n'échappe pas à cette règle et a donné naissance à tout un vocabulaire régional.

Nous avons eu l'occasion d'évoquer le vocabulaire de l'ostréiculture (https://francaislanguevivante.blogspot.com/2018/03/les-mots-de-lhuitre.html), soit dit en passant le billet du blog qui a recueilli le plus de vues depuis sa création ; nous n'y reviendrons donc pas aujourd'hui. Commençons par le site le plus emblématique du Bassin d'Arcachon, la Dune du Pilat, la plus haute dune d'Europe. On rencontre deux graphies, souvent confondues : Pilat et Pyla. La dune s'appelle Dune du Pilat : pilat vient du gascon "pilot" qui signifie "tas" ou "monticule". Mais la Dune du Pilat est située à Pyla-sur-Mer, station balnéaire créée par Daniel Meller à proximité de la Dune. Pyla-sur-Mer se trouve être un quartier de la commune de La Teste de Buch­, l'une des plus grandes communes de France métropolitaine. La Teste de Buch est la "capitale" du Pays de Buch, lequel jouxte le Pays de Born plus au sud. Les formes buch ("bug" en gascon") et Bougés pour les habitants seraient dérivées du nom des occupants de la région au début de notre ère : les Boïens, peuplade celte venue d'Europe centrale, qui pourrait tirer son nom des Bohémiens de Tchécoslovaquie. En latin, le Pays de Buch était le "pagus Boïorum". Les Boïates, sont eux aussi un peuple aquitano-celte apparenté aux Boïens et occupant plus ou moins le même territoire. La démarcation entre Boïens et Boïates semble assez difficile à établir.

Vu du ciel à marée basse, le Bassin d'Arcachon apparaît sillonné d'une multitude de chenaux plus ou moins importants ; les plus petits sont les esteys qui s'écoulent dans les chenaux principaux. Les zones du Bassin immergées à marée haute sont les crassats, fonds sablo-vaseux qui accueillent souvent les parcs à huîtres. Et c'est dans ces crassats que sont plantés les pignots (prononcer "pignotte"), des troncs de jeunes arbres qui servent à délimiter les concessions ostréicoles. Il ne faut pas confondre les crassats avec les crastes, qui sont des fossés drainants quadrillant les forêts et les zones humides entourant le Bassin d'Arcachon.

Ce merveilleux écosystème héberge une très grande biodiversité, en particulier aviaire. L'oiseau que l'on a le plus de chance de croiser est le cailloc (ou cayoc ou calhoc), à savoir le goéland (bec jaune) ou la mouette (bec rouge foncé). Rien à voir avec un autre animal emblématique du Bassin (hormis l'hippocampe bien sûr), à savoir le barbot (prononcer "barbotte") ou coccinelle. Les habitants de la commune de Gujan-Mestras sont surnommés les Barbots : l'origine de ce surnom ou chaffre est intéressante ; en effet, au XIXe siècle, les vignes que l'on cultivait encore dans la région, étaient régulièrement attaquées par un insecte prédateur, l'eumolpe, qui présente une – très - lointaine ressemblance avec la coccinelle. Plutôt que de brûler les vignes infestées comme on le leur conseillait, les paysans locaux organisaient souvent des processions religieuses pour que leurs vignes bénéficient d'une protection divine. Lorsque les Testerins (les habitants de la commune voisine de La Teste de Buch) croisaient une telle procession de Gujanais, ils les apostrophaient "Ho ! Lous Barbots !" pour se moquer d'eux. Ce surnom leur est resté jusqu'à aujourd'hui. Hélas, la vigne n'est plus cultivée de nos jours dans le Pays de Buch.

Voilà un tout petit florilège des mots du Bassin. Vous en trouverez beaucoup d'autres dans l'excellent Dictionnaire du Bassin d'Arcachon d'Olivier de Marliave, paru aux Éditions Sud Ouest
(http://www.editions-sudouest.com/livres/dictionnaire-bassin-darcachon/)
Qu'il soit ici remercié !

vendredi 20 mars 2020

Bon baisers ... de loin



Le bombardement médiatique – fort compréhensible vu la situation – auquel a donné lieu la crise sanitaire actuelle se traduit également par un bombardement linguistique autour d'une poignée de mots ou d'expressions dont la fréquence d'emploi suivra la courbe de l'épidémie elle-même.

À moins d'être coupé du monde (dans une émission de téléréalité de type "Big Brother" ou dans une situation comparable à celle de la protagoniste principale du film "Goodbye Lenin"), nul ne peut dire qu'il n'a pas entendu parler de confinement, de distanciation sociale ou de gestes barrières ces jours derniers.

Par un de ces jolis paradoxes dont la langue a le secret, la racine latine de confinement, "confinis", évoque d'abord l'idée de voisinage, de proximité, autrement dit exactement le contraire de ce que l'on nous enjoint aujourd'hui. "Confinis" (de "cum" et "finis") signifie contigu, voisin ou qui confine. D'ailleurs, au XVe siècle, le verbe pronominal se confiner signifiait "être proche par la parenté". C'est plus tard que le sens figuré "se limiter à un espace restreint" prend le pas sur le sens propre. Le confinement  actuel reprend évidemment cette idée de proximité, mais il ne s'agit pas, bien sûr, de proximité avec autrui, mais, bien au contraire, de proximité avec soi-même. Confinement a pris au fil des siècles le sens d'enfermement, d'abord dans le contexte pénal de l'emprisonnement, puis dans celui de l'isolement d'un captif. De nos jours, le confinement indique le fait d'enfermer ou d'être enfermé dans certaines limites, le plus souvent abstraites ; dans la crise sanitaire présente, ces limites sont extrêmement concrètes !

La distanciation sociale est un calque direct de l'anglais "social distancing". Le terme de distanciation existe bien en français mais renvoie généralement au théâtre brechtien : par opposition à l'identification de l'acteur à son personnage, l'effet de distanciation (en allemand "Verfremdungseffekt"), prôné par Bertolt Brecht, privilégie une prise de recul, de distance, de l'acteur à l'égard du personnage qu'il incarne. Cette distanciation a donc une acception plutôt abstraite, voire philosophique. Mais en faisant cet emprunt direct à l'anglais, la distanciation sociale prend un sens totalement concret : maintenons-nous à une distance suffisante des autres pour que leurs postillons (susceptibles de grouiller de virus) ne puissent pas nous atteindre.

Enfin il y a les gestes barrières indispensables pour faire barrage (même racine que barrière) au virus. A l'origine, une barrière est un assemblage de pièces de bois ou de métal fermant un passage. Le cheminot chargé de la surveillance d'un passage à niveau est un garde-barrière. Par extension, barrière désigne la porte d'une ville et l'enceinte fortifiée autour de celle-ci, significations que l'on retrouve dans des toponymes tels que la Barrière de Clichy ou la Barrière du Médoc. Barrière s'emploie aussi dans une acception abstraite, comme par exemple les barrières douanières.

En conclusion de ce deuxième billet inspiré par la triste actualité du moment, je souhaite à toutes mes lectrices et tous mes lecteurs de rester en bonne santé et armés d'un moral d'acier, et j'espère vivement pouvoir, le plus tôt possible, consacrer ce blog à des sujets plus légers.

Restez chez vous et sauvez des vies !

mardi 10 mars 2020

Cherchons la petite bête


S'il ne sera certainement pas élu "personnalité de l'année", le coronavirus sera sans aucun doute le mot de l'année 2020 ! Inutile de vous laver les mains avant de lire ce billet, ni de vous mettre en quarantaine après l'avoir lu. Une quarantaine désigne bien une durée de quarante jours, notamment quand on parle des 40 jours du carême. C'est également, au XVIIe siècle la durée d'isolement recommandée pour éviter la propagation d'une épidémie. Mais de nos jours, dans le domaine médical, une quarantaine ne dure pas nécessairement 40 jours ; on isole simplement le patient pendant la durée requise, jusqu'à ce qu'il ne soit plus contagieux. Dans le cas de la maladie à coronavirus 2019 abrégée en COVID-19 (acronyme anglais signifiant coronavirus disease 2019), la quarantaine ne dure que 14 jours. Perturbés par l'idée qu'une quarantaine puisse durer quatorze jours et n'étant jamais à court d'imagination, les journalistes qualifient désormais cette durée d'isolement de quatorzaine. Une quatorzaine correspond bien à une durée de 14 jours, mais cette acception d'isolement de quatorze jours est un néologisme né dans le sillage du coronavirus apparu fin 2019.

Les coronavirus forment une vaste famille de virus, du latin "virus" qui signifie "suc, jus, humeur", mais aussi "semence des animaux, venin, poison" ou "mauvaise odeur, puanteur, infection". Ce n'est pas une bestiole bien sympathique. Les coronavirus ou "virus à couronne", quant à eux, s'appellent ainsi parce qu'au microscope électronique ils sont caractérisés par une frange de grandes protubérances entourant leur enveloppe avec l'apparence d'une couronne, par analogie avec la couronne solaire. S'il y avait bien une raison pour combattre la monarchie, elle est toute trouvée !

Il ne faut pas confondre les virus, insensibles aux antibiotiques, avec les bactéries ou bacilles qu'on peut trucider à coup d'antibiotiques sauf en cas de résistance. Bactéries et bacilles ont la même étymologie : "baktêria" en grec ou "baculum" en latin qui signifient "bâton" dans les deux cas, par analogie avec la forme de ces microbes (du grec "mikros", petit, et "bios", vie). Quoi qu'il en soit, ces "petites vies" ou micro-organismes nous empoisonnent l'existence et nous rendent malades. Ce dernier terme nous vient également du latin "male habitus" qui signifie "en mauvais état".

Alors qu'on nous égrène quotidiennement les statistiques de l'épidémie (du grec "epidêmos", "qui séjourne (epi) dans un pays ou peuple (dêmos)", on rappellera quelques concepts souvent employés dans ce domaine. Tout d'abord la morbidité, du latin "morbus" (maladie), qui traduit le nombre de malades dans un groupe donné et pendant un temps déterminé. Un concept voisin est celui de prévalence qui correspond au nombre de cas de maladie enregistré, à un moment donné, dans une population déterminée : la prévalence englobe aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens et ne doit pas être confondue avec l'incidence, qui représente le nombre de nouveaux cas apparus pendant une période de temps.

Espérons que l'avenir ne donnera pas raison à Jean de La Fontaine qui, dans "Les Animaux malades de la peste", écrit :
         Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés
Espérons que l'épidémie en reste une et ne se transforme pas en pandémie, en s'étendant au "peuple tout entier" (en grec "pandêmia").

Si vous êtes, chères lectrices, chers lecteurs, arrivés au bout de ce billet, nul besoin de vous immerger dans un bain de solution hydro-alcoolique : les mots ne sont pas contagieux mais, par chance, le plaisir de lire et d'approfondir sa connaissance de la belle langue française peut l'être.


jeudi 5 mars 2020

En-dessous de la ceinture


Le billet de ce jour sera une note de lecture consacrée à un ouvrage que m'a généreusement offert une lectrice assidue de ce blog. Le Bouquin des mots du sexe, paru dans la sympathique Collection Bouquins de Robert Laffont – ouvrage broché de 1056 pages imprimé sur papier bible -, apporte au lecteur un éclairage érudit et facétieux sur l'un des domaines sans doute les plus riches sur le plan lexical de la langue française : le sexe.

En 17 chapitres – d'Artisanat et métiers à Voyages et moyens de transport en passant par Bestiaire, Fruits et légumes, Métaphores militaires, Religion … - l'auteure, Agnès Pierron, nous fait découvrir avec gourmandise ces territoires interdits. Un dicton bien connu nous rappelle qu'"il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que de mauvaises langues" ; la bonne et belle langue française nous apporte ici la démonstration de son inventivité, de son imagination et de son infinie créativité.

Ainsi pourrait-on remplir des pages et des pages avec les expressions qui désignent le sexe de l'homme et de la femme : pour le pénis, on trouve le sceptre d'amour, le flambeau de Cupidon, l'arc-boutant de Nature, le pinceau qui redonne la couleur aux filles, le bourdon des pèlerins amoureux, le ciseau des sculpteurs d'amour, j'en passe et des meilleures. On y accède par la braguette joliment appelée l'ouverture de la flûte enchantée. Chez Madame, on rencontre l'abricot, l'autel, le beau dédale, la citadelle, le temple de Cypris, le fri-fri, le conduit de la pudeur, la conque, le croucougnoux, j'en passe, des vertes et des pas mûres !

Ces deux organes ont bien sûr vocation à se rencontrer. Les désignations imagées du coït sont innombrables : la bricole, la bagatelle, baiser, mettre, casseroler, enbouchonner, une partie de balayette infernale, aller au roudoudou etc. etc. Faute de partenaire, Monsieur se consolera avec la veuve poignet, s'astiquera la colonne Morris, se polira le chinois, se fera mousser le Créateur ou encore  se fera les cuivres façon Grand-Hôtel,  alors que Madame se fera un petit solo de mandoline, écrira à sa famille, fera un solo de jarretelles ou saura le cantique de Thamar.

On ne souhaitera pas à un homme de partir avec le Guignol en bandoulière, mais plutôt de rencontrer une dame qui a l'abricot en folie ou la praline en délire et qui acceptera de prendre les chemins de Fatima (ou de faire des prières à Saint Claude).

Voilà un très bref aperçu des milliers de termes et d'expressions dont regorge ce Bouquin qui trouvera sans difficulté sa place dans l'Enfer de la bibliothèque et qui vaudra peut-être à l'auteur de ce billet de se retrouver directement en Enfer sans même passer par la case Purgatoire.