vendredi 20 mars 2020

Bon baisers ... de loin



Le bombardement médiatique – fort compréhensible vu la situation – auquel a donné lieu la crise sanitaire actuelle se traduit également par un bombardement linguistique autour d'une poignée de mots ou d'expressions dont la fréquence d'emploi suivra la courbe de l'épidémie elle-même.

À moins d'être coupé du monde (dans une émission de téléréalité de type "Big Brother" ou dans une situation comparable à celle de la protagoniste principale du film "Goodbye Lenin"), nul ne peut dire qu'il n'a pas entendu parler de confinement, de distanciation sociale ou de gestes barrières ces jours derniers.

Par un de ces jolis paradoxes dont la langue a le secret, la racine latine de confinement, "confinis", évoque d'abord l'idée de voisinage, de proximité, autrement dit exactement le contraire de ce que l'on nous enjoint aujourd'hui. "Confinis" (de "cum" et "finis") signifie contigu, voisin ou qui confine. D'ailleurs, au XVe siècle, le verbe pronominal se confiner signifiait "être proche par la parenté". C'est plus tard que le sens figuré "se limiter à un espace restreint" prend le pas sur le sens propre. Le confinement  actuel reprend évidemment cette idée de proximité, mais il ne s'agit pas, bien sûr, de proximité avec autrui, mais, bien au contraire, de proximité avec soi-même. Confinement a pris au fil des siècles le sens d'enfermement, d'abord dans le contexte pénal de l'emprisonnement, puis dans celui de l'isolement d'un captif. De nos jours, le confinement indique le fait d'enfermer ou d'être enfermé dans certaines limites, le plus souvent abstraites ; dans la crise sanitaire présente, ces limites sont extrêmement concrètes !

La distanciation sociale est un calque direct de l'anglais "social distancing". Le terme de distanciation existe bien en français mais renvoie généralement au théâtre brechtien : par opposition à l'identification de l'acteur à son personnage, l'effet de distanciation (en allemand "Verfremdungseffekt"), prôné par Bertolt Brecht, privilégie une prise de recul, de distance, de l'acteur à l'égard du personnage qu'il incarne. Cette distanciation a donc une acception plutôt abstraite, voire philosophique. Mais en faisant cet emprunt direct à l'anglais, la distanciation sociale prend un sens totalement concret : maintenons-nous à une distance suffisante des autres pour que leurs postillons (susceptibles de grouiller de virus) ne puissent pas nous atteindre.

Enfin il y a les gestes barrières indispensables pour faire barrage (même racine que barrière) au virus. A l'origine, une barrière est un assemblage de pièces de bois ou de métal fermant un passage. Le cheminot chargé de la surveillance d'un passage à niveau est un garde-barrière. Par extension, barrière désigne la porte d'une ville et l'enceinte fortifiée autour de celle-ci, significations que l'on retrouve dans des toponymes tels que la Barrière de Clichy ou la Barrière du Médoc. Barrière s'emploie aussi dans une acception abstraite, comme par exemple les barrières douanières.

En conclusion de ce deuxième billet inspiré par la triste actualité du moment, je souhaite à toutes mes lectrices et tous mes lecteurs de rester en bonne santé et armés d'un moral d'acier, et j'espère vivement pouvoir, le plus tôt possible, consacrer ce blog à des sujets plus légers.

Restez chez vous et sauvez des vies !

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