dimanche 24 janvier 2021

Il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne


 Les récents événements qui se sont déroulés outre-Atlantique – assaut contre le Capitole le 6 janvier, investiture d'un nouveau Président le 20 janvier et départ peu glorieux de son prédécesseur – donnent une couleur très actuelle à la locution qui sert de titre au présent billet et dont la version originale en latin est Arx tarpeia Capitoli proxima.

Le Capitole de l'Antiquité est la plus petite des 7 collines de Rome, mais c'est là que fut édifié un temple consacré à Jupiter, Junon et Minerve, symbole de puissance et d'honneur. Non loin de ce temple, se trouve justement la roche Tarpéienne (de Tarpeia, la fille de Tarpeius Sempronius, gouverneur de la citadelle du Capitole). La roche Tarpéienne, de sinistre mémoire, fut, pendant l'Antiquité, un lieu d'exécution d'où on précipitait les condamnés à mort. C'est le funeste destin de Marcus Manlius Capitolinus qui est à l'origine de cette locution latine. Réveillé par les célèbres oies du Capitole alors que les Gaulois tentent de s'emparer de la citadelle en 390 av. J.-C., Capitolinus – le bien nommé – alerte les soldats romains et, pendant que ceux-ci s'agitent et essayent de comprendre ce qui se passe, donne un coup de bouclier au premier Gaulois qui a posé le pied sur le sommet de la citadelle, le renversant. Celui-ci tombe et entraîne tous ses compagnons avec lui dans sa chute. Marcus Manlius Capitolinus est alors considéré comme un héros et est couvert d'honneurs. Mais quelques années plus tard, notre héros romain fut accusé d'avoir voulu se faire sacrer roi, acte de haute trahison, et d'avoir détourné une partie de l'or gaulois : cela lui valut d'être condamné à mort et d'être précipité du haut de la roche Tarpéienne. On le voit bien : après les honneurs les plus illustres, la déchéance peut venir bien vite. Ou, autrement dit, après une ascension fulgurante, attention à ne pas tomber de haut.

Mais revenons à notre Capitole américain. Après les événements du 6 janvier, les médias ont rivalisé d'imagination pour qualifier ces émeutes : on a parlé, entre autres, d'insurrection, de factieux, de sédition. Essayons de mettre un peu d'ordre dans ces termes au sens voisin. Insurrection et insurgé nous vient tout droit du latin insurgere qui signifie se dresser pour attaquer ou devenir puissant. Insurgere est formé de in (locatif) et de surgere qui veut dire se mettre debout, s'élever. Et cette même racine nous a donné surgir, source – et le verbe sourdre -, résurgence, surgeon (en botanique), mais aussi ressource et résurrection. Le factieux, qui exerce contre le pouvoir établi une opposition violente, peut appartenir à une faction, un groupe ou mouvement se livrant à des activités factieuses. L'étymologie est ici tout simplement le verbe latin facere qui signifie faire et a produit quantité de dérivés en français : facture par exemple, ou encore façon, perfection, forfait ou factotum etc. Quant à la sédition, une révolte contre l'autorité publique, son étymologie est également latine : seditio, qui signifie action d'aller à part, désunion, discorde. "itio" dans seditio vient du verbe ire, qui signifie tout simplement aller. On retrouve un sens voisin de sédition dans sécession, où "cession" provient du verbe latin cedere qui signifie également aller, marcher.

Certains ont écrit que le Capitole avait été assiégé : le siège (du latin sedes) désigne tout à la fois le meuble sur lequel on s'assied (même étymologie), le lieu où l'on est établi – le siège social d'une entreprise -, mais aussi, par métonymie, l'action d'une armée qui assiège. On peut faire le siège d'une personne ou d'une administration dont on attend un rendez-vous, mais on peut aussi lever le siège au moment de partir. La même étymologie a produit l'adjectif obsidional, du latin obsidionalis qui signifie relatif au siège d'une ville. La corona (!!!) obsidionalis était la couronne honorant celui qui avait délivré une ville assiégée. Il y a quelques jours, dans son discours aux Armées, le président de la République parlait de peurs obsidionales. Si la fièvre obsidionale est une sorte de psychose collective qui frappe une population assiégée ou se croyant assiégée, ces peurs obsidionales évoquées par Emmanuel Macron se réfèrent sans doute aux fortes tensions intérieures et extérieures qui touchent durement l’armée française ces derniers temps. Je ne me hasarderai pas à chiffrer le pourcentage de la population qui aura compris le sens de cette expression sans avoir besoin de consulter un dictionnaire.

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dimanche 3 janvier 2021

Le français est une langue formidable !


En ce début d'année et de décennie, j'adresse aux fidèles – et nouveaux – lecteurs de ce blog mes vœux la plus chaleureux. Contrairement à ce que j'imaginais, vœu n'a rien à voir avec le verbe vouloir qui nous donne pourtant l'homophone "je veux". Vœu est issu du latin "votum" qui désigne à l'origine une promesse faite aux dieux en échange d'une faveur demandée ou accordée, et par extension, un objet votif, que l'on pourra vouer à une divinité. La même étymologie nous a également donné vote. De là à penser que l'expression d'un vote n'est rien d'autre qu'un vœu pieux, il y a un pas que je m'abstiendrais de franchir car je voue un profond respect à la démocratie électorale.

Mais je m'éloigne de l'objet initial de ce billet qui était de vous proposer un petit florilège (étymologiquement un bouquet de fleurs choisies) d'expressions françaises commentées avec grâce et humour par Alain Rey, récemment disparu, dans l'ouvrage "150 drôles d'expressions que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître", que je ne saurais que trop vous recommander.

Alors qu'en violation flagrante de toutes les règles en vigueur en ce moment vous vous apprêtiez à faire la nouba, vous dûtes (jolie, la deuxième personne du pluriel du passé simple du verbe devoir, n'est-ce-pas ?) finalement renoncer à votre projet faute de moyen de transport adéquat. Vous avez, en quelque sorte, raté le coche. Qui aurait pensé que ce coche – et ses dérivés coach (en anglais et en franglais) et cocher – nous vient du hongrois, plus précisément de "kocsi", terme lui-même issu de "Kocs", nom d'un relais de poste sur la route entre Vienne et Pest ?

Mais quid de la nouba ? Il s'agit de l'un des nombreux emprunts du français à l'arabe, en l'espèce "nuba" en arabe maghrébin qui correspond à "nawba" en arabe classique : ce terme signifie "tour" au sens de "tour de rôle". Chez les militaires de l'autre côté de la Méditerranée, ce terme désignait un service de garde effectué à tour de rôle. Or, l'usage voulait que les soldats jouent périodiquement de la musique devant la maison de l'officier ou du dignitaire qu'ils gardaient : les musiciens prenaient cette fonction en se succédant, chacun à son tour. Par extension le terme de nouba désigna le type de musique joué à cette occasion, principalement des airs populaires d'Afrique du Nord interprétés le plus souvent avec des fifres et des tambourins. Ce sont les tirailleurs algériens de l'armée coloniale qui ont importé la nouba en métropole à la fin du XIXe siècle. Bien avant la teuf d'aujourd'hui, la nouba désignait des réjouissances collectives tout comme la bamboche, la bamboula, la bombe, la bringue, la fiesta, la java ou la noce !

Au cours de cette détestable année 2020 que nous allons nous empresser de jeter aux oubliettes, nombreux ont été ceux qui ont eu le sentiment de se retrouver au bout du rouleau. Rien à voir avec la ruée sur les stocks de papier hygiénique au début du confinement (même si l'épuisement de ce rouleau-là peut entraîner une situation fort inconfortable). Dans le cas présent, ce rouleau au bout duquel on se retrouve était à l'origine un rollet ou petit rôle (au sens de rôle de théâtre) : le texte que l'acteur médiéval devait déclamer était écrit sur un rouleau de parchemin ; lorsque le rôle était bref, on se contentait d'un rollet. Arrivé beaucoup trop vite au bout du rouleau (du rollet), tout espoir de gloire s'envolait. Le rôle des impôts ou du tribunal vient également de là : actes, listes, registres à caractère officiel. Et lorsqu'un registre est tenu en double car il s'agit d'actes très importants, on a un contre-rôle, qui permet… le contrôle. Malheureusement, le fisc, lui, ne semble jamais être au bout du rouleau !

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