samedi 18 décembre 2021

Au pied de la lettre (grecque)

 

À l'heure où le variant omicron est sur le point de remplacer le variant delta, le simple citoyen lambda que je suis se sent un peu perdu en écoutant les déclarations savantes des éminents spécialistes qui maîtrisent l'alpha et l'oméga de l'épidémiologie.

Parfois, certains d'entre eux adoptent le comportement d'un mâle alpha pour imposer leur point de vue, surtout lorsqu'ils ont face à eux des contradicteurs qui refusent de bouger d'un iota dans leur propos. Et pourtant, le delta qui les sépare est souvent infiniment plus petit que celui du Nil ou du Rhône.

Mais si l'on s'aventure à vouloir faire le sigma de tout ce que l'on entend et que l'on lit à propos de cette pandémie, on risque fort de devoir, tôt ou tard, consulter un psy pour ne pas complètement perdre son latin, pardon, son grec !

En attendant qu'un logiciel, même dans une version beta, nous annonce de quoi demain sera fait, à tous les fidèles lecteurs de ce blog, je souhaite καλά Χριστούγεννα.

vendredi 19 novembre 2021

(C)iel mon français !



Mais quelle mouche a donc piqué le Petit Robert – ou faudrait-il écrire la Petite Roberte – pour faire entrer dans son dictionnaire en ligne le néologisme iel – au pluriel iels  avec la définition suivante : "Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre" ? Contrairement à son habitude, le dictionnaire ne donne ici aucun exemple d'utilisation. Faut-il écrire iel est beau, iel est belle ou bien iel est be·au·lle ?

Sommes-nous ici en présence d'un nouvel avatar de l'écriture inclusive dont l'ambition, avec notamment le fameux point médian, est de "dégenrer" la langue française ? On confond le genre grammatical et le genre biologique. Nous avons eu l'occasion de livrer nos réflexions sur l'écriture inclusive dans un billet de ce même blog publié le 1er novembre 2017 et nous ne les réitérerons pas ici.

Il est parfaitement normal qu'une langue évolue au gré des évolutions de la société. Ainsi la féminisation de nombreuses professions est-elle totalement entrée dans l'usage. Et c'est justement l'usage qui tranche en dernier ressort de la persistance ou non d'un terme ou d'une expression dans une langue. Ce qui heurte dans la décision des éditions Le Robert, c'est cette façon de mettre la charrue avant les bœufs et d'admettre dans son dictionnaire en ligne un pronom que pratiquement personne n'a jamais entendu, lu ou employé. Si, dans quelques années, iel est couramment employé à l'oral et à l'écrit, alors il serait parfaitement normal de le trouver dans les dictionnaires, ceux-ci ayant pour mission de refléter l'usage et non de le devancer.

On nous dit que le français ne connaît que le masculin et le féminin et qu'il lui manque donc le genre neutre qu'on trouve dans d'autres langues, comme l'anglais ou l'allemand par exemple. Et si le masculin français était en fait un neutre ? Lorsque je dis "bonjour à tous" à une assemblée mixte, je m'adresse aussi bien aux femmes qu'aux hommes, mais aussi à tous les "non binaires". "Tous" est ici neutre. Alors que si je dis "bonjour à toutes et à tous" je mets explicitement en avant le genre/le sexe des personnes présentes, et j'exclus de ce fait les "non binaires". Paradoxalement, dans la grammaire française c'est peut-être le féminin qui marque une singularité alors que l'autre genre – traditionnellement qualifié de masculin, mais en vérité plus proche du neutre – est, quant à lui, véritablement inclusif puisqu'il ne fait aucune distinction de genre.

Pour conclure sur une note musicale, voici les paroles de l'excellent "Rap idyllique" de Claude Nougaro dont on a peine à imaginer une version "dégenrée".

Elle se promène dans la ville
Il la suit car elle est belle
Elle dans la foule se faufile
Il la poursuit de plus belle
Elle alors s'arrête pile
Il lève les yeux au ciel
Elle et il, il et elle
Elle lui dit: "C'est inutile"
Il bégaie: "Mademoiselle"
Elle dit: "Laissez-moi tranquille"
Il répond: "Vous êtes si belle"
Elle perd son air hostile
Il sent qu'elle se dégèle
Elle et il, il et elle
Elle se met à bat-
tre des cils
Il se sent pousser des ailes
Elle lui trouve un air viril
Il lui chante sa ritournelle
Elle s' dit: "Ainsi soit-il"
Il s' dit: "Ainsi soit elle"
Allélou elle et il, il et elle
Elle habilement tire les fils
Il est maintenant fou d'elle
Elle le tourne sur le gril
Il lui cherche alors querelle
Elle: "Des ils, il y en a mille"
Il: "Et des elles à la pelle"
Elle a la larme facile
Il s'met à genoux devant elle
Elle évidemment jubile
Il promet d'être fidèle
Elle promet d'être docile
Il froisse un peu ses dentelles
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
D'elle et d'il, d'il et d'elle
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
Ils partent en lune de miel
D'aile en aile, d'île en île
Ils auront des ribambelles
D'elles et d'ils, d'ils et d'elles, d'elles et d'ils, d'ils et d'elles


dimanche 31 octobre 2021

Ces chères têtes blondes (ou brunes, ou rousses…)

 

La langue ne manque pas d'imagination lorsqu'il s'agit de parler des enfants : gosse, gamin, môme, mouflet, marmot, moutard, chenapan, garnement, polisson, canaille, fripouille, drôle, j'en passe et des meilleures.

Commençons par le mot enfant (terme épicène puisque aussi bien masculin que féminin), qui nous vient du latin infans signifiant "qui ne parle pas" : le préfixe négatif in est suivi de fans, participe présent de fari "parler" rattaché à une racine indoeuropéenne voulant dire à la fois "éclairer" (ce qui nous a donné phénomène) et "parler" (qu'on retrouve dans aphasie, emphase ou fable). Si l'enfant ne parle pas, il produit cependant des sons peu articulés tels que mom, un radical expressif qui aurait donné môme. Ce terme n'est pas très sympathique, sauf, bien sûr, lorsque Léo Ferré chante Jolie Môme !

L'origine de gosse est assez obscure : peut-être du provençal gous "chien" et ses variantes gousse, gousset, goussoun pour "petit chien". Il y a quelque chose de condescendant dans gosse et l'on ne pourrait que se réjouir de voir disparaître l'emploi ce terme de la langue française. Et attention : en français canadien, les gosses désignent les testicules, non pas parce que ces organes sont sollicités lors de la fabrication des enfants, mais par analogie de forme avec une gousse (d'ail par exemple). Parmi les expressions péjoratives pour désigner les enfants, on citera également mouflet et moutard. L'étymologie de mouflet (féminin mouflette) renvoie à l'allemand Muffel "museau" et désigne quelque chose de rebondi, de joufflu. On retrouve la même origine dans les mots mufle et moufle. Quant à la vilaine appellation moutard, son origine est également incertaine : peut-être moulte ou mote qui désigne en franc-comtois et franco-provençal une "chèvre sans cornes", ces dernières étant les plus jeunes (au 17e siècle dans le Dauphiné un mottet désignait un petit garçon ou un jeune homme). Moutard n'est pas employé au féminin en raison de l'homonymie avec moutarde, qui vient de moût.

Le gamin et la gamine sont également caractérisés par un flou étymologique. L'Encyclopédie (18e siècle) désigne par ce mot le jeune aide du verrier (dans l'article consacré à la verrerie). L'origine est peut-être à chercher dans l'alémanique gammel qui signifie à la fois "joie bruyante" et "jeune homme dégingandé, vaurien". Le marmot, quant à lui, serait apparenté à un petit singe, le marmouset – sorte de ouistiti - de même étymologie. On trouve la même origine dans les verbes marmotter et marmonner en raison des mouvements continuels que les singes, mais aussi les marmottes, font avec leurs babines. À moins que, autre hypothèse, on ait affaire ici à un dérivé de mermer, marmer "raccourcir", du latin minimare,  en raison du museau aplati et comme raccourci du singe et de la marmotte.

Le chenapan, lui, nous vient de l'allemand Schnapphahn, "voleur de grand chemin", le verbe schnappen signifiant "attraper", "s'emparer vivement de quelque chose". Quant au garnement, il partage son étymologie avec le verbe garnir. Un garnement désignait à l'origine l'équipement d'un soldat, et, par métonymie, un homme armé, puis un vaurien. Le terme anglais garment désigne toujours un vêtement. Le polisson est à l'origine celui qui polit (dans le sens de nettoyer, laver), c'est-à-dire qui "écoule la marchandise qu'il a volé". On retrouve la même idée dans le concept de blanchiment (d'argent sale). Le polisson était le gueux, le vagabond qui revendait les vêtements qu'il avait mendiés. Par extension, le terme a fini par désigner un petit garçon un peu fripon et espiègle. La fripouille – qui n'est d'ailleurs pas forcément un enfant – est apparentée au fripon et à la fripe. À l'origine, c'est un bon à rien (comme une fripe, un haillon qui ne vaut pas grand-chose) ; aujourd'hui c'est une personne dénuée de scrupules.

Avec la canaille, nous retrouvons l'univers des chiens, puisque le terme italien canaglia désigne une troupe de chiens (du latin canis "le chien"). La canaille (qui existait en ancien français sous la forme de chienaille ou chenaille) désignait de manière péjorative le "bas peuple" ; ce sens a fini par évoluer et il n'y a rien d'offensant à traiter aujourd'hui un enfant de petite canaille. Dans le sud de la France les enfants sont souvent qualifiés de drôles : le terme nous renvoie sans doute au moyen néerlandais drolle, drol "lutin, petit bonhomme". Un lien avec le troll scandinave (lutin) n'est pas à exclure, mais n'est pas avéré.

Si, comme nous le faisions remarquer en introduction, l'enfant est celui "qui ne parle pas", il fait en revanche abondamment parler de lui comme en témoigne l'excellent Robert historique de la langue française (publié sous la direction d'Alain Rey) dont ce billet – et plus généralement ce blog – se nourrit régulièrement.

jeudi 19 août 2021

Une vraie tuerie !


 Le verbe latin cædere, qui signifie frapper, abattre, couper, tuer, massacrer est à l'origine du suffixe français –cide que l'on retrouve dans de nombreux substantifs et adjectifs de notre langue, à commencer par le suicide, le fait de se tuer soi-même.

Ainsi, n'entend-on que trop souvent parler de féminicide – le fait de tuer une femme parce qu'elle est une femme. Dans le passé, le terme d'uxoricide (du latin uxor=femme, épouse) a également existé et désignait le meurtre de l'épouse par son mari, en général pour cause d'adultère de l'épouse en question. Le code pénal de 1810 autorise même officiellement l'uxoricide lorsque l'épouse est prise en flagrant délit d'adultère.

À l'inverse, il n'existe pas de terme établi pour désigner le meurtre d'un homme parce qu'il est un homme. Le coupable d'homicide peut avoir tué indifféremment un homme ou femme (du latin homo=homme au sens d'être humain). On rencontre parfois hominicide ou masculinicide pour préciser que l'homme en question a été tué en raison de son appartenance au sexe masculin. Si la langue n'a pas jugé utile de consacrer formellement un terme à cette action c'est tout simplement qu'il s'agit d'une occurrence extrêmement rare.

On retrouve une telle asymétrie avec le terme fratricide (de latin frater=frère) qui désigne indifféremment le meurtre d'un frère ou d'une sœur. Si le terme de sororicide se rencontre, il n'est quasiment jamais employé. Même chose avec parricide (du latin pater=père) : c'est le fait de tuer son père ou sa mère. On rencontre parfois matricide pour souligner qu'il s'agit du meurtre de la mère. Et bien sûr il y a hélas aussi l'infanticide dont la victime peut être un ou une enfant tué(e) par l'un de ses parents.

Si l'on considère que la langue est le reflet de la société humaine, cette dernière a vraiment le goût de tuer : insecticide, pesticide, bactéricide, virucide, herbicide, fongicide, raticide, souricide, taupicide etc.  Et quand cette propension au meurtre se dirige contre tout un peuple, on est en présence d'un génocide, ou d'un ethnocide lorsqu'il s'agit d'exterminer un groupe ethnique. À l'inverse, quand le peuple se révolte, il peut aller jusqu'au régicide et tuer son roi, voire le tyran : dans ce cas c'est un tyrannicide.

Quant au meurtre de Dieu – ce qui peut tout de même paraître un peu paradoxal, Dieu étant par essence éternel – c'est un déicide, ce terme étant plus particulièrement employé pour désigner la crucifixion du Christ. Enfin, l'actualité de ces dernières semaines a mis au goût du jour le terme liberticide : certains dénoncent comme attentatoires à la liberté des mesures sanitaires dont l'objet est précisément de protéger la vie et de combattre la mort.

Quant aux parents des assassins et meurtriers en tout genre, s'ils avaient pu se douter du destin de leur progéniture, nul doute qu'ils auraient utilisé un spermicide !

jeudi 15 juillet 2021

Ça pass(e) ou ça casse

 

Depuis des semaines, on ne cesse de nous rebattre les oreilles – et surtout les yeux – avec l'expression pass sanitaire. Mais pourquoi, grands dieux, pass et non passe, ou, mieux encore passeport sanitaire ?! Il semble bien que le snobisme anglomaniaque ait encore frappé. Ainsi rencontre-t-on pass dans la quasi-totalité des médias et jusque dans la transcription, sur le site internet de l'Élysée, de l'allocution présidentielle du 12 juillet. Il n'y a guère que le Conseil d'État qui, dans une décision contentieuse du 6 juillet 2021, écrit passe sanitaire.

On ne peut être qu'interpellé, voire interloqué, par cette élision de la lettre "e" qui ne transforme pas pour autant le pass sanitaire  en œuvre littéraire comparable à La disparition, le célèbre roman en lipogramme de Georges Perec ne comportant pas une seule fois la lettre "e" en quelque 300 pages.

Le verbe passer ainsi que ses dérivés nous viennent du latin passus –"pas" – et passare – "traverser". Si nous sommes de passage sur cette Terre, nous avons cependant tous un passé qui peut se conjuguer au passé simple, antérieur ou composé. En dénonçant l'anglicisation rampante de la langue française, nous ne sommes pas pour autant passéistes, mais plutôt passablement énervés par tous ceux qui laissent passer ces assauts contre notre belle langue.

Le substantif passe existe en français. Au féminin, on peut faire des passes au football, au rugby et dans nombre d'autres sports de balle. Il y a, bien sûr, aussi les maisons de passe. Et les saumons et autres poissons migrateurs apprécient les passes migratoires qui leur facilitent la remontée des cours d'eau. Enfin, les amoureux du Bassin d'Arcachon – dont l'auteur de ce blog fait partie – connaissant naturellement les passes – souvent dangereuses - que doit franchir tout navigateur désireux d'entrer ou de sortir du Bassin.

Au masculin, passe est une abréviation de passe-partout, terme qui désigne, entre autres, une clef permettant d'ouvrir plusieurs portes, comme celles qu'utilisent par exemple les employés d'hôtel, les facteurs ou les cambrioleurs. C'est précisément ce que permet de faire – au sens figuré – le fameux passe sanitaire, en ouvrant aux personnes vaccinées contre la Covid (ou testées négativement) les portes des établissements recevant du public. Mais nous aurions même une préférence pour l'expression passeport sanitaire, malgré le handicap que constitue la présence d'une syllabe supplémentaire par rapport à passe.

Au risque de nous faire traiter de Don Quichotte se battant contre des moulins à vent, c'est dans la langue de Cervantès que nous répliquerons à ceux qui s'escriment à abâtardir la langue française par des emprunts parfaitement inutiles à l'anglo-américain : ¡No pasarán!


dimanche 4 avril 2021

SOS – prépositions en danger !

Parmi les innombrables avanies qu'on inflige à la langue française, le sort réservé aux prépositions s'apparente à un véritable massacre à la tronçonneuse. Certes, ils ne payent pas de mine, ces petits mots tels que de, à, depuis, pour, sur…, mais ils jouent pourtant un rôle essentiel dans la clarté de l'expression.

Commençons par la préposition sur, mangée à toutes les sauces – plus indigestes les unes que les autres – par les temps qui courent. "La semaine prochaine, je serai sur Paris" ! Ah bon ; et pourquoi pas à Paris ? "Et une fois arrivé, je me remettrai sur votre dossier". Sauf à vouloir littéralement s'asseoir sur le dossier, ne vaudrait-il pas mieux dire "je reprendrai l'étude de votre dossier". "Je suis sur un coup", "je suis sur une affaire", autant d'emplois fautifs de cette préposition. Là où cela se corse, c'est avec une phrase telle que "le parlement reviendra sur ce texte en fin de législature". "Revenir sur" signifie "mettre en cause ce qui a été décidé précédemment, changer d'avis, annuler un choix antérieur" ; or très fréquemment, "revenir sur" est employé fautivement à la place de "revenir à". Si le parlement revient sur un texte, c'est qu'il compte le modifier, lui donner une autre orientation. S'il souhaite simplement en reprendre l'examen, il revient à ce texte.

Doit-on dire ou écrire "il continue à boire" ou "il continue de boire". La nuance est ici bien subtile, et la confusion entre les deux prépositions ne saurait être considérée à proprement parler comme une faute. "Continuer à" s'emploie pour décrire une action qui débute et se poursuit dans le temps alors que "continuer de" se réfère plutôt à une habitude, à quelque chose qu'on n'a pas cessé de faire. Autrement, celui qui a porté un verre à ses lèvres et poursuit son action jusqu'à le vider "continue à boire", alors que celui qui "continue de boire" est un alcoolique qui persévère dans son vice.

Dois-je remercier les lectrices et lecteurs de ce blog de leur fidélité ou bien pour leur fidélité ? Là aussi la nuance est fine. Remercier pour s'emploie plutôt avec un nom concret - je vous remercie pour ce cadeau, pour ces fleurs – alors que remercier de est généralement suivi d'un nom abstrait : je vous remercie de votre confiance, de votre fidélité. Et la préposition de s'impose naturellement lorsque le remercier est suivi d'un verbe à l'indicatif : je vous remercie de m'avoir invité, et surtout pas "pour m'avoir invité". (Dans le sud de la France, on entend assez régulièrement "je vous remercie à tous" : cet emploi fautif dérive probablement de "merci à tous", qui est tout à fait correct).

Autre confusion bien fréquente sur les ondes et dans tous les médias : participer à et participer de. Participer à signifie tout simplement prendre part à une activité donnée : je participe à la fête. Participer de, en revanche, signifie "avoir une similitude de nature avec", "relever de" : ce spectacle participe de la danse et du théâtre. On pourrait dire : ce blog aimerait participer au rayonnement de la francophonie et il participe d'une conception de la langue qui ne se veut pas élitiste.

Nous finirons avec la préposition depuis, bien souvent maltraitée dans les médias avec des formules telles que "nous retrouvons notre correspondant depuis Londres". La préposition depuis doit être réservée aux compléments circonstanciels de temps : "je ne l'ai pas vu depuis lundi dernier". Depuis ne peut s'employer avec un complément circonstanciel de lieu qu'avec un verbe de mouvement, par exemple : "depuis Paris nous avons roulé toute la nuit vers le sud" ou bien, en corrélation avec jusqu'à : "La France s'étend depuis Strasbourg jusqu'à Brest, depuis Dunkerque jusqu'à Perpignan". Mais une chose est sûre, je vous écris aujourd'hui d'Arcachon et certainement pas depuis Arcachon !

P. S. : On se souvient de quelque-chose, mais on se rappelle quelque-chose et on remédie à un problème, mais on pallie une difficulté. 

P. P. S. : Vous êtes un amoureux de la langue française et fréquentez Facebook ? Rejoignez-nous dans le Groupe "Langue française, langue vivante !"

dimanche 24 janvier 2021

Il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne


 Les récents événements qui se sont déroulés outre-Atlantique – assaut contre le Capitole le 6 janvier, investiture d'un nouveau Président le 20 janvier et départ peu glorieux de son prédécesseur – donnent une couleur très actuelle à la locution qui sert de titre au présent billet et dont la version originale en latin est Arx tarpeia Capitoli proxima.

Le Capitole de l'Antiquité est la plus petite des 7 collines de Rome, mais c'est là que fut édifié un temple consacré à Jupiter, Junon et Minerve, symbole de puissance et d'honneur. Non loin de ce temple, se trouve justement la roche Tarpéienne (de Tarpeia, la fille de Tarpeius Sempronius, gouverneur de la citadelle du Capitole). La roche Tarpéienne, de sinistre mémoire, fut, pendant l'Antiquité, un lieu d'exécution d'où on précipitait les condamnés à mort. C'est le funeste destin de Marcus Manlius Capitolinus qui est à l'origine de cette locution latine. Réveillé par les célèbres oies du Capitole alors que les Gaulois tentent de s'emparer de la citadelle en 390 av. J.-C., Capitolinus – le bien nommé – alerte les soldats romains et, pendant que ceux-ci s'agitent et essayent de comprendre ce qui se passe, donne un coup de bouclier au premier Gaulois qui a posé le pied sur le sommet de la citadelle, le renversant. Celui-ci tombe et entraîne tous ses compagnons avec lui dans sa chute. Marcus Manlius Capitolinus est alors considéré comme un héros et est couvert d'honneurs. Mais quelques années plus tard, notre héros romain fut accusé d'avoir voulu se faire sacrer roi, acte de haute trahison, et d'avoir détourné une partie de l'or gaulois : cela lui valut d'être condamné à mort et d'être précipité du haut de la roche Tarpéienne. On le voit bien : après les honneurs les plus illustres, la déchéance peut venir bien vite. Ou, autrement dit, après une ascension fulgurante, attention à ne pas tomber de haut.

Mais revenons à notre Capitole américain. Après les événements du 6 janvier, les médias ont rivalisé d'imagination pour qualifier ces émeutes : on a parlé, entre autres, d'insurrection, de factieux, de sédition. Essayons de mettre un peu d'ordre dans ces termes au sens voisin. Insurrection et insurgé nous vient tout droit du latin insurgere qui signifie se dresser pour attaquer ou devenir puissant. Insurgere est formé de in (locatif) et de surgere qui veut dire se mettre debout, s'élever. Et cette même racine nous a donné surgir, source – et le verbe sourdre -, résurgence, surgeon (en botanique), mais aussi ressource et résurrection. Le factieux, qui exerce contre le pouvoir établi une opposition violente, peut appartenir à une faction, un groupe ou mouvement se livrant à des activités factieuses. L'étymologie est ici tout simplement le verbe latin facere qui signifie faire et a produit quantité de dérivés en français : facture par exemple, ou encore façon, perfection, forfait ou factotum etc. Quant à la sédition, une révolte contre l'autorité publique, son étymologie est également latine : seditio, qui signifie action d'aller à part, désunion, discorde. "itio" dans seditio vient du verbe ire, qui signifie tout simplement aller. On retrouve un sens voisin de sédition dans sécession, où "cession" provient du verbe latin cedere qui signifie également aller, marcher.

Certains ont écrit que le Capitole avait été assiégé : le siège (du latin sedes) désigne tout à la fois le meuble sur lequel on s'assied (même étymologie), le lieu où l'on est établi – le siège social d'une entreprise -, mais aussi, par métonymie, l'action d'une armée qui assiège. On peut faire le siège d'une personne ou d'une administration dont on attend un rendez-vous, mais on peut aussi lever le siège au moment de partir. La même étymologie a produit l'adjectif obsidional, du latin obsidionalis qui signifie relatif au siège d'une ville. La corona (!!!) obsidionalis était la couronne honorant celui qui avait délivré une ville assiégée. Il y a quelques jours, dans son discours aux Armées, le président de la République parlait de peurs obsidionales. Si la fièvre obsidionale est une sorte de psychose collective qui frappe une population assiégée ou se croyant assiégée, ces peurs obsidionales évoquées par Emmanuel Macron se réfèrent sans doute aux fortes tensions intérieures et extérieures qui touchent durement l’armée française ces derniers temps. Je ne me hasarderai pas à chiffrer le pourcentage de la population qui aura compris le sens de cette expression sans avoir besoin de consulter un dictionnaire.

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dimanche 3 janvier 2021

Le français est une langue formidable !


En ce début d'année et de décennie, j'adresse aux fidèles – et nouveaux – lecteurs de ce blog mes vœux la plus chaleureux. Contrairement à ce que j'imaginais, vœu n'a rien à voir avec le verbe vouloir qui nous donne pourtant l'homophone "je veux". Vœu est issu du latin "votum" qui désigne à l'origine une promesse faite aux dieux en échange d'une faveur demandée ou accordée, et par extension, un objet votif, que l'on pourra vouer à une divinité. La même étymologie nous a également donné vote. De là à penser que l'expression d'un vote n'est rien d'autre qu'un vœu pieux, il y a un pas que je m'abstiendrais de franchir car je voue un profond respect à la démocratie électorale.

Mais je m'éloigne de l'objet initial de ce billet qui était de vous proposer un petit florilège (étymologiquement un bouquet de fleurs choisies) d'expressions françaises commentées avec grâce et humour par Alain Rey, récemment disparu, dans l'ouvrage "150 drôles d'expressions que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître", que je ne saurais que trop vous recommander.

Alors qu'en violation flagrante de toutes les règles en vigueur en ce moment vous vous apprêtiez à faire la nouba, vous dûtes (jolie, la deuxième personne du pluriel du passé simple du verbe devoir, n'est-ce-pas ?) finalement renoncer à votre projet faute de moyen de transport adéquat. Vous avez, en quelque sorte, raté le coche. Qui aurait pensé que ce coche – et ses dérivés coach (en anglais et en franglais) et cocher – nous vient du hongrois, plus précisément de "kocsi", terme lui-même issu de "Kocs", nom d'un relais de poste sur la route entre Vienne et Pest ?

Mais quid de la nouba ? Il s'agit de l'un des nombreux emprunts du français à l'arabe, en l'espèce "nuba" en arabe maghrébin qui correspond à "nawba" en arabe classique : ce terme signifie "tour" au sens de "tour de rôle". Chez les militaires de l'autre côté de la Méditerranée, ce terme désignait un service de garde effectué à tour de rôle. Or, l'usage voulait que les soldats jouent périodiquement de la musique devant la maison de l'officier ou du dignitaire qu'ils gardaient : les musiciens prenaient cette fonction en se succédant, chacun à son tour. Par extension le terme de nouba désigna le type de musique joué à cette occasion, principalement des airs populaires d'Afrique du Nord interprétés le plus souvent avec des fifres et des tambourins. Ce sont les tirailleurs algériens de l'armée coloniale qui ont importé la nouba en métropole à la fin du XIXe siècle. Bien avant la teuf d'aujourd'hui, la nouba désignait des réjouissances collectives tout comme la bamboche, la bamboula, la bombe, la bringue, la fiesta, la java ou la noce !

Au cours de cette détestable année 2020 que nous allons nous empresser de jeter aux oubliettes, nombreux ont été ceux qui ont eu le sentiment de se retrouver au bout du rouleau. Rien à voir avec la ruée sur les stocks de papier hygiénique au début du confinement (même si l'épuisement de ce rouleau-là peut entraîner une situation fort inconfortable). Dans le cas présent, ce rouleau au bout duquel on se retrouve était à l'origine un rollet ou petit rôle (au sens de rôle de théâtre) : le texte que l'acteur médiéval devait déclamer était écrit sur un rouleau de parchemin ; lorsque le rôle était bref, on se contentait d'un rollet. Arrivé beaucoup trop vite au bout du rouleau (du rollet), tout espoir de gloire s'envolait. Le rôle des impôts ou du tribunal vient également de là : actes, listes, registres à caractère officiel. Et lorsqu'un registre est tenu en double car il s'agit d'actes très importants, on a un contre-rôle, qui permet… le contrôle. Malheureusement, le fisc, lui, ne semble jamais être au bout du rouleau !

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