vendredi 30 mars 2018

Les mots de l'huître



Je vous propose aujourd'hui de m'accompagner sur une plate ostréicole à la découverte – linguistique – de l'ostréiculture du Bassin d'Arcachon. La plate est cette embarcation à fond plat utilisée couramment par les ostréiculteurs, appelés aussi parqueurs ; avec son tirant d'eau très faible, la plate – ou bateau-bac - a remplacé la pinassotte ou petite pinasse, véritable emblème du Bassin d'Arcachon. Avant de visiter les parcs à marée basse, n'oubliez pas de chausser des mastouns ou patins à vase, faute de quoi vous risquez bien vite de vous enfoncer profondément dans la vase. Et, si vous êtes accompagné par une ostréicultrice, n'oubliez pas d'admirer sa benaise, la coiffe traditionnelle des parqueuses.

L'élevage de l'huître est une succession d'opérations complexes et ardues réalisées avec passion par les "paysans de la mer". Tout d'abord, il convient de capter les larves d'huîtres ou naissain : à cette fin, on immerge des collecteurs, le plus souvent des tuiles chaulées. C'est le naturaliste Victor Coste qui a été le premier, en 1859, à utiliser des tuiles pour capter les larves d'huîtres ; la technique semblait concluante, à ceci près que, si le naissain, se fixait bien sur les tuiles et s'y développait, il était difficile de détacher ensuite les larves sans abîmer les coquilles. Heureusement, en 1865, un maçon arcachonnais, Jean Michelet, pense à chauler les tuiles, c'est-à-dire à les enduire d'un mélange de chaux et de sable. Les larves d'huîtres s'y fixent tout aussi bien, mais sont ensuite beaucoup plus facile à détacher.

Cette opération au cours de laquelle on détache les jeunes huîtres des collecteurs s'appelle le détroquage, à ne pas confondre avec le désatroquage, qui consiste à séparer les huîtres collées les unes aux autres. Une fois détroquées, les jeunes huîtres sont placées dans des poches grillagées appelées ambulances qui sont immergées dans les parcs où les huîtres se développeront durant trente à quarante-huit mois. A l'origine, les ambulances étaient des casiers en bois avec un fond en grillage, aujourd'hui ce sont des poches en plastique. Les ambulances sont placées dans les parcs sur des chantiers métalliques, sortes de grandes tables en métal immergées ; la culture dite "au sol" existe également. Au bout de 18 mois, on sort les ambulances pour désatroquer les huîtres avant de les immerger à nouveau pour qu'elles poursuivent leur développement.

Avant d'être commercialisées, les huîtres doivent encore être affinées, c.-à-d. nettoyées, en séjournant quelque temps dans des sortes de piscines remplies d'eau de mer, les dégorgeoirs appelés aussi les claires. Ainsi s'explique l'expression fines de claire qu'on rencontre souvent sur les cartes de restaurants.

La prochaine fois que vous verrez des huîtres dans une bourriche (mot à l'étymologie incertaine) vous penserez à ce long processus qui s'est écoulé entre le captage du naissain et le couteau de l'écailler.

samedi 24 mars 2018

La chocolatine, j'vous la mets dans une poche ?


L'"Atlas du Français de nos Régions" de Mathieu Avanzi, paru aux éditions Armand Colin, nous donne l'occasion d'un petit périple pittoresque qui nous fera découvrir les variantes régionales de notre belle langue française.

A l'heure où le château de Villers-Cotterêts, où fut signée, en 1539, la fameuse ordonnance instaurant la langue française comme langue officielle des services juridiques et administratifs, est appelé à devenir une "Cité de la francophonie" comme l'a annoncé le Président de la République le 20 mars 2018 lors de la Journée de la Francophonie, il est bon de se souvenir que, contrairement à la République, la langue française n'est pas "une et indivisible" mais se décline en de multiples variantes qui fluctuent au gré des époques et des régions.

La chocolatine mentionnée dans le titre du présent billet n'est autre que l'appellation du pain au chocolat dans le Sud-Ouest de la France. Cette même viennoiserie sera une couque au chocolat en Belgique, éventuellement un croissant au chocolat dans l'Est de la France jusqu'à la Franche-Comté, voire un petit pain au chocolat dans le Nord, l'Est et aussi en Belgique. Dans une grande partie du pays le boulanger emballera le pain au chocolat dans un sac ou un sachet ; mais dans le Sud-Ouest, on vous mettra la chocolatine dans une poche, alors qu'en Bretagne et dans l'Indre ce sera dans un pochon. En Suisse romande, en Franche-Comté et en Lorraine, ne soyez pas étonné si l'on vous propose un cornet.

Il faut se reporter à une carte de géographie pour retrouver les diverses façons de désigner un crayon. L'appellation dominante est crayon à papier en Île de France, en Normandie et dans la majorité de la moitié sud de la France. Mais ce sera un crayon de papier dans le Centre-Est, un crayon de bois dans les Hauts-de-France et les Pays-de-la-Loire, un crayon gris en Suisse, dans le Sud-Est, en Languedoc et dans le Finistère, un crayon tout court en Belgique et dans le Nord-Est. Très localisées, on trouve les appellations crayon papier dans les Côtes d'Armor et crayon mine autour de Reims.

Savez-vous ce qu'on appelle doucette en Auvergne et en Franche-Comté, rampon en Suisse, boursette dans les Pays-de-la-Loire et salade de blé en Belgique ? Eh bien c'est la salade qu'on appelle mâche dans le reste du territoire. N'hésitons pas agrémenter notre salade de mâche de quelques groseilles : ces-dernières deviennent des castilles dans une partie de la Bretagne, des gradilles dans le Cotentin, des raisinets en Suisse et des tamarins ou tramarins dans une petite partie de la Franche-Comté. Quant aux myrtilles, celles-ci se transforment en brimbelles dans une bonne partie de la Région Grand-Est et en airelles dans une petite zone d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Indépendamment des accents régionaux, la prononciation de certaines syllabes varie également selon l'endroit où l'on se trouve. Ainsi prononce-t-on brin et brun de la même façon au nord de la Loire et en Corse, alors que la prononciation est différente au sud de la Loire et en Belgique. La répartition est pratiquement la même dans le cas d'empreinte et emprunte. Autre prononciation particulière qui fait sourire beaucoup de Français : celle du mot moins qui se prononce "moinsse" au sud de la Garonne.

J'espère que ces quelques exemples vous auront mis en appétit et que vous aurez plaisir à découvrir tous les autres dans cet Atlas du Français de nos Régions.

jeudi 1 mars 2018

Coquecigrues ou carabistouilles ?



Si je vous dis que la langue française est parfois très pittoresque, ce ne sont pas là des billevesées. L'origine de ce mot qui désigne des propos creux, vides de sens est incertaine. "Bille" pourrait venir de "beille" – boyau, du latin "botulus – et "vesée" de "vezé", qui veut dire "ventru", "gonflé" et serait dérivé de "veze", une cornemuse au 16ème siècle. Rien de tout cela n'est absolument certain et les gens qui racontent des billevesées font sûrement du vent.

Dans un champ sémantique très voisin, on trouve les balivernes. Ce terme se rencontre en 1464 dans "La Farce de Maistre Pierre Pathelin". Sans certitude, il pourrait être dérivé de la forme verbale baliverner, composée de baller – danser, tourner en dansant comme dans un bal – et de verner qui signifie "tourner sur soi-même (même origine que virer). Les propos de celui qui raconte des balivernes tournent donc doublement en rond et sont donc d'un intérêt assez limité.

Il est étonnant de voir combien de mots le français comporte pour désigner des paroles creuses, futiles. Fadaises est de ceux-là. Le terme nous vient du provençal fadeza, "sottise", lui-même dérivé de "fat" au sens de "sot", du latin "fatuus" (insensé). On retrouve cette étymologie dans les termes fada et fat (au sens moderne de l'adjectif). Des fadaises aux foutaises, il n'y a qu'un pas.

Toujours dans le même ordre d'idées, nous avons les fariboles qu'on rencontre chez Rabelais en 1532. Là encore, l'incertitude règne quant à l'étymologie du mot. Peut-être un lien avec "falibourde" ou "fallebourde" qui veut dire "sottise" en ancien français : cela nous renvoie à l'ancien provençal "falabourdol" ("bourde" = mensonge et "faillir" au sens de mentir). A moins que, plus simplement, les fariboles ne soient une altération du latin "frivolus" qui nous a donné "frivole".

Puisqu'on évoquait Rabelais à propos des fariboles, nous lui devons aussi, dans Gargantua, la locution à la venue des coquecigrues, autrement dit "jamais", comme les calendes grecques ou bien quand les poules auront des dents. La coquecigrue serait un animal improbable résultant de l'amalgame entre un "coq", une "cigogne" et une "grue" et cet animal imaginaire a engendré le sens actuel de baliverne ou d'absurdité. Cette étymologie n'est pas certaine et d'autres hypothèses existent comme nous l'apprend l'excellent Dictionnaire Historique de la Langue Française (éditions Le Robert) réalisé sous la direction d'Alain Rey et que je recommande chaudement à tous les amoureux de notre langue.

On reste dans le flou étymologique avec les calembredaines dont l'origine pourrait être semblable à celle de calembour. "Calem" pourrait se rapprocher du wallon "calauder" qui signifie bavarder et du picard "calender" (dire des balivernes). Quant aux "bredaines" qui forment la deuxième partie du mot, leur origine pourrait être la même que celle de "bredouiller". Il existe aussi la forme genevoise calembourdaine à rattacher à "bourde" qui désigne une parole en l'air.

Restons toujours dans le même domaine avec les galéjades, du provençal "galejado", plaisanterie, raillerie. A l'origine, on a, toujours en provençal, "galeja" qui signifie "plaisanter" et vient de "se gala", s'amuser, que l'on retrouve dans le verbe "galer" en ancien français ; et l'adjectif "galant" vient de là. Mesdames, faites attention aux galéjades  d'un galant homme !

J'espère que vous ne croyez pas que je vous raconte des sornettes ! Ces dernières – et une fois de plus l'origine est incertaine – viendraient de "sorne" qui signifiait en moyen français une attitude hautaine, empreinte de morgue, mais aussi plaisanterie ou moquerie. "Sorne" pourrait venir de l'ancien provençal "sorn", adjectif qui veut dire "sombre", "obscur" (cf. soir). Et cela nous conduit à l'adjectif sournois, dont le sens premier était "d'humeur sombre". Pourtant, quelqu'un qui vous raconte des sornettes n'est pas nécessairement sournois.

Il y a quelques jours, le Président de la République, en visite au Salon de l'agriculture, répliquait à un cheminot par ces termes : "… faut pas raconter de craques aux gens". Les craques, autrement dit des mensonges ou à tout le moins des exagérations, nous viennent d'un ancien sens de "craquer" qui voulait dire "mentir" par allusion au bruit que font certains oiseaux.

Nous conclurons ce billet par un hommage à nos amis belges qui ne résistent jamais à la tentation de nous raconter des carabistouilles. Mystère quant à l'origine de ce belgicisme ; peut-être un dérivé de "carabin", étudiant en médecine, qui apprécie les chansons et les blagues graveleuses ; par extension, celui qui dit n'importe quoi raconte des carabistouilles. La carabistouille est aussi un jeu de société créé en 1991, qui, après avoir disparu, a ressuscité  en 2011 sous le nom de "nonsense". C'est également un défi que se lancent des journalistes de radio et de télé et qui consiste à placer des mots absurdes dans leurs commentaires sans que l'on s'en aperçoive. Essayez, par exemple, de placer le mot carabistouille, dans un reportage sur la pêche à la baleine ou la réforme de la SNCF… C'est un jeu qui se pratique également parfois entre interprètes, n'est-ce-pas, chers collègues ?

Chères lectrices, chers lecteurs, j'espère que ce billet vous aura intéressé et ne vous aura pas donné le sentiment que je vous racontais des c……ies !