jeudi 1 mars 2018

Coquecigrues ou carabistouilles ?



Si je vous dis que la langue française est parfois très pittoresque, ce ne sont pas là des billevesées. L'origine de ce mot qui désigne des propos creux, vides de sens est incertaine. "Bille" pourrait venir de "beille" – boyau, du latin "botulus – et "vesée" de "vezé", qui veut dire "ventru", "gonflé" et serait dérivé de "veze", une cornemuse au 16ème siècle. Rien de tout cela n'est absolument certain et les gens qui racontent des billevesées font sûrement du vent.

Dans un champ sémantique très voisin, on trouve les balivernes. Ce terme se rencontre en 1464 dans "La Farce de Maistre Pierre Pathelin". Sans certitude, il pourrait être dérivé de la forme verbale baliverner, composée de baller – danser, tourner en dansant comme dans un bal – et de verner qui signifie "tourner sur soi-même (même origine que virer). Les propos de celui qui raconte des balivernes tournent donc doublement en rond et sont donc d'un intérêt assez limité.

Il est étonnant de voir combien de mots le français comporte pour désigner des paroles creuses, futiles. Fadaises est de ceux-là. Le terme nous vient du provençal fadeza, "sottise", lui-même dérivé de "fat" au sens de "sot", du latin "fatuus" (insensé). On retrouve cette étymologie dans les termes fada et fat (au sens moderne de l'adjectif). Des fadaises aux foutaises, il n'y a qu'un pas.

Toujours dans le même ordre d'idées, nous avons les fariboles qu'on rencontre chez Rabelais en 1532. Là encore, l'incertitude règne quant à l'étymologie du mot. Peut-être un lien avec "falibourde" ou "fallebourde" qui veut dire "sottise" en ancien français : cela nous renvoie à l'ancien provençal "falabourdol" ("bourde" = mensonge et "faillir" au sens de mentir). A moins que, plus simplement, les fariboles ne soient une altération du latin "frivolus" qui nous a donné "frivole".

Puisqu'on évoquait Rabelais à propos des fariboles, nous lui devons aussi, dans Gargantua, la locution à la venue des coquecigrues, autrement dit "jamais", comme les calendes grecques ou bien quand les poules auront des dents. La coquecigrue serait un animal improbable résultant de l'amalgame entre un "coq", une "cigogne" et une "grue" et cet animal imaginaire a engendré le sens actuel de baliverne ou d'absurdité. Cette étymologie n'est pas certaine et d'autres hypothèses existent comme nous l'apprend l'excellent Dictionnaire Historique de la Langue Française (éditions Le Robert) réalisé sous la direction d'Alain Rey et que je recommande chaudement à tous les amoureux de notre langue.

On reste dans le flou étymologique avec les calembredaines dont l'origine pourrait être semblable à celle de calembour. "Calem" pourrait se rapprocher du wallon "calauder" qui signifie bavarder et du picard "calender" (dire des balivernes). Quant aux "bredaines" qui forment la deuxième partie du mot, leur origine pourrait être la même que celle de "bredouiller". Il existe aussi la forme genevoise calembourdaine à rattacher à "bourde" qui désigne une parole en l'air.

Restons toujours dans le même domaine avec les galéjades, du provençal "galejado", plaisanterie, raillerie. A l'origine, on a, toujours en provençal, "galeja" qui signifie "plaisanter" et vient de "se gala", s'amuser, que l'on retrouve dans le verbe "galer" en ancien français ; et l'adjectif "galant" vient de là. Mesdames, faites attention aux galéjades  d'un galant homme !

J'espère que vous ne croyez pas que je vous raconte des sornettes ! Ces dernières – et une fois de plus l'origine est incertaine – viendraient de "sorne" qui signifiait en moyen français une attitude hautaine, empreinte de morgue, mais aussi plaisanterie ou moquerie. "Sorne" pourrait venir de l'ancien provençal "sorn", adjectif qui veut dire "sombre", "obscur" (cf. soir). Et cela nous conduit à l'adjectif sournois, dont le sens premier était "d'humeur sombre". Pourtant, quelqu'un qui vous raconte des sornettes n'est pas nécessairement sournois.

Il y a quelques jours, le Président de la République, en visite au Salon de l'agriculture, répliquait à un cheminot par ces termes : "… faut pas raconter de craques aux gens". Les craques, autrement dit des mensonges ou à tout le moins des exagérations, nous viennent d'un ancien sens de "craquer" qui voulait dire "mentir" par allusion au bruit que font certains oiseaux.

Nous conclurons ce billet par un hommage à nos amis belges qui ne résistent jamais à la tentation de nous raconter des carabistouilles. Mystère quant à l'origine de ce belgicisme ; peut-être un dérivé de "carabin", étudiant en médecine, qui apprécie les chansons et les blagues graveleuses ; par extension, celui qui dit n'importe quoi raconte des carabistouilles. La carabistouille est aussi un jeu de société créé en 1991, qui, après avoir disparu, a ressuscité  en 2011 sous le nom de "nonsense". C'est également un défi que se lancent des journalistes de radio et de télé et qui consiste à placer des mots absurdes dans leurs commentaires sans que l'on s'en aperçoive. Essayez, par exemple, de placer le mot carabistouille, dans un reportage sur la pêche à la baleine ou la réforme de la SNCF… C'est un jeu qui se pratique également parfois entre interprètes, n'est-ce-pas, chers collègues ?

Chères lectrices, chers lecteurs, j'espère que ce billet vous aura intéressé et ne vous aura pas donné le sentiment que je vous racontais des c……ies !

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