dimanche 19 janvier 2020

Vous patachonnez dans la tête !


"Vous patachonnez dans la tête" – curieuse expression que celle-ci, utilisée il y a quelques jours par le Président de la République en réponse à un enseignant qui l'interpellait à propos de la réforme des retraites. Pour en expliquer le sens et l'origine, voyons d'abord ce qu'était une patache : une patache désigne à l'origine une petite embarcation employée au service des grands navires (peut-être l'équivalent de ce que les plaisanciers appellent de nos jours une "annexe") et plus particulièrement, vers la fin du XVIIIe siècle, une barque du service des douanes. Par analogie, une patache désigne également depuis cette époque une mauvaise et inconfortable diligence dans laquelle on pouvait voyager à peu de frais. Le cocher de cette diligence était le patachon.

On ne circule plus guère en diligence de nos jours et les cochers ont disparu du paysage. Mais cela ne nous interdit nullement de mener une vie de patachon, autrement dit une vie de débauche. Eh oui : le patachon était toujours par monts et par vaux, buvait sans modération dans toutes les tavernes où il s'arrêtait et se livrait certainement, au gré de ses rencontres, à des activités que son épouse aurait réprouvées. Après moult libations, notre patachon n'avait certainement plus les idées très claires et n'était sans doute plus apte à produire ou à suivre une argumentation structurée – il patachonnait dans la tête ! Il est improbable que le vin consommé par notre patachon ait été le Château Patache d'Aux, excellent cru bourgeois du Médoc dont l'étiquette représente une patache tirée par des chevaux.

Pour qualifier une vie désordonnée, agitée, voire de débauche, on emploie aussi l'expression mener une vie de bâton de chaise. Ce bâton, ou plutôt ces bâtons car ils vont toujours par deux, sont les deux grands bâtons latéraux d'une chaise à porteurs, qui permettent précisément de la porter. Ces bâtons de chaise menaient en effet une vie très agitée : sans cesse soulevés, reposés, déplacés, manipulés, tirés (pour dégager la porte de la chaise) etc. C'est par analogie avec cette activité incessante, que la vie de bâton de chaise a pris le sens de vie désordonnée. Mais peut-être a-t-on assimilé la vie menée par les porteurs à celle de leurs bâtons : toujours en déplacement, les porteurs passaient une bonne partie de leur temps à attendre le propriétaire de la chaise dans des lieux plus ou moins recommandables, comme des tripots, des bordels et autres lieux de débauche. Et pour éviter de se faire voler lesdits bâtons ils les emportaient avec eux dans ces endroits et la vie de ces bâtons s'est trouvée assimilée à celle des porteurs.

Enfin, voici une autre expression, nettement plus rare, pour qualifier une vie de débauche : rôtir le balai. A l'origine, cette expression signifie vivre dans la pauvreté : lorsqu'on était tellement pauvre qu'on n'avait plus de bois pour se chauffer, on se trouvait réduit à rôtir (c.-à-d. brûler) le balai. Et puis, par une de ces fantaisies dont notre langue a le secret, le sens de cette expression change complètement au XVIIIe siècle. Ainsi peut-on lire sous la plume de Rousseau dans Les confessions : " Notre hôtesse elle-même avait rôti le balai : il n'y avait là que moi seul qui parlât et se comportât décemment." D'où ce sens vient-il ? On en est réduit à des hypothèses. Peut-être fait-on référence au balai chevauché par les sorcières pour se rendre au sabbat, lieu de toutes les débauches où les flammes de l'enfer risquent effectivement de rôtir le balai.

Et voilà comment trois moyens de transport – la patache, la chaise à porteurs et le balai des sorcières – ont donné naissance à trois pittoresques expressions de la langue française.