samedi 13 avril 2019

Latin lover


« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Cette phrase, sans doute l’une des plus célèbres de la littérature française est l’incipit de « Du côté de chez Swann », premier tome de « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust. Un incipit, du latin incipio, is, ere (commencer), désigne les premiers mots d’un texte littéraire ou d’une œuvre musicale chantée. « Allons enfants de la patrie » est l’incipit de la Marseillaise. Nous avons, fort logiquement, commencé par cet exemple pour montrer toute la place que le latin occupe dans notre langue.

Puisque nous avons débuté avec la littérature, mentionnons l’ex libris, du latin ex libris meis (faisant partie de mes livres) qui désigne une inscription dans un livre identifiant le propriétaire de celui-ci. Souvent, l’ex libris prend la forme d’une vignette artistique collée sur le contre-plat (l’intérieur de la couverture) ou la page de garde d’un livre. Certains ex libris sont de véritables œuvres d’art.

Le latin est omniprésent dans le domaine de la chose imprimée : par exemple un vadémécum (de vade mecum, « viens avec moi ») est un petit livre ou guide qui renferme des renseignements utiles. A ne pas confondre avec un mémorandum ou mémo (de memorare, rappeler), qui désigne une note ou une fiche rappelant des informations utiles.  Et qu’en est-il des médias ? En latin, media est le pluriel de medium (milieu). Mais nos médias contemporains ont transité par la langue anglaise où le terme de mass-media désigne des supports de très large diffusion. Mais un medium en français désigne tout à fait autre chose et sans doute un medium n’a-t-il pas besoin de médias pour savoir ce qui se passe dans le monde.

A priori et a posteriori sont suffisamment courants et explicites pour se passer d’explication particulière. Plus rares, ex ante et ex post recouvrent un champ sémantique voisin, mais sont employés dans des domaines plus spécialisés (notamment en finances). Nul ne contestera que a contrario fait beaucoup plus chic que « à l’opposé » et que a minima est d’une autre classe que le banal « au moins » ou « au minimum ».

Alors qu’on entend et qu’on lit fréquemment mutatis mutandis – ce qui devait être changé l’ayant été – autrement dit une comparaison pouvant être établie en ayant fait abstraction des différences, on rencontre plus rarement la locution voisine ceteris paribus qui signifie « toutes choses égales par ailleurs ».

Finalement, l’essentiel pour une langue vivante qui puise pourtant d’innombrables racines dans cette langue morte qu’est le latin, est de ne jamais succomber au statu quo ; cette expression vient de la locution latine in statu quo ante qui signifie littéralement « en l’état où les choses étaient auparavant ». Restons optimistes et ne craignons pas que la vivacité de la belle langue française se trouve entravée par son enracinement latin et ne cédons pas, comme les philosophes stoïciens, à la præmeditatio malorum, autrement dit à l’anticipation de difficultés, d’obstacles qui ne sont que les fruits d’une imagination pessimiste.

Devrai-je faire mon mea culpa pour vous avoir infligé cette indigeste leçon de latin ? Ou me délivrerez-vous plutôt un satisfecit pour avoir modestement contribué à étancher votre inextinguible soif d’apprendre ? A vous de juger, mais, de grâce ne faites pas de cette question un casus belli.

Si, en rédigeant le cinquantième billet de ce blog, je devais me rendre compte que je n’ai pas choisi le bon modus operandi pour promouvoir les charmes de la langue française, il ne me resterait plus qu’à espérer que, tel un deus ex machina – ce dieu qui, au théâtre, surgit à dernière minute des cintres pour dénouer une situation désespérée - une soudaine illumination me remette dans le droit chemin. A défaut, c’est dans le produit fermenté de la vigne que je devrais chercher une consolation puisque, comme chacun sait, in vino veritas.

In fine, chère lectrice, cher lecteur, j’espère que vous aurez pris plaisir à lecture de ces lignes, et qu’après un incipit prometteur, vous ne vous serez pas sentis trahis par la conclusion de ce texte et ne décréterez pas, par référence au redoutable scorpion, in cauda venenum.

Post scriptum : pour les nostalgiques du volumineux « Gaffiot », ce dictionnaire latin-français qui a accompagné tous les latinistes, il est aujourd’hui aisément accessible sur internet : https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php