lundi 13 août 2018

À la mi-août…

"A la mi-Août
C'est tellement plus romantique
A la mi-Août
Y a d'la joie pour les matous"

Ces quelques vers sont extraits d'une célèbre chanson de Ray Ventura (paroles d'André Hornez, musique de Paul Misraki) qui date de 1950 et qu'on peut entendre dans le film Nous irons à Paris de Jean Boyer. (A écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=k2-eC2ri-vk).

Après le précédent billet consacré à la gent canine, nous nous intéresserons aujourd'hui aux félins dont la présence dans la langue française n'a rien à envier à celle de leurs congénères canins. Chat échaudé craint l'eau froide, dit la sagesse populaire ; en effet, un chat ayant fait l'expérience d'un liquide brûlant se montrera désormais tellement circonspect qu'il évitera également tout contact avec l'eau froide. De l'expérience naît donc la prudence, parfois peut-être excessive.

A l'époque actuelle, dominée par le "politiquement correct" nous hésitons de plus en plus à appeler un chat un chat : ainsi, un sourd devient un malentendant, un handicapé une PMR (ou personne à mobilité réduite), une femme de ménage une technicienne de surface, une caissière une hôtesse de caisse ou un imbécile un mal-comprenant ! Le paradoxe – très amusant – c'est que l'expression appeler un chat un chat est tout sauf politiquement correcte puisque, depuis le 17ème siècle, le chat en question ne fait aucunement référence au félidé, mais à une partie de l'anatomie féminine encore qualifiée ainsi de nos jours (en mettant chat au féminin). Jean-Paul Sartre écrivait dans "Qu'est-ce que la littérature" (dans Situations philosophiques) : "La fonction d'un écrivain est d'appeler un chat un chat. Si les mots sont malades, c'est à nous de les guérir. Au lieu de cela, beaucoup vivent de cette maladie."

Intéressons-nous maintenant à deux expressions apparentées à l'origine incertaine : avoir d'autres chats à fouetter – avoir d'autres choses (plus importantes) à faire – et il n'y a pas de quoi fouetter un chat – c'est une chose sans importance. Selon l'éminent  linguiste Alain Rey, fouetter serait ici une déformation de foutre (au sens le plus charnel du terme) et le chat serait celui du paragraphe précédent (ou peut-être par homonymie le chas qui désigne un orifice). Les anglophones sont en tout cas plus prosaïques puisque l'expression correspondante en anglais est to have other fish to fry.

Mais pourquoi donc dit-on qu'on a un chat dans la gorge lorsqu'on est enroué ? Une explication, non confirmée, est la suivante : cela viendrait d'un jeu de mots ou d'une confusion entre matou et maton, terme qui désignait à l'origine du lait caillé ou des grumeaux de lait : lorsqu'on est enroué on a les voies respiratoires encombrées par des glaires qui s'apparentent peut-être à des grumeaux de lait ; on aurait donc un maton dans la gorge. Après cette explication quelque peu capillotractée, je vous propose une interprétation toute personnelle : et s'il s'agissait tout simplement d'un jeu de mots sur matou et ma toux ?

Lorsque nous sommes en présence d'une énigme étymologique dont la solution résiste à toutes nos investigations, il ne nous reste plus qu'à donner notre langue au chat. Cette expression est relativement récente puisqu'elle date du 19ème siècle ; à l'origine, on disait jeter sa langue aux chiens : en effet, on jette aux chiens les restes, ce qui n'a plus de valeur, comme la langue de celui qui ne trouve pas la réponse à la question. Pourquoi cette langue que l'on jetait aux chiens est-elle devenue une langue qu'on donne au chat ? Peut-être parce que, lorsqu'on mettait quelque chose dans l'oreille du chat, on lui confiait un secret ; avec le temps, le chat se retrouvait donc dépositaire de nombreux secrets et d'autant de connaissances qu'il ne risquait pas de divulguer. Lorsqu'on donne sa langue au chat on la lui lègue puisqu'elle est devenue inutile, mais en même temps on la lui confie afin de pouvoir la récupérer si soudain la lumière se fait et que l'on trouve enfin la solution qu'on cherchait. Mais peut-être a-t-on tout simplement voulu adoucir une formule assez cruelle en remplaçant jeter par donner et les chiens par un chat.

Alors que le chat est réputé être un animal très propre, il est curieux que l'expression faire une toilette de chat désigne une toilette rapide et superficielle ; il est vrai toutefois qu'on n'observe pas souvent un chat se mettre sous la douche et se savonner de l'extrémité des moustaches au bout de la queue.

Nous terminerons avec le dicton à bon chat, bon rat : dans cette expression qui date du 16ème siècle, le chat désigne un chasseur rusé face auquel son gibier – le rat – devra développer des trésors d'ingéniosité pour ne pas se faire attraper ; autrement l'élève devra égaler le maître, ou bien, pour reprendre une expression du début du 17ème siècle, à bon assailleur bon défendeur : un combat est juste si les adversaires sont de force égale.

Et comment ne pas conclure ce billet par le célèbre Duo des chats de Rossini : https://www.youtube.com/watch?v=0Xfygc2xTlE

lundi 6 août 2018

Canicule ou temps de chien ?


Canicule : du latin canicula, diminutif de canis – chien – et signifiant précisément petite chienne. Quel rapport entre cette étymologie et la période très, très chaude qui sévit en Europe au moment où nous écrivons ces lignes ? Canicula était également le nom d'une étoile particulièrement brillante – appelée aujourd'hui Sirius – de la constellation du Grand Chien. Or sous nos latitudes, durant la période du 24 juillet au 24 août, cette étoile se lève et se couche en même temps que le soleil, ce qui avait amené les anciens à penser qu'elle redoublait les ardeurs du soleil ! Ainsi, selon Wikipédia, Pline l'Ancien écrivait : "Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l'ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la Terre : les mers bouillonnent à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s'agitent". On retrouve cette étymologie canine à la fois en anglais – dog days – et en allemand – Hundstage.

A l'inverse, s'il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, c'est plutôt qu'il fait froid et qu'il pleut, bref qu'il fait un temps de chien ! Dans ce dernier cas "de chien" traduit l'idée d'un excès qu'on retrouve dans les expressions une humeur de chien ou un mal de chien. Cette image très négative attribuée à nos compagnons à quatre pattes est sans doute liée à la très mauvaise réputation qui a accompagné le chien au fil des siècles, encore présente aujourd'hui par exemple dans la religion musulmane.

Personne n'aime se faire traiter comme un chien, et encore moins se faire jeter aux chiens. Après le suicide de Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993, le Président Mitterrand déclarait : "Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme…". Ce sens péjoratif se retrouve également dans l'expression chienne de vie.

Toujours au chapitre du chien considéré comme une sale bête, on trouve l'expression  garder un chien de sa chienne à quelqu'un, qui traduit une idée de rancune et une volonté de vengeance. La tradition voulait que le propriétaire d'une chienne réserve un chiot de la portée au propriétaire du géniteur, ce qui est somme toute plutôt sympathique. Mais les facéties de la langue française ont fini par conférer une signification très négative à cette expression.

Mais le plus fidèle ami de l'homme est également à l'origine d'expressions fort pittoresques, comme par exemple on n'attache pas son chien avec des saucisses, qui signifie être très avare : en effet, celui qui aurait l'idée saugrenue d'attacher son chien avec des saucisses constatera rapidement la totale inefficacité de cette mesure, car le chien s'empressera de dévorer sa "chaîne" ; si l'on s'obstine alors à renouveler l'attache, on finira par dépenser beaucoup d'argent en chapelets de saucisses, ce qu'un avare ne fera en aucun cas !

Un chien regarde bien un évêque : autre expression curieuse à l'origine amusante. Autrefois, la bienséance voulait que les gens modestes baissassent les yeux au passage des puissants, comme par exemple les prélats et autres évêques ; mais une telle exigence ne pouvait s'appliquer aux chiens, plus humbles encore que leurs maîtres, mais bien incapables de saisir la subtilité des rapports sociaux. Dès lors, si un chien, malgré sa très basse condition peut s'autoriser à regarder un évêque, n'importe qui devrait pouvoir le faire.

Si deux personnes se regardent chiens de faïence (de Faenza, ville d'Italie à partir de laquelle la faïence s'est répandue en France), elles se regardent fixement et avec hostilité ; c'est sans doute par référence aux paires de chiens de faïence qu'on disposait autrefois face à face de part et d'autre d'une cheminée.

Avant de conclure cette chronique estivale, mentionnons encore l'expression avoir du chien, qui – généralement appliquée à une femme – signifie que celle-ci a un charme un peu canaille (de l'occitan canalha - ensemble de chiens ; a remplacé chiennaille). Enfin, si je vous dis que  les chiens ne font pas des chats, je ne surprendrai personne : cette expression pour laquelle je vous propose ci-dessous une très jolie illustration, est synonyme de tel père, tel fils, ou encore de bon sang ne saurait mentir.



L'heure est maintenant venue pour l'auteur de ce billet d'aller chercher un peu de fraîcheur pour se mettre à l'abri de la canicule, et, pour tout chien qui se respecte de se réfugier dans sa niche : et le lecteur aura sûrement remarqué que ces deux mots sont des anagrammes ! Alors, si en plus, le chien vient de Chine