dimanche 26 avril 2020

Jouons un peu !


J'ai exhumé de ma bibliothèque cette "Anthologie des jeux avec les mots" d'Alfred Gilder (éd. Le Cherche Midi), avec une préface d'Anne Roumanoff et une Postface de Claude Hagège. Encadré de la sorte, l'ouvrage tient toutes ses promesses. Ses 395 pages organisées en 28 chapitres complétés d'une bibliographie intitulée zygomathèque sont un véritable régal.

Intitulé "L'humour, c'est du sérieux", le chapitre 1 nous propose d'innombrables citations autour de ce thème. Par exemple Le métier d'humoriste ? Un véritable esclaffage (Roland Bacri), ou bien Ne prenez jamais la vie trop au sérieux ; de toute façon, vous n'en sortirez pas vivant (Fontenelle). On pourrait ajouter : La vie est une maladie sexuellement transmissible, toujours mortelle. Et l'excellent Raymond Devos nous rappelle : Qui prête à rire n'est pas près d'être remboursé.

Le chapitre 3 "L'euphorisme, ce joyau joyeux" regorge de formules jubilatoires. Pour Roland Dubillard, par exemple, Le roseau est un homme qui ne pense pas. Pour Molière On ne meurt qu'une fois et c'est pour si longtemps alors que pour Pierre Dac Mourir est un manque de savoir-vivre. On rappellera aussi l'épitaphe imaginée par un hypocondriaque : Je vous l'avais bien dit.

Et la vie serait bien triste sans calembours : ceux-ci tiennent une place de choix dans ce recueil. Quelques exemples de "Ne dites pas…mais dites" :

Ne dites pas                                                mais dites

Hélène Segara                                            Hélène s'est perdue
Polémiquer                                                 Paul et sa souris
Un conquistador                                         Un imbécile qui t'aime

On sourira aussi à la lecture de cette formule de Boris Vian : Il y a loin de la croupe aux lèvres. Jacques Séguéla, quant à lui, avait imaginé le slogan suivant pour une marque de préservatifs : Baisons futé. Peut-être pensait-il qu'avoir des enfants n'est pas à la portée de toutes les bourses.

Un chapitre entier est évidemment consacré aux contrepèteries. Nous ne nous y étendrons pas, puisque nous avons consacré à ce délicieux phénomène un billet intitulé Les fouilles curieuses de l'archéologue (15/01/2018). Si la Chine se dresse à la vue des Nippons, on ne pourra s'empêcher de s'exclamer quel beau métier, professeur après avoir contemplé les nains d'une jolie saynète.

Les charades sont également présentes dans cette anthologie. Par exemple, celle-ci, de Victor Hugo : Je prends mon premier au coin de mon dernier en sortant de mon entier[1]
Toujours de Victor Hugo :
Mon premier est un étudiant en médecine assis au sommet d'un amphithéâtre
Mon second est la fin d'un journal
Mon tout est un chant révolutionnaire[2]
Et je ne résiste pas à l'envie de vous proposer celle-ci, plutôt 
scabreuse :
Mon second gratte mon premier et mon tout est une épice[3]

Ce billet pourrait encore se prolonger sur des pages et des pages, mais il faut savoir conclure, ce que nous ferons avec quelques mots-valises, dont certains valent leur pesant de cacahuètes :
Pour Alain Finkielkraut – par ailleurs auteur d'un remarquable Petit fictionnaire illustré -, un misanthropophage est un cannibale qui boude son plat. Julien Gracq nous a légué le verbe radioter (radio + radoter), Vladimir Nabokov était friand de sexcapades et Pierre Perret n'aimait guère se faire embellemerder. Certains mots-valises sont entrés dans le langage courant, comme par exemple les célibattantes, les adulescents  ou les alicaments.

Mais je vais m'arrêter là pour que vous ne m'accusiez pas de harcèlement textuel.


[1] Théâtre
[2] L'Internationale : interne assis haut, nal
[3] Cumin

dimanche 12 avril 2020

Des gentilés bien pittoresques



Gentilé : du latin "gentile nomen", nom des gens ; dénomination des habitants d'un lieu (Le Petit Robert). Les gentilés  en usage en France nous réservent parfois bien des surprises et peuvent provoquer de sonores éclats de rires. Par exemple, les habitants de Château-Thierry sont les castelthéodoriciens ou les castrothéodoriciens ; le maire de cette ville aura certainement besoin d'un sérieux entraînement avant de s'adresser à ses concitoyens sans risquer de bafouiller. Et les habitants de Fontainebleau sont certainement ravis d'être des Bellifontains, appellation poétique s'il en est.

En revanche, le maire de la commune de Bonny-sur-Loire dans le Loiret (M. Lechauve, ça ne s'invente pas), risque le fou rire chaque fois qu'il s'adresse à sa population puisque ses discours commenceront nécessairement par Chers Bonnychons ! Il devrait peut-être jumeler sa commune avec Notre-Dame-de-Bellecombe en Savoie dont la population est composée de Bellecombais, mais surtout de Bellecombaises !

Il n'est déjà guère gratifiant d'habiter à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine. Mais lorsque cela fait de vous un Putéolien, ou, pire, une Putéolienne (prostituée dans le vent ?), il va falloir sérieusement envisager un déménagement. On évitera de s'installer à proximité, à Malakoff, ce qui ferait de vous un Malakoffiot ou une Malakoffiote (franchement, on n'aurait pas pu trouver autre chose ?). Plutôt choisir le sympathique village de Villechien dans la Manche, dont les habitants sont appelés Toutouvillais. Et pourquoi pas Saint-Brieuc dans les Côtes-d'Armor, dont les habitants portent l'appétissant gentilé de Briochins.

Refaisons un petit tour dans le Jura pour saluer les habitants de la petite commune de Longcochon : ce ne sont ni les Cochonnets, ni les Porcinets, mais les Couchetards ; mais comment se fait-ce ? Cette commune aurait été appelée autrefois Longcouchant car sa situation permettait d'admirer le coucher du soleil durant un long moment ; pas question d'aller se coucher avant la fin du spectacle et c'est ainsi que les habitants de Longcochon seraient devenus les Couchetards.

Dans le sud-ouest de la France, attention à ne pas confondre les Périgourdins et les Périgordins. Les premiers sont les habitants de Périgueux, également appelés les Pétrocoriens, alors que les seconds sont les habitants du Périgord. Je pourrais finir ce billet en vous posant une colle : comment s'appellent les habitants de la ville de Firminy, dans le département de la Loire ? Eh bien ce sont les Appelous. L'étymologie de ce gentilé est des plus mystérieuses ; voici trois hypothèses :
1)   au XIXe siècle, les cloutiers portaient un tablier en peau, appelé "pelou", d'où Appelous
2)   pendant la Guerre de cent ans, les Anglais auraient décrété que Firminy était le pays des pommes "apple", et de "apple" à Appelou, il n'y a qu'un pas
3)   enfin le gentilé pourrait venir des chasseurs qui appelaient les loups

Et puisqu'on parle du loup, signalons que les habitants de Saint-Loup en Charente-Maritime sont appelés les Lupéens.


lundi 6 avril 2020

On n'a jamais vu une mouche se moucher !


La faculté nous recommande, par les temps (et les virus) qui courent, d'éternuer ou de tousser dans notre coude. Heureusement qu'on ne nous invite pas à nous moucher du coude ! Curieuse expression quand on dit de quelqu'un : celui-là, il ne se mouche pas du coude (ou du pied). Le verbe moucher nous vient du latin "mucus" qui signifie "morve" et existe également sous la forme française "mucus". S'il convient de se moucher lorsqu'on a la goutte au nez, il n'est en revanche point agréable de se faire moucher, c.-à-d. se faire remettre à sa place. Par analogie avec le sens "nasal" de moucher, lorsqu'on mouchait la chandelle (au moyen d'une mouchette), on l'éteignait en coupant le bout de la mèche consumée ; et c'est en donnant un sens figuré à cette expression qu'on a fini par dire moucher quelqu'un pour signifier qu'on lui rabat le caquet.

Mais revenons à ceux qui ne se mouchent pas du coude. Au XVIIe siècle, les jongleurs, saltimbanques et autres contorsionnistes – qui n'étaient pas considérés comme l'élite de la société - pouvaient, grâce à leur souplesse, se passer le pied sous le nez et faire semblant de se moucher du pied. On n'imagine pas un bourgeois ou un noble agir de la sorte. C'est aussi à cette époque où les personnes de condition modeste se mouchaient généralement dans leur manche ; celui qui se mouchait de la manche ou du coude était considéré comme mal élevé. Cela ne risquait pas d'arriver aux "gens de la haute", qui, eux, utilisaient naturellement un mouchoir, probablement en soie brodée. Ainsi, lorsqu'on dit d'une personne qu'elle ne se mouche pas du coude, on qualifie un individu prétentieux et imbu de lui-même voulant se faire passer pour plus raffiné et intelligent que lui, autrement dit enclin à "péter plus haut que son cul" (dans un registre moins élégant).

C'est une fois de plus du latin "musca" que nous vient la mouche insecte. "Musca" pourrait être le dérivé diminutif d'une racine indo-européenne "°mu", une onomatopée représentant le bourdonnement et qui est peut-être aussi à l'origine du mot "muet". D'ailleurs, on entendrait voler une mouche quand le silence est total. Nombreuses sont les expressions françaises incluant ces petits diptères. Nous ne nous étendrons pas sur celle où nos malheureuses mouches sont victimes de violences que la morale réprouve, expression qui qualifie un comportement excessivement tatillon.

On dit qu'une personne prend la mouche quand elle s'énerve soudain, en général pour un motif futile ; cette expression est la forme moderne de prendre mouskes qui remonte au XIVe siècle. A cette époque, mouskes désignait toute une kyrielle d'insectes volants et souvent piquants, tels les guêpes, bourdons, frelons et autre taons. Quelle mouche l'a piqué vient de là et peut parfaitement s'appliquer à quelqu'un qui vient de prendre la mouche.

Une personne fine et astucieuse est souvent qualifiée de fine mouche ; en revanche, en argot, une mouche désigne un espion, ce qui nous a donné mouchard. Ce dernier terme est d'ailleurs officiellement recommandé à la place de l'anglais "cookie" pour désigner ces témoins de connexion ou de navigation qui nous pistent sur internet. C'est également ce sens venu de l'argot que l'on retrouve dans le bateau-mouche, à l'origine un petit navire de guerre ou un petit bateau à vapeur. Pour se faire de la publicité et asseoir sa notoriété, le fondateur de la "Compagnie des Bateaux Mouches" à Paris, Jean Bruel, a inventé le personnage mythique de Jean-Sébastien Mouche qu'il présenta comme le concepteur de ce type de bateaux. Un buste de ce personnage imaginaire fut d'ailleurs dévoilé à l'occasion d'une cérémonie au port de Solferino le 1er avril 1953.

Il ne me reste plus qu'à espérer que ce billet fera mouche, autrement dit atteindra son but et son public, puisque la mouche désigne également le point noir au centre de la cible.