samedi 17 août 2019

Passe-moi le sel !


Selon le Petit Robert, le sel est "une substance blanche, friable, soluble dans l'eau, d'un goût piquant, et qui sert à l'assaisonnement et à la conservation des aliments". Dans la langue française, le sel est à l'origine de quantité de mots et d'expressions dont l'examen nous intéresse aujourd'hui.

Toute peine mérite salaire selon un dicton bien connu. Le salaire, du latin salarium, désigne à l'origine une ration de sel, puis la somme d'argent donnée aux soldats pour acheter leur sel. Ce n'est certainement pas un salaire que perçoit un demi-sel­, terme d'argot pour qualifier à l'origine un individu qui exerce un métier régulier mais vit aussi de proxénétisme, et aujourd'hui un homme qui affecte d'être du milieu sans se comporter comme le milieu l'exige. Ce mélange des genres lui vaut cette appellation de demi-sel par référence au beurre éponyme qui n'est ni salé, ni pas salé.

La parenté avec le mot sel est assez évidente pour les salaisons, la saumure, le saunier (qui récolte le sel), le saleron (partie creuse d'une salière) ou la salière qui désigne, outre le récipient dans lequel on met le sel sur la table, le creux derrière la clavicule chez les personnes maigres. Mais on ne pense généralement pas au sel quand on saupoudre un mets de sucre par exemple : saupoudrer vient en effet de sel et de poudrer. Je n'irai pas jusqu'à qualifier cette étymologie de saugrenue – adjectif qui vient pourtant de sau, forme dialectale de sel, et de grenu, dérivé de grain. Au 16ème siècle une saugrenée désigne l'assaisonnement d'un plat avec du de l'eau et du sel et l'on rencontre aussi l'adjectif saugreneux qui signifie piquant, salé, parfois employé au figuré à propos d'un conte ou d'un juron.

Le sel est essentiel en cuisine : aussi ne s'étonnera-t-on pas de le retrouver dans saucisson, salami, salpicon ou même saupiquet, variété de salpicon et de nos jours marque bien connue. Et rien de meilleur, à la saison froide, qu'un petit salé aux lentilles. Enfin la salade (du provençal salada, mets salé) vient aussi du sel, et je ne vous raconte pas des salades ! Quant au salpêtre ou sel de pierre, il n'est pas bienvenu sur les murs de la cuisine.

L'importance du sel se retrouve dans la métaphore biblique du sel de la Terre, puisque c'est ainsi que le Christ désigne ses disciples ; de nos jours, cette expression qualifie au sens figuré l'élément actif, vivant, l'élite. Dans le même ordre d'idées, on parle aussi d'une plaisanterie pleine de sel, ou d'une affaire qui ne manque pas de sel ou de piquant.

Nous connaissons tous des personnes qui sans cesse viennent mettre leur grain de sel dans une discussion, autrement dit qui interviennent, s'immiscent hors de propos. Curieusement, l'expression latine cum grano salis (avec un grain de sel, en anglais with a pinch of salt) a un sens tout à fait différent : si l'on considère quelque chose cum grano salis, on reste un peu à distance, on relativise la chose en question.

Peut-être vous est-il déjà arrivé de dessaler lors d'une sortie à la voile ? Ce verbe de l'argot des plaisanciers qui signifie chavirer provient de l'argot parisien où dessaler signifie boire (la tasse), voire noyer. Et comme le savent tous les voileux, celui qui dessale est condamné à payer la tournée générale. Il faut espérer pour lui, que l'addition ne sera alors pas trop salée !