jeudi 15 juillet 2021

Ça pass(e) ou ça casse

 

Depuis des semaines, on ne cesse de nous rebattre les oreilles – et surtout les yeux – avec l'expression pass sanitaire. Mais pourquoi, grands dieux, pass et non passe, ou, mieux encore passeport sanitaire ?! Il semble bien que le snobisme anglomaniaque ait encore frappé. Ainsi rencontre-t-on pass dans la quasi-totalité des médias et jusque dans la transcription, sur le site internet de l'Élysée, de l'allocution présidentielle du 12 juillet. Il n'y a guère que le Conseil d'État qui, dans une décision contentieuse du 6 juillet 2021, écrit passe sanitaire.

On ne peut être qu'interpellé, voire interloqué, par cette élision de la lettre "e" qui ne transforme pas pour autant le pass sanitaire  en œuvre littéraire comparable à La disparition, le célèbre roman en lipogramme de Georges Perec ne comportant pas une seule fois la lettre "e" en quelque 300 pages.

Le verbe passer ainsi que ses dérivés nous viennent du latin passus –"pas" – et passare – "traverser". Si nous sommes de passage sur cette Terre, nous avons cependant tous un passé qui peut se conjuguer au passé simple, antérieur ou composé. En dénonçant l'anglicisation rampante de la langue française, nous ne sommes pas pour autant passéistes, mais plutôt passablement énervés par tous ceux qui laissent passer ces assauts contre notre belle langue.

Le substantif passe existe en français. Au féminin, on peut faire des passes au football, au rugby et dans nombre d'autres sports de balle. Il y a, bien sûr, aussi les maisons de passe. Et les saumons et autres poissons migrateurs apprécient les passes migratoires qui leur facilitent la remontée des cours d'eau. Enfin, les amoureux du Bassin d'Arcachon – dont l'auteur de ce blog fait partie – connaissant naturellement les passes – souvent dangereuses - que doit franchir tout navigateur désireux d'entrer ou de sortir du Bassin.

Au masculin, passe est une abréviation de passe-partout, terme qui désigne, entre autres, une clef permettant d'ouvrir plusieurs portes, comme celles qu'utilisent par exemple les employés d'hôtel, les facteurs ou les cambrioleurs. C'est précisément ce que permet de faire – au sens figuré – le fameux passe sanitaire, en ouvrant aux personnes vaccinées contre la Covid (ou testées négativement) les portes des établissements recevant du public. Mais nous aurions même une préférence pour l'expression passeport sanitaire, malgré le handicap que constitue la présence d'une syllabe supplémentaire par rapport à passe.

Au risque de nous faire traiter de Don Quichotte se battant contre des moulins à vent, c'est dans la langue de Cervantès que nous répliquerons à ceux qui s'escriment à abâtardir la langue française par des emprunts parfaitement inutiles à l'anglo-américain : ¡No pasarán!