samedi 26 octobre 2019

Mourir


La vie, dit-on, est une maladie sexuellement transmissible toujours mortelle. Aussi la mort est-elle bien présente dans notre vie, dans nos angoisses et dans notre langue. Il est incontestablement plus plaisant de mourir de rire que d'une intoxication alimentaire. Et celle ou celui qui jamais eu le sentiment de mourir d'amour n'a peut-être jamais réellement aimé. Et nous n'évoquerons même pas (belle prétérition) la petite mort.

A quelques jours de la Toussaint (ou Fête des Trépassés, de "trépasser" = passer à travers, de l'autre côté) et de sa débauche de chrysanthèmes (du grec "fleurs d'or") nous allons nous livrer à une petite exploration linguistique de la mort ou trépas.

Ainsi par exemple, le croque-mort ne s'appelle pas ainsi, comme on l'entend parfois, parce l'employé de pompes funèbres (du latin "pompa" = procession, cortège, et "funus" = funérailles) vérifiait que son client était bel et bien mort en lui mordant les pieds, mais parce que croquer a ici le sens d'escamoter, faire disparaître (ainsi a-t-on qualifié de croque-note un musicien pauvre et sans talent qui croquait la note, autrement dit la sautait, l'escamotait).

Le corps du défunt (du latin "defunctus" = qui s'est acquitté de la vie) est parfois enveloppé dans un linceul : ce terme aussi vient du latin "lintoleum" qui désigne une petite pièce de toile de lin (à ne pas confondre avec "linoleum" qui désigne à l'origine un tissu enduit d'huile de lin : reconnaissez qu'envelopper un mort dans du linoléum ne serait pas du meilleur effet !). Le linceul a remplacé le suaire (du latin "sudarium" = mouchoir, mais aussi linge pour essuyer la sueur du visage – même étymologie que suer, sudation…).

Quant au cercueil, il est étymologiquement apparenté (avec une forte réduction phonétique) au sarcophage, du grec "sarkos" = chair et "phagein" = manger. La bière qu'on trouve dans l'expression mise en bière, n'a rien à voir avec la boisson homonyme, mais nous vient du francique "bëra" qui désigne une civière (et a donné "Bahre" = brancard en allemand). Cette civière servait à transporter les malades, les blessés, mais aussi souvent les morts qui étaient enterrés avec cet équipement. La généralisation du cercueil fit, par la suite, prendre au mot bière le sens qu'on lui connaît aujourd'hui.

Le cadavre (du latin "cadere" = tomber, et qui a également donné "choir") sera souvent enterré dans une  tombe ou un tombeau : mais justement, alors qu'on pourrait croire que la tombe accueille celui qui est tombé, ce terme nous vient du latin "tumba", mot apparenté à "tumulus" (monticule) qu'on retrouve dans "tuméfier", "tumeur" ou encore dans l'allemand "Daumen" qui désigne le pouce. Et nous voilà au cimetière : du grec "koimêtêrion" = dortoir et, dans les textes chrétiens, lieu où reposent les morts. Le mot grec est lui-même issu de "koiman" qui signifie "se coucher pour dormir". Comme le chantait si joliment Georges Moustaki : "Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer".

Le deuil, quant à lui, est étymologiquement apparenté à la douleur, du bas latin "dolus", qui signifie également adresse, ruse et, par extension, fraude, ce qui nous a donné le substantif "dol" et l'adjectif "dolosif".

Nous conclurons ce billet par une curiosité plus culturelle que linguistique : là où en français on évoque un Danger de mort, les Allemands, eux,  parlent de Lebensgefahr, autrement dit de "danger pour la vie".