samedi 23 novembre 2019

Vive le vent ...



En cette période où il fait souvent un vent "à décorner tous les cocus de la Terre" (et ça fait du monde), intéressons-nous aux aspects linguistiques de ce phénomène météorologique incarné par le Dieu grec Éole (à qui nous devons l'adjectif éolien). Le terme de vent, nous vient directement du latin "ventus" qui a le même sens.

La tramontane et le mistral sont bien connus des habitants des contrées méridionales de la France. La tramontane désignait autrefois l'étoile polaire : en italien celle-ci était appelée "transmontana" (sous-entendu "stella") ou "étoile au-delà des monts". L'expression, aujourd'hui tombée en désuétude, perdre la tramontane signifiait "être désorienté, perdre le nord". La tramontane, ellipse de vent de la transmontane (de l'étoile polaire), désigne de nos jours un vent du nord sur la côte méditerranéenne ou du nord-ouest en bas Languedoc. Le cousin de la tramontane n'est autre que le mistral : ce vent qui souffle en vallée du Rhône et en Provence tire justement son étymologie du mot provençal maestral, adjectif qui correspond au français magistral. Or, dans leur acception géographique,  mistral et maestral ont le sens de nord-ouest : c'est précisément la direction de laquelle souffle ce vent maître.

Ne confondons pas la bise et la brise. La bise, est un vent froid, fort désagréable, qui souffle du nord ou du nord-est. Ses racines sont probablement germaniques : bîsjō désigne en effet un vent du nord-est. Par métonymie, la langue poétique utilise parfois la bise dans le sens d'hiver : cf. la fable de La Fontaine "La cigale et la fourmi" :
La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
L'histoire de la brise est plus compliquée. En effet, si son étymologie est incertaine, elle renvoie toujours à un vent violent, comparable à la bise. L'une des hypothèses attribue le mot brise à un croisement entre bise et briser. Mais on ne s'explique pas pourquoi la brise désigne aujourd'hui un vent léger et agréable.

Pour le noroît et le suroît les choses sont plus simples : on a affaire à une altération dialectale de nord-ouest et de sud-ouest respectivement. Quand souffle le suroît, souvent accompagné de pluie, il peut être prudent de se vêtir d'un suroît, puisque ce terme désignait autrefois une vareuse de marin et désigne toujours un chapeau imperméable de marin dont le bord arrière descend sur la nuque (cf. Pierre Loti, 1884). On entend aussi parfois pour qualifier un vent de nord-ouest le terme de galerne, ou vent de galerne. Le terme viendrait soit du bas-breton gwalarn (étonnant puisqu'il fait toujours beau en Bretagne), apparenté à l'ancien anglais Walas "pays de Galles", soit du radical prélatin gal qui a donné le verbe gaulois galare signifiant "geler". L'anglais gale – coup de vent, tempête – est certainement apparenté.

Chaque région a ses vents. En Occitanie, le vent d'autan – "le vent qui rend fou" pour les Toulousains – est un vent orageux qui souffle du sud ou du sud-ouest, donc de la mer : et c'est là qu'on retrouve l'étymologie du mot, puisqu'autan vient du latin altanus (ventus), "vent qui souffle de la haute mer". En Suisse et en Autriche, tout le monde connaît le foehn, du latin favonius qui désigne un autre vent, le zéphyr. Alors que favonius est construit sur la même racine que faveur ou favorable, et que le zéphyr (du latin zephyrus, vent d'ouest doux et tiède) est un vent léger et agréable, le foehn n'est, lui, guère apprécié des populations qui le subissent. Le terme foehn (il s'agit d'un vent chaud et sec) désigne également un sèche-cheveux en Suisse ainsi qu'en Allemagne (avec la graphie Föhn).

L'Afrique, en particulier l'Afrique du Nord, est traversée par toute une famille de vents apparentés : le sirocco, l'harmattan, le simoun ou le khamsin. Si nous les évoquons aujourd'hui, nous n'allons pas pour autant nous plonger dans leur étymologie qui déborderait le cadre ce blog.

Et si le vent souffle en bourrasques, ces dernières peuvent venir de toutes les directions alors que leur étymologie renvoie au latin boreas, "vent du nord", racine que l'on retrouve dans l'adjectif boréal.

Chère lectrice, cher lecteur, merci de votre fidélité. Je vous donne rendez-vous pour une prochaine chronique et, d'ici là, je vous dis "bon vent !"

jeudi 7 novembre 2019

Oh putain !


Le juron putain et ses variantes euphémisées  comme purée, punaise ou pétard est sans doute l'un des plus fréquemment utilisés par les francophones. La prostitution (du latin "prostituere" = placer devant, exposer aux regards) est, dit-on, avec la traduction, l'un des plus vieux métiers du monde, ce qui lui a conféré une place de choix dans notre langue. Ainsi, l'étymologie de  putain (et de ses dérivés pute, putassier) traduit l'image très péjorative attribuée à la prostitution dans nos sociétés bien-pensantes : en effet, le mot putain  est apparenté au latin "putidus" qui veut dire pourri, gâté, puant, fétide (cf. le verbe latin "putere" = puer). Ces désignations sont à prendre dans leurs acceptions morales quand on parle des femmes de mauvaise vie ou des filles de joie.

Le terme de catin, lui, est un peu tombé en désuétude. Quand j'en évoquerai les racines, je sais que je ne me ferai pas que des amies : en effet catin est le diminutif affectueux ("hypocoristique" disent les linguistes) du prénom… Catherine, du latin "Catharina", sainte, vierge et martyre décapitée en 307, du grec mystique "Katharina", dérivé de "katharos", qui paradoxalement, signifie "pur" (sens que l'on retrouve dans "catharsis"). Mais le sens péjoratif de prostituée, qui remonte au 16ème siècle a éliminé les anciens emplois. Au 18ème siècle le terme de catin désignait également une poupée, sens conservé au Canada. Cette évolution linguistique pourrait s'expliquer par une assimilation entre la fille de la campagne ou la servante, ainsi désignée, et la fille facile : le sens de poupée n'a pu que favoriser cet amalgame.

Les péripatéticiennes (du grec "peripatein" = se promener en conversant, allusion à la philosophie de la Grèce antique où les disciples d'Aristote aimaient à se promener en discutant) exercent, comme chacun sait, le plus souvent sur le trottoir. Elles font le trottoir, ou le tapin, ce qui revient finalement à faire la retape, autrement dit un racolage bruyant qui est loin de se cantonner, de nos jours, dans le seul domaine des amours vénales. Etymologiquement, un tapin (du verbe "taper"), ne désigne pas le trottoir, mais un soldat qui bat le tambour sur la voie publique, ce qui, finalement, n'est pas très éloigné des activités des prostituées.

Le client de ces dames est souvent qualifié de micheton : il s'agit d'une variante de miché, forme populaire du prénom Michel, que l'on retrouve également dans le godemiché évoqué dans notre billet intitulé "Interdit aux moins de 18 ans". Et le verbe michetonner désigne logiquement, pour une prostituée, le fait de lever des clients.

Le maquereau et la maquerelle, ou encore le mac désignent le proxénète ou le souteneur. Eh bien, aucun rapport avec le poisson ! L'étymologie remonte au moyen néerlandais "makelâre" qui veut dire courtier, intermédiaire. C'est la même origine qu'on retrouve dans le "Makler" qui désigne un intermédiaire en affaires en Allemand ("Immobilienmakler" = agent immobilier), mais aussi dans le verbe anglais "make", faire. Et aussi bien le maquignon, que les verbes maquer et maquiller sont issus des mêmes racines linguistiques.

Et, avant de conclure, allons nous encanailler dans l'un des hauts lieux de la prostitution, à savoir le bordel. C'est un diminutif de l'ancien français "bord" ou "borde" qui désigne une petite maison, une cabane. Cette étymologie se retrouve encore fréquemment dans des toponymes tels que "Les Bordes" ou des patronymes comme "Laborde". Le sens spécialisé de "lieu de prostitution" vient du fait que les prostituées, en particulier dans les ports, ne pouvaient exercer leur commerce qu'à l'écart, dans des "bordes" qui formaient un quartier réservé, un "bordeau".

Nous terminerons en citant deux grandes œuvres du patrimoine culturel français : "La P… respectueuse", pièce de Jean-Paul Sartre de 1946, et "La Maman et la Putain", film de Jean Eustache de 1973.