vendredi 19 novembre 2021

(C)iel mon français !



Mais quelle mouche a donc piqué le Petit Robert – ou faudrait-il écrire la Petite Roberte – pour faire entrer dans son dictionnaire en ligne le néologisme iel – au pluriel iels  avec la définition suivante : "Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre" ? Contrairement à son habitude, le dictionnaire ne donne ici aucun exemple d'utilisation. Faut-il écrire iel est beau, iel est belle ou bien iel est be·au·lle ?

Sommes-nous ici en présence d'un nouvel avatar de l'écriture inclusive dont l'ambition, avec notamment le fameux point médian, est de "dégenrer" la langue française ? On confond le genre grammatical et le genre biologique. Nous avons eu l'occasion de livrer nos réflexions sur l'écriture inclusive dans un billet de ce même blog publié le 1er novembre 2017 et nous ne les réitérerons pas ici.

Il est parfaitement normal qu'une langue évolue au gré des évolutions de la société. Ainsi la féminisation de nombreuses professions est-elle totalement entrée dans l'usage. Et c'est justement l'usage qui tranche en dernier ressort de la persistance ou non d'un terme ou d'une expression dans une langue. Ce qui heurte dans la décision des éditions Le Robert, c'est cette façon de mettre la charrue avant les bœufs et d'admettre dans son dictionnaire en ligne un pronom que pratiquement personne n'a jamais entendu, lu ou employé. Si, dans quelques années, iel est couramment employé à l'oral et à l'écrit, alors il serait parfaitement normal de le trouver dans les dictionnaires, ceux-ci ayant pour mission de refléter l'usage et non de le devancer.

On nous dit que le français ne connaît que le masculin et le féminin et qu'il lui manque donc le genre neutre qu'on trouve dans d'autres langues, comme l'anglais ou l'allemand par exemple. Et si le masculin français était en fait un neutre ? Lorsque je dis "bonjour à tous" à une assemblée mixte, je m'adresse aussi bien aux femmes qu'aux hommes, mais aussi à tous les "non binaires". "Tous" est ici neutre. Alors que si je dis "bonjour à toutes et à tous" je mets explicitement en avant le genre/le sexe des personnes présentes, et j'exclus de ce fait les "non binaires". Paradoxalement, dans la grammaire française c'est peut-être le féminin qui marque une singularité alors que l'autre genre – traditionnellement qualifié de masculin, mais en vérité plus proche du neutre – est, quant à lui, véritablement inclusif puisqu'il ne fait aucune distinction de genre.

Pour conclure sur une note musicale, voici les paroles de l'excellent "Rap idyllique" de Claude Nougaro dont on a peine à imaginer une version "dégenrée".

Elle se promène dans la ville
Il la suit car elle est belle
Elle dans la foule se faufile
Il la poursuit de plus belle
Elle alors s'arrête pile
Il lève les yeux au ciel
Elle et il, il et elle
Elle lui dit: "C'est inutile"
Il bégaie: "Mademoiselle"
Elle dit: "Laissez-moi tranquille"
Il répond: "Vous êtes si belle"
Elle perd son air hostile
Il sent qu'elle se dégèle
Elle et il, il et elle
Elle se met à bat-
tre des cils
Il se sent pousser des ailes
Elle lui trouve un air viril
Il lui chante sa ritournelle
Elle s' dit: "Ainsi soit-il"
Il s' dit: "Ainsi soit elle"
Allélou elle et il, il et elle
Elle habilement tire les fils
Il est maintenant fou d'elle
Elle le tourne sur le gril
Il lui cherche alors querelle
Elle: "Des ils, il y en a mille"
Il: "Et des elles à la pelle"
Elle a la larme facile
Il s'met à genoux devant elle
Elle évidemment jubile
Il promet d'être fidèle
Elle promet d'être docile
Il froisse un peu ses dentelles
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
D'elle et d'il, d'il et d'elle
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
Ils partent en lune de miel
D'aile en aile, d'île en île
Ils auront des ribambelles
D'elles et d'ils, d'ils et d'elles, d'elles et d'ils, d'ils et d'elles