samedi 10 décembre 2022

Des truffes ? Non, plutôt des patates !


S’il existe un mot allemand que tous les français connaissent, c’est bien Kartoffel – la pomme de terre. Eh bien saviez-vous qu’avant de s’appeler ainsi, on parlait de cartoufle : c’est le nom que l’agronome français Olivier de Serres (1539-1619) avait donné à ce légume en francisant purement et simplement la Kartoffel allemande. Ce qui est très amusant, c’est que le mot allemand Kartoffel vient en fait de l’italien tartufolo, diminutif de tartufo qui signifie truffe. Lors de son arrivée dans ce pays, les italiens appelèrent donc la pomme terre petite truffe. La germanisation de tartufolo donna Kartoffel.

Mais la cartoufle qui, elle, a disparu de notre langue, y a pourtant laissé des traces, et notamment la tartiflette, cette spécialité savoyarde à base de reblochon et de pommes de terre. Or, en savoyard (la langue est le franco-provençal ou arpitan), la tartifle, terme apparenté étymologiquement à cartoufle, désigne… une pomme de terre ! Alors, truffe ou pomme de terre, à chacun de choisir selon ses goûts, rien n’interdisant d’ailleurs de marier les deux.

Si je vous dis « Stachys affinis », vous me répondez … Allez, je vous aide : c’est une plante de la famille des lamiacées originaire du Nord-Ouest de la Chine et cultivée pour ses tubercules comestibles… Vous ne voyez toujours pas ? Il s’agit du crosne ou crosne du Japon, l’un de ces légumes anciens que l’on revoit maintenant assez fréquemment sur les étals des marchés. Comment se fait-il que ce tubercule ait pris le nom de la commune de Crosne, située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Paris ? À la fin du 19e siècle, un certain Nicolas Auguste Paillieux, industriel récemment retraité et passionné de jardinage, reçoit d’Asie quelques plants de Stacchys affinis et essaie d’acclimater ce légume en France. L’essai est concluant. Reste maintenant à populariser le légume. Donnons la parole à Paillieux qui avait expliqué dans la revue de la Société nationale d’acclimatation : « Convaincu que les mots Stachys affinis ne pourraient être prononcés par nos cuisinières, j’ai donné aux tubercules le nom de crosnes qui est celui de mon village ».


J’espère ne pas vous courir sur le haricot, mais voilà un autre légume dont l’étymologie interpelle. En effet, à l’origine, un haricot est un ragoût, sens que l’on retrouve encore aujourd’hui dans le haricot de mouton. Le terme viendrait de l’ancien verbe harigoter ou haligoter qui signifie « couper en morceaux, mettre en lambeaux », ce que l’on fait justement de la viande mouton qu’on prépare pour un haricot. Or, le haricot de mouton était généralement accompagné de fèves, que l’on a appelées fèves d’aricot ou febve de haricot et c’est sans doute de là que vient le sens actuel de cette légumineuse. À noter : l’aligot, ce succulent mélange de pommes de terre et de tomme fraîche de Laguiole, ou de Cantal pourrait également venir de l’ancien verbe haligoter ; ce n’est toutefois pas certain. Une autre hypothèse fait dériver l’aligot de aliqu’ot, lui-même venant du latin aliquod (« quelque chose ») car il s’agissait, à l’origine, d’un plat basique, fait de pain et de fromage. 

Cinq fruits ou légumes par jour, dit le slogan. Eh bien en voici déjà trois pour bien terminer l’année !

vendredi 11 novembre 2022

Quand on aime, on ne compte pas

On qualifie d'innombrable une quantité si grande qu'elle ne peut être comptée ou dénombrée. Si l'on veut faire preuve d'un peu de pédanterie, voire étaler sa culture, on dira peut-être incommensurable. Mais attention : cet adjectif a un sens précis dans le domaine des mathématiques : sont incommensurables des grandeurs qui n'ont pas de mesure commune, dont le rapport ne peut donner de nombre entier ni fractionnaire. Mais dans le langage courant, on qualifie d'incommensurable une quantité très grande ou qui ne peut être mesurée.

La langue française dispose de tout un éventail de termes pour désigner les très grandes quantités. Par exemple myriade : en grec, muriades (pluriel de murias) signifie à la fois "nombre de dix mille" et "nombre infini". Le mille-pattes, ou myriapode, devrait peut-être être rebaptisé dix-mille-pattes.

Mais qui d'entre nous aurait pensé que le terme kyrielle était issu par abréviation de la formule liturgique kyrie eleison, qui signifie "Seigneur, prends pitié" ? Cette formule étant répétée de nombreuses fois au cours de la messe,  kyrielle prend le sens de litanie et finalement de longue suite ou liste de choses.

Autre terme fort chic pour désigner une grande quantité : pléthore. L'étymologie, grecque une fois de plus, nous conduit dans l'univers médical, puisque plêthôrê (qui a donné plectorie au 14e siècle) signifie "surabondance de sang ou d'humeur". Ce mot grec est lui-même dérivé du verbe plêthein qui veut dire "être plein", "remplir", "se remplir". Remontons encore d'un cran la chaîne étymologique et nous découvrons que ce verbe est dérivé de plêthos, qui signifie "grande quantité", "multitude", "foule". La boucle est bouclée et il n'est nul besoin de consulter une documentation pléthorique pour comprendre la subtilité de cette étymologie.

Changeons un peu de registre et intéressons-nous à des termes un peu plus familiers comme flopée et palanquée. Flopée est dérivé du verbe argotique floper qui signifie "battre", mot issu du latin médiéval faluppa qui désigne une balle de blé – peut-être parce qu'on bat le blé. Et c'est ce même terme latin qui nous a donné enveloppe (mais aussi fripe, fripon, flapi ou encore falbala). Flopée a initialement le sens de "volée de coups" et finit par signifier, par extension, "grande quantité". Quant à une palanquée, c'est tout simplement l'ensemble des fardeaux levés par un palan ; le terme prend, par extension, le sens de "grande quantité".

Et l'adverbe beaucoup dans tout ça ? Au 13e siècle biau cop (soit beau coup) désigne une grande et belle chose. Au 14e siècle beau et coup sont soudés pour former beaucoup qui perdra au 16e siècle son acception qualitative au profit de son sens quantitatif que nous connaissons aujourd'hui.

vendredi 5 août 2022

Chauffe Marcel, chauffe …

 

Qui ne s'est jamais posé la question de l'origine du terme marcel pour désigner un maillot de corps ou, pour les plus anciens d'entre nous, un tricot de peau ? Avant de répondre à cette question, il faut faire une petite excursion par le Ventre de Paris, cher à Émile Zola, c'est-à-dire les Halles de Paris. En effet, ce type de vêtement était porté par les "forts" des Halles qui étaient chargés du déchargement – ou  débardage – des camions qui assuraient l'approvisionnement du marché parisien dès le milieu du XIXe siècle. Ces hommes étaient des débardeurs et c'est par métonymie que ce terme finit par désigner le vêtement qu'ils portaient. Et le marcel dans tout ça ? Le vêtement prend ce nom lorsque Marcel Eisenberg, propriétaire des "Établissements Marcel" à Roanne, en lance la commercialisation.

Nous allons, une fois n'est pas coutume, faire un petit détour par la langue de Shakespeare et nous intéresser au nom que les anglophones donnent à ce vêtement. En anglais, un marcel est un wife beater, autrement un "individu qui bat sa femme". Là encore, c'est le procédé de la métonymie qui fait qu'on donne au vêtement  le terme  qui désigne la personne qui le porte. Faut-il en conclure que, dans le monde anglophone, tous les hommes qui arborent un marcel sont des brutes épaisses ? Non, évidemment. Cependant, en 1947, un crime brutal a ému l'opinion publique et a indirectement associé un homme violent battant sa femme au maillot de corps blanc sans manches. Un natif de Détroit, James Hartford Jr., a été arrêté pour avoir battu sa femme à mort. Et sa photo, le représentant vêtu d'un débardeur tâché avec la légende "the wife beater" a fait la une dans tout le pays. Là où en France un fort des Halles est à l'origine du débardeur (puis du marcel), aux États-Unis ce même vêtement doit son étymologie à un homme violent.

Le débardeur blanc est devenu iconique au cinéma, par exemple avec James Dean ou encore Marlon Brando dans "Un tramway nommé Désir" (où il interprète d'ailleurs un homme violent, Stanley Kowalski) et plus récemment avec Bruce Willis dans "Die Hard" ; Bruce Lee arbore également un wife beater dans "La fureur du Dragon" sorti en 1972. Pour des raisons aisément compréhensibles, le monde anglophone utilise désormais un terme plus "politiquement correct" pour désigner ce vêtement. On le trouvera habituellement sous l'appellation de athletic shirt (ou A-shirt) ou encore tank top.

Au Québec et en Suisse romande, le marcel  est appelé camisole, et en Belgique c'est un singlet : dans ce dernier cas il s'agit d'un anglicisme, singlet étant utilisé pour désigner ce vêtement principalement en Australie et en Nouvelle-Zélande. Concluons ce billet estival sur le crop top ou haut court, ce vêtement qui laisse voir le nombril de celui, en général d'ailleurs plutôt celle qui le porte. Si je mentionne ce vêtement c'est pour mettre en avant l'extraordinaire créativité lexicale de nos amis québécois qui l'appellent chandail bedaine.

jeudi 6 janvier 2022

Merde alors !


 "C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Mais les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout". Cette déclaration du Président de la République (interview dans Le Parisien du 4 janvier 2022) aura fait couler beaucoup d'encre. Nombreux sont ceux qui reprochent au Chef de l'État de faire usage d'un langage familier, voire vulgaire. Et pourtant, merde est sans doute le "gros mot" le plus employé par les francophones.

Du latin "merda" (fiente, excrément), merde est utilisé comme interjection pour exprimer toute une kyrielle de sentiments négatifs : indignation, colère, refus, impatience, mépris etc. Pour éviter l'écueil de la vulgarité, on remplace parfois merde par mince, mercredi, miel (cf. mouche à miel), le mot de cinq lettres, le mot de Cambronne (par allusion à une réplique du général de Napoléon aux Anglais qui le sommaient de se rendre).

Qui n'a jamais dit merde ! à quelqu'un pour l'encourager avant un examen ou un entretien d'embauche par exemple ? Cette expression viendrait du théâtre : plutôt que de souhaiter "bonne chance" – formule qui porte malheur – à un acteur ou un membre de la production on lui dit merde ! A l'époque où les spectateurs se faisaient déposer au théâtre en calèche, le volume de crottin produit par les chevaux était bien sûr proportionnel au nombre de spectateurs. En disant merde ! aux artistes, on leur souhaitait beaucoup de crottin, autrement dit beaucoup de spectateurs.

Merde a donné lieu à toute une série de dérivés, qui relèvent du même registre familier ou vulgaire. Qui n'a pas croisé un jour le chemin d'un petit merdeux ? Merdeux, à ne pas confondre avec merdique qui désigne quelque chose de très mauvais, de raté, de nul. C'est la même idée qu'on retrouve dans le verbe merder et ses variantes merdoyer et merdouiller.

Quant au verbe emmerder, à l'origine de ce billet, on lui connaît plusieurs acceptions. À l'origine, cela veut dire concrètement "salir de merde" ; au sens figuré actuel cela signifie ennuyer quelqu'un, l'enquiquiner, l'embêter, en un mot et pour rester dans la métaphore scatologique "le faire chier" (registre beaucoup plus vulgaire). Dans un sens un peu différent, l'expression "je t'emmerde !" ou  "je vous emmerde !" traduit la volonté de mettre fin à toute discussion, d'opposer une fin de non-recevoir, d'ignorer purement et simplement la position de son interlocuteur. On pourrait ainsi imaginer qu'un non-vacciné ainsi interpellé par le Président de la République dans son entretien lui réponde "je vous emmerde !"

Et bien sûr, l'existence de tout un chacun apporte son lot d'emmerdements ou d'emmerdes comme le chantait Charles Aznavour dans la chanson intitulée "Mes emmerdes". Lorsqu'on se retrouve dans la merde ou qu'on est victime d'emmerdements, il faut chercher à s'en sortir, autrement dit se démerder pour retrouver meilleure fortune.

Pour conclure ce premier billet de l'année 2022, j'adresse à tous les fidèles lecteurs de ce blog mes vœux les plus chaleureux pour une année nouvelle qui ne soit pas trop… merdique !

samedi 18 décembre 2021

Au pied de la lettre (grecque)

 

À l'heure où le variant omicron est sur le point de remplacer le variant delta, le simple citoyen lambda que je suis se sent un peu perdu en écoutant les déclarations savantes des éminents spécialistes qui maîtrisent l'alpha et l'oméga de l'épidémiologie.

Parfois, certains d'entre eux adoptent le comportement d'un mâle alpha pour imposer leur point de vue, surtout lorsqu'ils ont face à eux des contradicteurs qui refusent de bouger d'un iota dans leur propos. Et pourtant, le delta qui les sépare est souvent infiniment plus petit que celui du Nil ou du Rhône.

Mais si l'on s'aventure à vouloir faire le sigma de tout ce que l'on entend et que l'on lit à propos de cette pandémie, on risque fort de devoir, tôt ou tard, consulter un psy pour ne pas complètement perdre son latin, pardon, son grec !

En attendant qu'un logiciel, même dans une version beta, nous annonce de quoi demain sera fait, à tous les fidèles lecteurs de ce blog, je souhaite καλά Χριστούγεννα.

vendredi 19 novembre 2021

(C)iel mon français !



Mais quelle mouche a donc piqué le Petit Robert – ou faudrait-il écrire la Petite Roberte – pour faire entrer dans son dictionnaire en ligne le néologisme iel – au pluriel iels  avec la définition suivante : "Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre" ? Contrairement à son habitude, le dictionnaire ne donne ici aucun exemple d'utilisation. Faut-il écrire iel est beau, iel est belle ou bien iel est be·au·lle ?

Sommes-nous ici en présence d'un nouvel avatar de l'écriture inclusive dont l'ambition, avec notamment le fameux point médian, est de "dégenrer" la langue française ? On confond le genre grammatical et le genre biologique. Nous avons eu l'occasion de livrer nos réflexions sur l'écriture inclusive dans un billet de ce même blog publié le 1er novembre 2017 et nous ne les réitérerons pas ici.

Il est parfaitement normal qu'une langue évolue au gré des évolutions de la société. Ainsi la féminisation de nombreuses professions est-elle totalement entrée dans l'usage. Et c'est justement l'usage qui tranche en dernier ressort de la persistance ou non d'un terme ou d'une expression dans une langue. Ce qui heurte dans la décision des éditions Le Robert, c'est cette façon de mettre la charrue avant les bœufs et d'admettre dans son dictionnaire en ligne un pronom que pratiquement personne n'a jamais entendu, lu ou employé. Si, dans quelques années, iel est couramment employé à l'oral et à l'écrit, alors il serait parfaitement normal de le trouver dans les dictionnaires, ceux-ci ayant pour mission de refléter l'usage et non de le devancer.

On nous dit que le français ne connaît que le masculin et le féminin et qu'il lui manque donc le genre neutre qu'on trouve dans d'autres langues, comme l'anglais ou l'allemand par exemple. Et si le masculin français était en fait un neutre ? Lorsque je dis "bonjour à tous" à une assemblée mixte, je m'adresse aussi bien aux femmes qu'aux hommes, mais aussi à tous les "non binaires". "Tous" est ici neutre. Alors que si je dis "bonjour à toutes et à tous" je mets explicitement en avant le genre/le sexe des personnes présentes, et j'exclus de ce fait les "non binaires". Paradoxalement, dans la grammaire française c'est peut-être le féminin qui marque une singularité alors que l'autre genre – traditionnellement qualifié de masculin, mais en vérité plus proche du neutre – est, quant à lui, véritablement inclusif puisqu'il ne fait aucune distinction de genre.

Pour conclure sur une note musicale, voici les paroles de l'excellent "Rap idyllique" de Claude Nougaro dont on a peine à imaginer une version "dégenrée".

Elle se promène dans la ville
Il la suit car elle est belle
Elle dans la foule se faufile
Il la poursuit de plus belle
Elle alors s'arrête pile
Il lève les yeux au ciel
Elle et il, il et elle
Elle lui dit: "C'est inutile"
Il bégaie: "Mademoiselle"
Elle dit: "Laissez-moi tranquille"
Il répond: "Vous êtes si belle"
Elle perd son air hostile
Il sent qu'elle se dégèle
Elle et il, il et elle
Elle se met à bat-
tre des cils
Il se sent pousser des ailes
Elle lui trouve un air viril
Il lui chante sa ritournelle
Elle s' dit: "Ainsi soit-il"
Il s' dit: "Ainsi soit elle"
Allélou elle et il, il et elle
Elle habilement tire les fils
Il est maintenant fou d'elle
Elle le tourne sur le gril
Il lui cherche alors querelle
Elle: "Des ils, il y en a mille"
Il: "Et des elles à la pelle"
Elle a la larme facile
Il s'met à genoux devant elle
Elle évidemment jubile
Il promet d'être fidèle
Elle promet d'être docile
Il froisse un peu ses dentelles
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
D'elle et d'il, d'il et d'elle
C'est le rap idyllique
De l'idylle éternelle
Ils partent en lune de miel
D'aile en aile, d'île en île
Ils auront des ribambelles
D'elles et d'ils, d'ils et d'elles, d'elles et d'ils, d'ils et d'elles


dimanche 31 octobre 2021

Ces chères têtes blondes (ou brunes, ou rousses…)

 

La langue ne manque pas d'imagination lorsqu'il s'agit de parler des enfants : gosse, gamin, môme, mouflet, marmot, moutard, chenapan, garnement, polisson, canaille, fripouille, drôle, j'en passe et des meilleures.

Commençons par le mot enfant (terme épicène puisque aussi bien masculin que féminin), qui nous vient du latin infans signifiant "qui ne parle pas" : le préfixe négatif in est suivi de fans, participe présent de fari "parler" rattaché à une racine indoeuropéenne voulant dire à la fois "éclairer" (ce qui nous a donné phénomène) et "parler" (qu'on retrouve dans aphasie, emphase ou fable). Si l'enfant ne parle pas, il produit cependant des sons peu articulés tels que mom, un radical expressif qui aurait donné môme. Ce terme n'est pas très sympathique, sauf, bien sûr, lorsque Léo Ferré chante Jolie Môme !

L'origine de gosse est assez obscure : peut-être du provençal gous "chien" et ses variantes gousse, gousset, goussoun pour "petit chien". Il y a quelque chose de condescendant dans gosse et l'on ne pourrait que se réjouir de voir disparaître l'emploi ce terme de la langue française. Et attention : en français canadien, les gosses désignent les testicules, non pas parce que ces organes sont sollicités lors de la fabrication des enfants, mais par analogie de forme avec une gousse (d'ail par exemple). Parmi les expressions péjoratives pour désigner les enfants, on citera également mouflet et moutard. L'étymologie de mouflet (féminin mouflette) renvoie à l'allemand Muffel "museau" et désigne quelque chose de rebondi, de joufflu. On retrouve la même origine dans les mots mufle et moufle. Quant à la vilaine appellation moutard, son origine est également incertaine : peut-être moulte ou mote qui désigne en franc-comtois et franco-provençal une "chèvre sans cornes", ces dernières étant les plus jeunes (au 17e siècle dans le Dauphiné un mottet désignait un petit garçon ou un jeune homme). Moutard n'est pas employé au féminin en raison de l'homonymie avec moutarde, qui vient de moût.

Le gamin et la gamine sont également caractérisés par un flou étymologique. L'Encyclopédie (18e siècle) désigne par ce mot le jeune aide du verrier (dans l'article consacré à la verrerie). L'origine est peut-être à chercher dans l'alémanique gammel qui signifie à la fois "joie bruyante" et "jeune homme dégingandé, vaurien". Le marmot, quant à lui, serait apparenté à un petit singe, le marmouset – sorte de ouistiti - de même étymologie. On trouve la même origine dans les verbes marmotter et marmonner en raison des mouvements continuels que les singes, mais aussi les marmottes, font avec leurs babines. À moins que, autre hypothèse, on ait affaire ici à un dérivé de mermer, marmer "raccourcir", du latin minimare,  en raison du museau aplati et comme raccourci du singe et de la marmotte.

Le chenapan, lui, nous vient de l'allemand Schnapphahn, "voleur de grand chemin", le verbe schnappen signifiant "attraper", "s'emparer vivement de quelque chose". Quant au garnement, il partage son étymologie avec le verbe garnir. Un garnement désignait à l'origine l'équipement d'un soldat, et, par métonymie, un homme armé, puis un vaurien. Le terme anglais garment désigne toujours un vêtement. Le polisson est à l'origine celui qui polit (dans le sens de nettoyer, laver), c'est-à-dire qui "écoule la marchandise qu'il a volé". On retrouve la même idée dans le concept de blanchiment (d'argent sale). Le polisson était le gueux, le vagabond qui revendait les vêtements qu'il avait mendiés. Par extension, le terme a fini par désigner un petit garçon un peu fripon et espiègle. La fripouille – qui n'est d'ailleurs pas forcément un enfant – est apparentée au fripon et à la fripe. À l'origine, c'est un bon à rien (comme une fripe, un haillon qui ne vaut pas grand-chose) ; aujourd'hui c'est une personne dénuée de scrupules.

Avec la canaille, nous retrouvons l'univers des chiens, puisque le terme italien canaglia désigne une troupe de chiens (du latin canis "le chien"). La canaille (qui existait en ancien français sous la forme de chienaille ou chenaille) désignait de manière péjorative le "bas peuple" ; ce sens a fini par évoluer et il n'y a rien d'offensant à traiter aujourd'hui un enfant de petite canaille. Dans le sud de la France les enfants sont souvent qualifiés de drôles : le terme nous renvoie sans doute au moyen néerlandais drolle, drol "lutin, petit bonhomme". Un lien avec le troll scandinave (lutin) n'est pas à exclure, mais n'est pas avéré.

Si, comme nous le faisions remarquer en introduction, l'enfant est celui "qui ne parle pas", il fait en revanche abondamment parler de lui comme en témoigne l'excellent Robert historique de la langue française (publié sous la direction d'Alain Rey) dont ce billet – et plus généralement ce blog – se nourrit régulièrement.