samedi 25 mars 2023

Fume, c'est du belge !

 

J’ignore si ce billet fera un tabac, mais c’est bien à l’herbe à Nicot que je vais m’intéresser aujourd’hui. Commençons par le titre de cette chronique. Nous connaissons tous cette expression chère à Frédéric Dard, alias San-Antonio. Mais de quoi est-il question au juste ? Selon le « Bouquet des expressions imagées » de Claude Duneton, « le belge désigne le tabac belge, de bonne réputation, avec lequel on se roulait d'excellentes cigarettes - familièrement parlant, "de très bonnes pipes" ». Le « Dictionnaire des expressions et locutions » (éditions Le Robert) nous livre l’explication suivante : « Apostrophe obscène, invitant l'interlocuteur à la fellation, et équivalant, sur le plan du langage, à d'autres insultes et sur celui des gestes, à la "basane" et au "bras d'honneur". La qualité du tabac belge (pour pipes) ne suffit pas à expliquer clairement la genèse de cette expression. Une autre explication fait allusion au "Manneken piss" bruxellois, mais la métaphore du fumeur de pipe, vu le sens de pipe et l'expression "avaler la fumée", est beaucoup plus vraisemblable ».

Précisons d’emblée que le tabac qu’on fume et le tabac qu’on trouve dans les expressions faire un tabac, coup de tabac ou passer à tabac n’ont strictement rien à voir. Ce sont simplement des homonymes. Commençons par le tabac à fumer. Tabac est emprunté à l’espagnol tabaco qui serait une déformation mal expliquée de tsibatl, mot de la langue des Indiens Arouaks d’Haïti où il désigne soit un ensemble de feuilles, soit l’action de fumer, soit surtout le tuyau de roseau dont ces Indiens se servaient pour aspirer la fumée. Alors que tout le monde attribue à Jean Nicot (à nicotine) l’introduction du tabac en France, il fut en réalité précédé par l’explorateur et écrivain-géographe André Thevet qui importa des graines de pétun et les sèmera dans sa région natale d’Angoulême ; il baptisera la plante « herbe angoumoisine ». Le pétun – qui a donné le verbe pétuner mais aussi le pétunia – vient du mot « tupi » (une langue amérindienne) petyma, petyn. Pétun sera largement utilisé jusqu’au début du XVIIe siècle, époque où il sera évincé par tabac.

Le tabac désigne aussi par métonymie le commerce où ce produit est vendu. On parle aussi de tabac-presse ou de bar-tabac ; à ce propos, l’expression « fier comme Artaban » a été déformée de manière ironique en « fier comme un bar-tabac ». Ce trait d’esprit est attribué tantôt à Coluche, tantôt à Frédéric Dard et parfois même à Fernand Raynaud.

L’homonyme tabac nous renvoie au verbe tabasser : le radical tabb- exprime l’idée de « frapper ». Vers 1400, on trouve ainsi en moyen français le tabut qui signifie « bruit, tumulte » ainsi que le verbe tabuster qui veut dire « battre, frapper ». Il nous reste encore aujourd’hui dans le même champ sémantique le verbe tarabuster. Le coup de tabac redouté par les marins renvoie ainsi à un phénomène météorologique violent. Le passage à tabac se comprend aisément. Quant à la pièce de théâtre qui fait un tabac, les coups frappés (du pied) en applaudissant sont bien le signe du succès.

Quoi qu’il en soit, ne fumez pas (du tabac, ni autre chose) dans un lieu où c’est interdit, vous risqueriez un tabassage en règle !