lundi 21 décembre 2020

Saute d'humeur ou trait d'humour ?

 


Pour cette dernière chronique de l'année 2020, je ne vous propose pas un billet d'humeur, mais un billet consacré aux humeurs – et accessoirement à l'humour. La théorie dite "des humeurs" nous fait remonter au temps d'Hippocrate et constitue l'une des bases de la médecine antique en Europe. Du latin "humor" – humidité, liquide en général – l'humeur désigne à l'origine les liquides organiques du corps humain. En anatomie, on retrouve encore cet emploi aujourd'hui lorsqu'on parle de l'humeur aqueuse ou vitrée de l'œil.

La théorie des humeurs fait référence aux quatre liquides principaux du corps qui vont justement déterminer notre… humeur. Si c'est la bile jaune – symbole : le feu – qui domine, vous êtes bileux, c’est-à-dire anxieux ou tourmenté ; vous vous faites de la bile. La bile noire, incarnée par la terre, vous rendra atrabilaire (du latin atra – noire – et bilis – bile), c.-à-d. porté à l'irritation, à la colère, à la mauvaise humeur justement. On se rappellera à cette occasion que le sous-titre de la pièce de Molière "Le Misanthrope" est "L'atrabilaire amoureux". La bile noire peut aussi vous rendre mélancolique (du latin melancholia qui signifie aussi "bile noire" en puisant dans la racine grecque).

Le sang – rattaché à l'air – devrait vous conférer un caractère sanguin, au sens de jovial, chaleureux (par la suite, selon l'approche de Galien, le caractère sanguin vous pousserait plutôt à la colère). Enfin la lymphe ou le flegme – symbole : l'eau - fera de vous une personne … flegmatique. L'essentiel, c'est de toujours préserver un bon équilibre entre ces quatre humeurs, faute de quoi vous serez bien vite victime de sautes d'humeurs, assez insupportables pour votre entourage.

L'étymologie n'est jamais avare en surprises : ainsi ai-je découvert que le flegme et la flemme ont la même racine (le phlegmon aussi d'ailleurs, mais nous ne nous étendrons pas sur cette bien peu ragoûtante inflammation purulente du tissu sous-cutané). Alors qu'on s'extasie devant le flegme britannique, on critique vertement la flemme de nous autres Latins ! Le flemmard est bel et bien un fainéant (celui qui "ne fait rien") ou un feignant (de "feindre", au sens de se dérober, rester inactif). En quelque sorte, le feignant  feint de faire, mais en vérité ne fait rien !

Nous conclurons bien sûr ce billet sur une pointe d'humour : ce terme est un bel exemple d'aller-retour entre le français et l'anglais. En effet, ce mot nous vient de l'anglais "humour", terme qui lui-même a été emprunté au français humeur en lui donnant, au XVIIe siècle, le sens de "disposition à la gaieté", alors que le mot français humeur ne conservait que le sens de "disposition à l'irritation". Si l'humour anglais est légendaire, on a néanmoins du mal à trouver la moindre trace d'humour dans le Brexit. Dommage !

dimanche 15 novembre 2020

Hommage au référentiel bondissant

 

Chaque métier à son langage : c'est ce que l'on appelle un jargon ou – justement dans le jargon des linguistes – un technolecte. Lorsqu'un interprète de conférence dit à son collègue "Je prends le russe sur l'anglais mais préviens-moi quand tu sors pour que je ne me retrouve pas en double relais", cette phrase parfaitement hermétique pour quelqu'un qui n'est pas du métier, est limpide pour n'importe quel interprète.

Lorsqu'on n'est pas "initié", on peut avoir le sentiment que le but du jargon participe d'une volonté d'exclusion pour que le "profane" ne comprenne pas ce qui se dit. Une telle conception est bien simpliste. Si votre médecin vous expliquait avec des termes médicaux les causes de votre hypertension, vous auriez toutes les peines à le suivre à moins d'avoir de solides connaissances médicales ; il va donc a priori vous présenter les choses dans un langage plus simple mais sans doute moins précis. En revanche, lorsque deux médecins discutent entre eux, ils vont privilégier l'exactitude scientifique et l'efficacité de la communication en utilisant un vocabulaire technique précis qui paraîtra bien abscons au citoyen lambda.

C'est ainsi que le domaine de l'éducation et de la pédagogie utilise également son propre jargon. Il y quelques années, au cours d'une réunion d'enseignants consacrée à l'évaluation et à la notation des étudiants d'une école d'interprètes, l'une des participante déclara "La docimologie n'est pas une science exacte" ; j'ignorais que ce terme désignait la science de l'évaluation, de la notation des connaissances et performances d'élèves et d'étudiants.

Or, il se trouve qu'il y déjà bon nombre d'années – cela doit remonter aux années 1980 – certains journalistes ou observateurs extérieurs au monde de l'éducation ont épluché les textes des différents services de l'Éducation nationale pour y repérer les formules jargonnantes et les brocarder.

Bien sûr, on peut sourire du milieu aquatique profond standardisé qui désigne en général une piscine, mais aussi d'autres types de bassins ou de pièces d'eau. C'est donc une façon de désigner une réalité concrète au moyen d'un concept plus abstrait qui a l'avantage de couvrir toute une catégorie.

Même chose pour l'outil scripteur : pourquoi diable ne dit-on pas tout simplement stylo ?! Eh bien justement, parce cet outil scripteur – concept abstrait – peut désigner tout à la fois un crayon, un feutre, un roller, un stylo-plume, un stylo à bille, une craie, voire une plume d'oie, même si cette dernière n'est plus guère en usage de nos jours.

Mais la vedette incontestée du jargon ÉducNat est le fameux référentiel bondissant qui n'est autre qu'une balle ou un ballon. Cette expression qu'on trouve bel et bien de nos jours dans certains textes officiels des services de l'Éducation nationale, ne peut-être selon moi que le fruit d'un superbe canular ou d'un pari entre deux hauts fonctionnaires. En effet un référentiel est un système de références ou un ensemble de normes et ne se rapporte jamais à un objet matériel ; et un ballon ne saurait bondir, car cela supposerait qu'il dispose d'une volonté et d'une énergie propres – tout au plus peut-il rebondir. Si un technocrate avait réellement voulu trouver un terme générique abstrait pour désigner les balles et les ballons, il aurait pu imaginer sphère à finalité ludo-sportive par exemple. Mais le référentiel bondissant qui fera encore, durant de longues années, la joie des réseaux sociaux, est selon toute probabilité issu du délire volontaire d'un fonctionnaire facétieux du ministère de l'Éducation nationale.

dimanche 25 octobre 2020

22 v'là les flics !


 La langue française doit beaucoup à ses forces de l'ordre et notamment les termes d'argot  en rapport avec cette noble profession sont légion. Le mot police nous vient du latin "politia" qui signifie organisation, gouvernement, mais aussi politique ; dans l'histoire, les deux termes – police et politique­- ont d'ailleurs été synonymes (en anglais politique se dit policy). C'est à partir du XVIIe siècle que police prend son sens actuel. Mais attention, l'homonyme police – qu'on trouve dans police d'assurance ou police de caractères – n'a pas la même étymologie ("polizza" en italien désignait un certificat ou un contrat).

L'origine de flic, quoiqu'incertaine, est des plus pittoresques : en argot, le mot mouche peut désigner un espion de la police et par extension un policier (c'est de là que vient mouchard). En traversant le Rhin, la mouche est devenue Fliege en allemand et, en repassant de l'autre côté de la frontière, Fliege aurait donné flic par adaptation phonétique. Si cette étymologie n'est pas certaine, elle est en tout cas séduisante.

Et puisqu'on parle de flics, nous connaissons tous l'expression 22 v'là les flics ! Mais d'où vient donc ce 22. Les explications sont nombreuses ; en voici quelques-unes :

     À la fin du XVIIIe siècle, la vareuse des policiers comptait 11 boutons et ils se déplaçaient toujours par 2.
     Le chiffre 22 est la somme du rang des lettres qui composent le mot "chef" (3+8+5+6).
     En typographie, les caractères les plus courants sont un corps (taille) 9 ou 10. Le corps 22, beaucoup plus grand, est réservé aux titres et désigne donc, par extension, quelque chose ou quelqu'un d'important : lorsque les ouvriers voient arriver leur contremaître, ils crient 22, et même 44 lorsque c'est le patron. Cette hypothèse réunit curieusement les deux significations du mot police évoquée au début de ce billet (police (nationale ou municipale) et police (de caractères).
     En argot du XIXe siècle, un vingt-deux est un couteau par référence à l'arme favorite des voyous, un couteau avec une lame de 22 centimètres : quand les flics approchent, on s'exclame 22 dans le sens de "à vos armes !".
     22 pourrait être une déformation du juron vingt-dieux ou vains-dieux.
     C'est au chapitre 22 de l'Évangile selon Saint-Luc que Jésus est arrêté.
     Si la police judiciaire est située au 36 quai des Orfèvres, c'est au numéro 22 qu'arrivent les camions de police transportant les accusés ou prévenus.

Synonyme de flics, les poulets. On parle aussi de la maison poulaga pour désigner la police en général. L'origine est amusante : lorsque la Préfecture de police s'est installée sur l'Île de la Cité au XIXe siècle, elle prend la place d'un marché aux volailles qui se trouvait là. Si le flic est un policier, le pandore, lui, est un gendarme. Le pandore – qui n'a ici rien avoir avec la mythologie grecque et la "boîte de Pandore" – est le nom donné à un gendarme par un célèbre chansonnier du XIXe siècle, Gustave Nadaud, dans la chanson Pandore ou les deux gendarmes : chaque couplet est ponctué par : "Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison." Le chansonnier, originaire de Roubaix et connaissant le flamand, se serait inspiré, pour nommer ainsi son gendarme, du mot néerlandais pandoer (terme d'origine hongroise), qui désignait un gendarme au Royaume des Pays-Bas.

Nous conclurons ce billet avec une citation d'Edmond de Goncourt : "Dans un livre, les auteurs doivent être comme la police: ils doivent être partout et ne jamais se montrer."

(P. S. : merci à E. G.-K. qui m'a donné l'idée de ce billet.)

dimanche 18 octobre 2020

Chaud devant !


 Vous en conviendrez, chers lecteurs, ce blog n'a rien d'un brûlot. Mais saviez-vous qu'avant de prendre le sens figuré régulièrement employé de nos jours – texte ou idée de nature à susciter un scandale, une polémique – un brûlot désignait un petit navire chargé de matières combustibles et destiné à incendier  les bâtiments ennemis ? Parmi les nombreuses expressions construites autour du verbe brûler, nous en retiendrons une à l'histoire particulièrement pittoresque : à brûle-pourpoint, qui veut dire "brusquement, sans préparation" ; à l'origine, la locution signifiait concrètement "tout près, de manière à brûler le pourpoint" dans le contexte d'un duel au pistolet !

Mais je m'égare ! En effet, ce n'est pas le verbe brûler qui m'intéresse aujourd'hui, mais le phénomène qui en est à l'origine, à savoir le feu. Et là je suis raccord avec l'actualité, puisqu'un tiers de la population française se trouve soumis depuis quelques heures au régime du couvre-feu pour cause d'épidémie de Covid. À l'origine, le couvre-feu est le signal d'éteindre les lumières – les feux – et de rentrer chez soi. Par extension, le couvre-feu­ désigne l'interdiction de sortir après une heure donnée. La langue anglaise a importé l'expression en l'adaptant : c'est le curfew.

Le feu – du latin "focus" – est évidemment à l'origine du foyer dans son sens propre et figuré. Ainsi, un homme sans feu ni lieu est en quelque sorte l'ancêtre de notre SDF, un homme sans famille, ni maison. On peut se demander si l'expression sans foi ni loi n'a pas été formée par une sorte d'allitération avec sans feu ni lieu. Ce n'est là qu'une supposition qui n'est pas linguistiquement démontrée.

Le feu désigne aussi le supplice du bûcher et c'est de là que vient la charmante expression (mourir) à petit feu. Pour rester dans le contexte des sympathiques coutumes du Moyen-Âge, mentionnons l'épreuve du feu (il s'agit d'une ordalie) qui nous a livré l'expression en mettre sa main au feu.

Rien ne presse quand il n'y a pas le feu (au lac chez nos voisins suisses), et, bien sûr, il n'y a pas de fumée sans feu. Embrasé par les feux de l'amour, le soupirant sera tout feu, tout flamme pour se précipiter vers sa belle qui aura peut-être le feu au c…; cette dernière expression, avoir le feu au derrière, aux fesses ou au c… a deux sens : 1) être très pressé, filer très vite (pour échapper aux flammes qui menacent votre postérieur) et 2) avoir des besoins sexuels intenses, en quelque sorte être "en chaleur".

En tout état de cause, on évitera de jouer avec le feu, de jeter de l'huile sur le feu et surtout de mettre le feu aux poudres. Pour les expressions faire (ou ne pas faire) long feu et tirer les marrons du feu, je vous renvoie à mes billets du 26 août 2017 "Épingles et marrons" et du 28 août 2017 "De feu et d'os".

Signalons enfin que l'adjectif feu utilisé pour évoquer une personne décédée – feue Madame untel – n'est en rien apparenté au feu qui brûle ; en effet l'étymologie de l'adjectif feu nous renvoie au latin "fatum", le destin. La personne décédée est ainsi désignée parce qu'elle a, en quelque sorte, accompli son destin.

Nous conclurons ce billet par une expression tombée en désuétude et pourtant bien sympathique : avoir le dos au feu et le ventre à table. Ainsi désignait-on une personne confortablement installée (le dos à la cheminée) pour bien manger (le ventre contre la table). Au fil de l'histoire les significations de cette expression ont évolué : on a qualifié ainsi des personnes débauchées ou bien des personnes qui prennent leurs aises et aiment la bonne chère ou encore qui prennent leurs aises en mangeant ou, tout simplement, des personnes qui prennent leurs aises sans qu'il ne soit plus question de repas.

mercredi 15 juillet 2020

Même pas peur !


Vous vous rappelez : il n'y a pas si longtemps, un Secrétaire d'état qui avait "omis" de déclarer ses revenus avait avancé comme justification le fait qu'il souffrait de phobie administrative. Si cette excuse lui avait permis d'échapper aux foudres de la justice, nul doute que des millions de Français auraient immédiatement été frappés de la même pathologie.

Une phobie – du grec "phobos" crainte, frayeur ou répulsion – est généralement une peur, souvent violente et irraisonnée, d'un objet ou d'une situation que les scientifiques qualifient de phobogène. Une phobie peut être une telle peur, mais aussi un sentiment de rejet – la fameuse phobie administrative -, une propriété physique ou chimique, mais aussi une attitude discriminatoire.

La liste des phobies  est très longue et nous n'en évoquerons que quelques-unes. Nous connaissons tous la claustrophobie, ou peur des espaces confinés, l'agoraphobie, la peur des espaces publics et, par extension, de la foule, et peut-être aussi l'arachnophobie, c.-à-d. la peur des araignées. Nombreuses sont les personnes ophiophobes, qui ont peur des serpents, et plus généralement herpétophobes qui n'apprécient guère les reptiles ou les amphibiens. La peur des abeilles et, plus généralement des insectes qui piquent, est logiquement l'apiphobie, celle des requins la squalophobie, la peur des souris et des rats la musophobie ; mais on peut aussi rencontrer des arctophobes qui n'approcheraient pour rien au monde un ours, fût-il en peluche, et même des cuniculophobes qui ne peuvent pas voir les lapins en peinture.

La peur de parler en public, incompatible avec la profession exercée par mes collègues interprètes, s'appelle la glossophobie ; elle s'accompagne souvent d'éreutophobie ou érythrophobie, la peur de rougir en public. Les écrivains qui éprouvent la peur de la page blanche sont atteints de leucosélophobie ; quant aux personnes souffrant de maskaphobie ou peur des masques, elles risquent de devoir rester confinées chez elles tant que sévira la pandémie de covid-19. On ne confondra pas l'acrophobie ou peur des hauteurs avec l'aviophobie ou peur de prendre l'avion. Apparue plus récemment, la nomophobie (de l'anglais "no mobile phobia") désigne la peur d'être séparé de son téléphone portable !

Quant aux phobies discriminatoires, elles nous sont hélas familières : xénophobie, homophobie, grossophobie (discrimination des personnes en surpoids), gérontophobie (rejet des personnes âgées). On mentionnera en particulier la glottophobie, une attitude discriminatoire à l'égard de la langue parlée par une personne et notamment de son accent. Le Premier ministre récemment nommé a été visé par des critiques glottophobes en raison d'un léger accent méridional lié à ses origines gersoises et à son activité d'élu dans les Pyrénées-Orientales.

Et savez-vous ce qu'est la paraskevidékatriaphobie ? C'est la peur du vendredi 13, du grec "paraskevi" vendredi et "decatreis" treize. La triskaïdékaphobie, quant à elle, désigne la peur du nombre 13 et la superstition qui en découle. Et pour conclure ce billet, dont j'espère qu'il ne vous aura pas effrayé, nous mentionnerons la pantophobie ou peur de tout et surtout la phobophobie ou… peur d'avoir peur !

 
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samedi 4 juillet 2020

Couvrez ce sein que je ne saurais voir !



Replongeons-nous dans notre Dictionnaire de l'Académie française de 1835 et dans le Nouveau dictionnaire illustré Larousse de 1890 pour voir comment on évoquait les choses du sexe au XIXe siècle. Le Larousse étant à destination des écoliers, il se montre plus que discret sur la question. C'est donc principalement dans le Dictionnaire de l'Académie que nous allons poursuivre notre exploration.

Le terme de pénis est absent des deux ouvrages, mais on y trouve celui de verge. Le Larousse donne simplement le sens de baguette ainsi que celui de mesure de longueur. Les définitions sont beaucoup plus nombreuses et détaillées dans le Dictionnaire de l'Académie : tout à la fin, il nous apprend que ce terme désigne le membre génital. Quant à verges au pluriel, ce terme désigne "plusieurs menus brins de bouleau, de genêt, d'osier, etc., avec lesquels on fouette, on fustige" ; on emploie encore de nos jours l'expression donner des verges pour se faire battre. Mais j'ai découvert, toujours dans le dictionnaire de 1835, une autre expression, fort amusante, qui est tombée en désuétude : faire baiser les verges à quelqu'un, qui signifie : "Le contraindre à demander pardon après qu'on l'a châtié, ou l'obliger à reconnaître la justice du châtiment". Absent du Larousse, le terme vagin désigne, dans le Dictionnaire de l'Académie, le "canal qui conduit à la matrice".

Point d'orgasme dans le Larousse, mais pour les Académiciens, il s'agit d'un "terme de médecine [qui désigne] l'état de gonflement et d'excitation des organes, et particulièrement ceux de la génération." Mais avant d'en arriver là, quid de l'érection : l'entrée figure bien dans le Larousse dans son sens architectural : "action d'élever (une statue), de construire". Si cette acception figure, naturellement, dans le Dictionnaire de l'Académie, on y trouve cependant aussi la définition suivante : "…se dit aussi en médecine de l'action par laquelle certaines parties molles du corps se gonflent, se durcissent et se redressent". Mais on ne nous dit pas de quelles parties il s'agit !

Pour les Immortels, la sodomie est simplement "un péché contre nature". En revanche, ils se sont donnés beaucoup de mal pour définir le terme de masturbation : "Genre de pollution qui trompe le vœu de la nature, et qui a ordinairement les suites les plus funestes". La lecture de cette définition m'a laissé sur le… cul. Eh bien oui, le cul est bien présent dans nos deux ouvrages. Pour le Larousse, c'est "la partie de l'homme et de certains animaux qui comprend les fesses et le fondement" et pour l'Académie "le derrière, cette partie de l'homme qui comprend les fesses et le fondement".

Nous conclurons ce billet par une copulation. Si les mots copule et copulatif se trouvent bien dans les deux dictionnaires en tant que termes de logique et de grammaire, seuls les Académiciens se sont aventurés à définir le mot copulation. Et voici ce que cela donne : "Accouplement du mâle avec la femelle. Il se dit plus particulièrement de la conjonction de l'homme et de la femme, et se joint presque toujours avec l'adjectif charnel. La copulation charnelle est défendue hors le mariage."

Que ce soit au début du XIXe siècle ou au début du XXIe, nul doute que les travaux de la Commission du Dictionnaire de l'Académie française suscitent de temps à autres des échanges très pittoresques.

vendredi 12 juin 2020

Un peu d'archéologie



Quoi de plus intéressant, pour démontrer l'évolution d'une langue, que de se plonger dans d'anciens dictionnaires. J'ai la chance d'avoir dans ma bibliothèque le Dictionnaire de l'Académie française de 1835 ainsi qu'un Nouveau dictionnaire illustré Larousse de 1890, l'ancêtre du Petit Larousse que nous connaissons tous.

A l'heure où le débat sur le racisme resurgit dans nos sociétés, je me suis d'abord intéressé à la définition du mot nègre. Le Dictionnaire de l'Académie le définit ainsi :

"Nom qu'on donne en général à la race des noirs, et spécialement aux habitants de certaines contrées de l'Afrique. La traite des noirs est abolie.
Il se dit, particulièrement, des esclaves noirs employés aux travaux des colonies. Il a cent nègres dans son habitation.
Fam. Traiter quelqu'un comme un nègre, le traiter avec beaucoup de dureté et de mépris.
Fam. Faire travailler quelqu'un comme un nègre, exiger de lui un travail pénible, le faire travailler sans relâche."

Cinquante-cinq ans plus tard, le Larousse nous dit ceci :

"Homme, femme à peau noire. C'est le nom donné spécialement aux habitants de certaines contrées de l'Afrique, de la Guinée, de la Sénégambie, de la Cafrerie etc., qui forment une race d'hommes noirs, inférieure en intelligence à la race blanche, dite race caucasienne. La coloration de la peau pourrait être due, chez les nègres, à l'influence du climat. C'est une modification acquise qui devient transmissible et héréditaire ; mais il est généralement reconnu qu'une famille nègre, transplantée dans nos climats, arriverait à la couleur blanche après quelques générations, et sans mélange de races."

Cette dernière définition, qui ne date que d'il y a 130 ans, est littéralement stupéfiante et jette un éclairage historique particulier sur l'état d'esprit de la société à la fin du XIXe siècle.

Restons chez Larousse et regardons les entrées homme et  femme. Le terme homme est suivi d'une définition de 25 lignes que je ne reproduirai pas ici avec de nombreux exemples tels que homme de qualité, homme de loi, homme de lettres, homme de bien, homme d'armes etc. La femme, elle, n'a droit qu'à 6 malheureuses lignes, que voici :

"La compagne de l'homme ; celle qui est ou a été mariée. Femme de chambre, femme attachée au service intérieur d'une personne de son sexe. Femme de charge, celle qui a soin du linge, de l'argenterie etc., d'une maison."

Et c'est tout ! Là encore, cela laisse sans voix. Le Dictionnaire de l'Académie est beaucoup plus disert ; si la définition commence par "La femelle, la compagne de l'homme", il nous donne tout de même des exemples plus variés, tels que : une femme auteur, une femme peintre, une femme auteur, une femme poète… Mais on y trouve aussi des proverbes tels que "Ce que femme veut, Dieu le veut" ou encore – formule nettement plus sexiste – "Maison faite, et femme à faire : il faut acheter une maison toute bâtie, et épouser une jeune femme qu'on puisse accoutumer à sa manière de vivre." Qu'en pensent les féministes ?

Ces deux exemples montrent à quel point la langue évolue avec la société. Dans un prochain billet, nous nous intéresserons à quelques termes en rapport avec le sexe. Si le Larousse fait l'impasse sur la plupart d'entre eux – c'est un dictionnaire qui figure sur "la liste des ouvrages fournis gratuitement par la Ville de Paris à ses Écoles communales" – on les trouve bien dans le Dictionnaire de l'Académie, qui propose néanmoins des définitions très "politiquement correctes" qui manquent pas de faire sourire le lecteur et la lectrice du XXIe siècle.

Je vous dis donc à bientôt !

dimanche 24 mai 2020

Une affaire pas banale !


Voilà un petit mot de trois lettres – le ban – qui a produit de nombreux et étonnants tentacules sémantiques dans notre langue. Selon les périodes le ban désigne une loi dont la non-observance entraîne une peine (XIIe siècle), une amende venant sanctionner un délit contre le pouvoir public (VIe siècle), la convocation lancée par le suzerain aux vassaux pour le servir à la guerre (VIIIe siècle), une proclamation par le suzerain pour ordonner ou défendre une chose (VIIe siècle) et, par métonymie, le territoire soumis à la juridiction du suzerain (Xe siècle).

C'est ainsi qu'on retrouve le sens de proclamation officielle dans la publication des bans de mariage. Lorsqu'une proclamation était précédée ou suivie d'un roulement de tambour, on appelait cela ouvrir et fermer le ban. "Fermez le ban !" s'entend encore de nos jours pour clore ironiquement un propos, un discours au sens de "l'affaire est close, toute autre remarque serait superflue". Lorsqu'on battait le ban des récoltes ou des vendanges, on annonçait le jour d'ouverture de ces travaux agricoles. Par extension de cette dernière acception, on propose parfois un ban pour le vainqueur, qui prendra la forme d'applaudissements généralement accompagnés d'un "hip, hip, hip hourrah !".

Lorsque, sous le régime féodal, le suzerain adressait une convocation à ses vassaux, il convoquait le ban et l'arrière-ban, autrement dit tous ses vassaux et arrière-vassaux, qui devaient se ranger sous sa bannière. L'expression est encore employée de nos jours au sens figuré, et il n'est guère glorieux de faire partie de l'arrière-ban. Le terme de ban – dans son sens territorial – est également à l'origine de l'adjectif banal. Nous n'avons certainement pas oublié le four, le moulin et le pressoir banal, appris en cours d'histoire. Leur utilisation était soumise au versement par le vilain au seigneur de taxes appelées banalités ; le four, le moulin et le pressoir banal étaient en quelque sorte des équipements communaux ou communs, et c'est de là que nous vient le sens actuel de banal, à savoir "courant, sans originalité.

L'expression mettre au ban signifie exclure, exiler quelqu'un, autrement dit le bannir. Si de nos jours une personne est mise au ban  de la société, elle est jugée indigne et livrée au mépris public ; même chose pour un pays mis au ban des nations. Si un interdit de séjour se retrouvait en rupture de ban, c'est qu'il avait enfreint le jugement de bannissement qui le visait. L'expression existe toujours dans un sens figuré : "affranchi des contraintes de son état". André Maurois mentionne par exemple "un universitaire en rupture de ban". Et la banlieue alors ? A l'époque féodale, la banlieue n'est autre que l'espace d'environ une lieue autour d'une ville dans lequel l'autorité faisait proclamer les bans et avait juridiction.

Mais surtout n'abandonnons pas en si bon chemin : le terme d'abandon nous vient de l'ancienne expression mettre a bandon signifiant "mettre au pouvoir de…", autrement dit renoncer à une chose (au profit de quelqu'un d'autre). Bandon et ban ont la même étymologie. Et l'ancien verbe forbannir (qui signifie bannir, reléguer) nous a donné forban : ce terme était synonyme de bannissement en droit féodal, mais il désigne également un marin qui pratique la piraterie  pour son propre compte, et, par extension, un homme sans scrupule, puis un bandit.

Ainsi s'achève ce billet : fermez le ban !

dimanche 10 mai 2020

Périphrases, métonymies, synecdoques et métaphores



Je pris place à bord de mon automobile de la marque au losange pour commencer un périple qui allait me conduire de la Venise du Nord à la Capitale des Gaules. J'ai toujours préféré les voitures de ce constructeur à celles de la marque au lion ou de la marque aux chevrons. Peut-être allais-je faire une étape à Versailles et visiter le château du Roi Soleil ? La Ville rose n'était pas sur mon chemin, pas plus que la Cité phocéenne. En tout cas le pays du fromage suffit amplement à mon bonheur et je n'éprouve nul besoin de partir à la découverte de l'Empire du Milieu ou du Pays du matin calme. Et mon trajet était suffisamment long pour que je renonce à la petite reine.

Vous avez certainement reconnu dans le paragraphe ci-dessus les termes exprimés par autant de périphrases : Renault, Bruges, Lyon, Peugeot, Citroën, Louis XIV, Toulouse, Marseille, la France, la Chine, la Corée, une bicyclette. La périphrase est ce que l'on appelle une "figure de style de substitution" qui consiste à remplacer un mot par sa définition ou par une expression généralement plus longue. Cette figure de style fait partie de la catégorie des tropes, procédé qui consiste à détourner un mot ou une expression de son sens propre.

Dans la famille des tropes, on trouve aussi la métonymie, figure de style qui utilise un mot pour exprimer une idée distincte qui lui est associée. Exemple : "suite aux déclarations de l'ambassadeur de Chine, la réaction de Berlin ne s'est pas fait attendre" ; Berlin désigne ici le gouvernement allemand. Lorsque je dis que je vais boire un verre, c'est évidemment le liquide contenu dans le verre que je bois et non le verre lui-même. Dans un orchestre le premier violon est bien sûr le musicien qui joue de cet instrument. Et si je dis que "je n'ai plus de batterie", j'ai bien sûr toujours une batterie, mais elle est vide et je dois la recharger. L'usage de la métonymie est très fréquent et nous pourrions en multiplier les exemples à l'infini.

Cousine de la métonymie, nous avons la synecdoque : cette figure de style connaît plusieurs variantes. Ce peut être nommer le tout pour signifier la partie, comme dans ma voiture a crevé, alors que c'est le pneu qui a crevé, ou bien la France a gagné la Coupe du Monde de football alors que c'est l'équipe de France de football qui a remporté cette compétition. Le procédé inverse, à savoir nommer la partie pour signifier le tout, existe également : par exemple un cheptel de cinquante têtes, pour dire qu'il y a cinquante animaux. Ou bien toutes ces voiles qui naviguent sur le Bassin d'Arcachon, alors qu'il s'agit de voiliers. Il existe d'autres types de synecdoque : par exemple l'emploi du singulier à la place du pluriel (nous avons vaincu l'ennemi pour  les ennemis), ou du pluriel à la place du singulier (les soleils marins pour le soleil sur la mer). On peut aussi nommer une matière pour désigner un objet et vice-versa : des verres correcteurs sont bien sûr des lunettes de vue ; préférer l'olive au tournesol pour dire qu'on préfère l'huile d'olive à l'huile de tournesol.

Nous terminerons ce billet consacré à ces quelques figures de style en mentionnant la métaphore, un procédé qui consiste, comme nous l'explique le Petit Robert, "à employer un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique, sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement une comparaison". Si l'on dit de quelqu'un qu'il est un monument de bêtise, le terme de monument est employé dans un sens métaphorique. Si je dis que le doute me ronge, le verbe ronger prend ici un sens métaphorique, tout comme le verbe exploser dans l'expression les prix explosent.  Enfin, dans "Booz endormi" Victor Hugo nous offre sans doute le plus bel enchaînement de métaphores de la poésie française ; nous n'aurions pu trouver meilleure conclusion à ce billet :

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.


samedi 2 mai 2020

Le confictionnaire (2ème édition revue et augmentée)


Qui aurait soupçonné que la pandémie de Covid-19 se traduirait par l'émergence d'une nouvelle langue ? Nous vous proposons aujourd'hui un petit vocabulaire qui vous permettra de communiquer entre confinés.


Apérue
Apéritif convivial d'un côté de la rue à l'autre ou en restant sur son palier
Cavid
Pire que le Covid ("cave vide")
Chauve-souris
Anagramme de "souche à virus"
Clap clap o'clock
Synonyme de "vingt heures", moment des applaudissements pour les soignants
Clos Roquine
Grand cru apprécié des Bucco-Rhodaniens
Coconfinement
Peut conduire au confimicide et être une circonstance atténuante
Conficianisme
Philosophie d'origine chinoise (comme le virus) permettant de vivre le confinement avec un maximum de sérénité
Confidanse
Danse en mode confinement
Confidération
Situation de l'Helvète confiné
Configaro
Artiste des ciseaux et colorations dont les confinés attendent impatiemment le retour
Configuration
Espoir de sortie de crise des intermittents du spectacle...
Confilou
Profite de la situation
Confinage
Variante de confinement
Confination
Autre variante de confinement
Confinature
Toujours le confinement (peut-être adouci par de la confiture ?)
Confinaud
Plus malin que les autres, il passe à travers les mailles
Confinemanche
7ème jour de la semaine
Confinette
Appellation affectueuse du confinement
Confini
Cf. covidiot
Confiniment
Confinement qui n'en finit plus
Confinoisiveté
Perdre son temps sur les réseaux sociaux
Confinouze
Bière des confinés créée par trois gérants d'un bar lillois
Confiscation
Traitement infligé à la liberté du confiné
Confissionnal
Là où l'on avoue les infractions au confinement
Confit de canard
Comme d'habitude
Confiteor
Interpellation lancée par les forces de l’ordre quand on dépasse le rayon de 1 km autour de chez soi
Confitoyens
Ceux qui partagent notre peine en faisant aussi l'effort de rester chez eux, et qu'on salue tous les soirs vers 20h depuis nos fenêtres
Confiture
L'optimiste antonyme de la déconfiture
Confivialité
Plaisir de vivre ensemble pendant le confinement, tout en gardant nos distances
Conflit
Lieu où se règlent, généralement de nuit, les différends nés du confinement (ex. "conflit conjugal")
Corona boomers
Bébés qui naîtront neuf mois après le confinement (cf. coronials)
Coronabdos
Conséquence du manque d'exercice résultant du confinement
Coronanniversaire
Célébration d'un anniversaire en mode virtuel
Coronapéro
Apéritif entre amis par écrans interposés (cf. skypéro)
Coronials
Cf. corona boomers
Costa Corona
Autre destination de vacances (cf. Punta Canap)
Covidéprimer
Conséquence possible du confinement
Covidiot
Individu ignorant la gravité de l'épidémie (cf. confini)
Déconfidentiel défense
Qualifie les informations de ceux qui savent (ou prétendent savoir) ce qui se passera après le 11 mai
Déconfiner
Déconner tout en finesse
Émarmailler
Fantasme de parents confinés auquel ils doivent impérativement résister
Fauconfinement
Première phrase de celui qui sait mieux que tout le monde ce qu'il faudrait faire....
Graduvid
Cf. grovid
Grovid
Conséquence anatomique du confinement (cf. graduvid)
Hackaconfithon
Séance de remue-méninges en vue de la création d'un dictionnaire du confinement
Homezage
Séance de bronzage à Punta Canap
Hypoconfiniaque
Terrorisé par le coronavirus
Immobésité
Quand on ne bouge pas assez et qu'on mange trop
Interdi
Nouvelle appellation des 6 premiers jours de la semaine
Le dîner de cons…finés
Film (comique)
Lundimanche
Jour de la semaine indifférencié qui se répète en boucle
Premier mai
Téléfête des travailleurs ou fête des télétravailleurs
Psycho-pâtes
Serial stockeur
Punta Canap
Première destination touristique de ce printemps (cf. Costa Corona)
Quaranthaine
Sentiment qu'on éprouve à l'égard des covidiots
Skypéro :
Variante de coronapéro
Solidaritude
Élan de solidarité pour remédier à la solitude
Télédéconnexion
Interruption du télétravail
Télépause
Pause dans le télétravail (qu'on prend seul devant sa machine à café personnelle)
Télésalutation
Se saluer à distance
Trikini
Ensemble pour la plage se composant d'un bas et d'un haut de maillot de bain et d'un masque assorti (le bikini sera réservé aux messieurs et le monokini aux naturistes)
Vodkaphone
Quand on trinque à distance
Whatsapéro
Cf. coronapéro, skypéro, vodkaphone, whiskype
Whiskype
Cf. whatsapéro