lundi 25 décembre 2017

En corps et en corps

Je fais corps avec ma langue. S'il m'arrive, rarement je l'espère, d'être une langue de vipère (tout de même pas une langue de pute), je ne pense pas avoir de cheveu sur la langue. Avant de prendre langue avec quelqu'un, je la tourne (au moins) sept fois dans ma bouche, pour éviter d'arriver à mon rendez-vous la bouche en cœur, ou, pire encore, en cul de poule. Je m'efforce en tout cas d'éviter de faire la fine bouche. J'espère, chère lectrice, cher lecteur, qu'à la lecture de ce blog vous n'aurez pas de dent contre moi. N'étant pas armé jusqu'aux dents, je peux simplement vous promettre que je prêterai l'oreille à vos remarques si elles ne sont pas trop incisives. J'essaierai éventuellement de vous tenir tête. Mais je compte plutôt sur le bouche à oreille pour promouvoir mes écrits.

Si rien n'est gratuit en ce bas monde, vous pouvez tout de même lire ce blog à l'œil. Heureusement, internet ne coûte pas les yeux de la tête, ni la peau des fesses, ni un bras. N'allez surtout pas croire que ces lignes, que je n'écris pas à la sueur de mon front, me vaudront un jour une prestigieuse reconnaissance : vous mettriez le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! Il faut tout faire pour éviter d'avoir les yeux plus gros que le ventre. Sans huile de coude, on ne produit rien de grand. J'espère simplement que mes détracteurs ne tomberont pas sur moi à bras raccourcis : je risquerai de les accueillir avec un bras (ou un doigt) d'honneur !

J'accepterai toujours qu'on me donne un coup de main ou qu'on me mette le pied à l'étrier. Je suis heureux de rencontrer des personnes qui ont le cœur sur la main, qui n'hésitent pas à mettre du cœur à l'ouvrage, et il ne me viendrait jamais à l'idée de refuser une main tendue. Quant à ceux qui ont un poil dans la main, tôt ou tard ils finissent par comprendre qu'il faut souvent payer de sa personne pour parvenir à un résultat. Mettre le doigt sur l'essentiel, voilà ce qui compte en n'oubliant pas de faire preuve de doigté. Un doigt de sagesse n'est jamais superflu. Et je ne montrerais pas du doigt celui qui chercherait à tromper sa solitude avec le concours de la veuve poignet (pardon, chère lectrice, cher lecteur, si je vous ai fait monter le rouge aux joues).

Devinette : je peux avoir de la cuisse, de la jambe, être long en bouche, avoir du corps – qui suis-je ? Le vin bien sûr, qu'on consommera avec modération en évitant de lever le coude. Faute de quoi on risque de se retrouver mou du genou et donc dans l'incapacité d'honorer dignement une personne à la cuisse légère. Mais ne boudons pas notre plaisir et sachons reconnaître qu'une bonne partie de jambes en l'air constitue un excellent passe-temps : c'est toujours le pied ! En revanche, multiplier les ronds de jambe pour obtenir une quelconque faveur n'est guère souhaitable. Cela revient même souvent à se tirer une balle dans le pied.

Il y aurait encore tant de mots (et non de maux) du corps à mentionner pour étoffer ce billet - je les ai sur le bout de la langue ! Mais je ne voudrais pas vous lasser et surtout je vous demande de ne pas tout prendre au pied de la lettre. Quoi qu'il en soit, si vous êtes tombés sur ce blog, c'est que vous avez eu le nez creux.

mercredi 20 décembre 2017

Deux neurones qui se battent en duel

On attribue à Albert Einstein la citation suivante à propos de sa vision de l'infini : "Deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue". Citation authentique ou apocryphe – peu importe. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la langue familière regorge d'expressions pour qualifier une personne dont les capacités intellectuelles laissent à désirer ou, comme j'ai pu le lire dans un roman, qui "est arrivée en retard le jour de la distribution de l'intelligence".

Parmi les expressions plutôt rares, citons le pittoresque "il/elle n'a pas sucé la Tour Eiffel pour la rendre pointue". On retrouve souvent cette idée de "pointu", "futé"/"affûté", "aiguisé", "tranchant" pour qualifier l'intelligence. Quelqu'un d'obtus ne brille pas par une intelligence aiguë. Il n'est pas très flatteur de se voir accuser de ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir (expression qui existe d'ailleurs à l'identique en anglais) ; il est incontestablement préférable d'être une fine lame. Et pour résoudre un problème, on cherchera toujours à réunir les experts les plus pointus capables de percer avec acuité les mystères qu'on leur soumet. Un esprit émoussé ne fera jamais l'affaire.

Le secret de la bonne cuisine réside souvent dans la qualité de la cuisson : trop cuit ou pas assez, le plat n'est pas bon. Si j'accuse mon prochain d'être mal cuit, c'est que j'aurais des doutes sérieux sur ses capacités intellectuelles. On entendra aussi parfois untel n'est pas fini de cuire, ou bien il lui manque un quart d'heure de cuisson, autrement dit il lui a manqué un fagot (pour alimenter le feu servant à la cuisson). La situation n'est guère plus reluisante pour quelqu'un qui a été démoulé trop chaud.

Que notre langue est riche pour qualifier ceux qui n'ont pas inventé l'eau chaude, à moins que ce ne soit l'eau tiède, la poudre, le fil à couper le beurre : parfois ils n'ont que deux neurones qui se battent en duel ou, pire encore, les fils qui se touchent (avec un sérieux risque de court-circuit). Tous ces malheureux ont-ils été bercés trop près du mur, voire ont-ils été finis au pipi (ou à la pisse dans un registre plus vulgaire) ? En tout cas une chose est sûre : ils n'ont pas volé le Saint-Esprit ! On est bien mal parti dans l'existence quand on est bas de plafond. Si, en plus, on n'a que deux de tension, il bien peu probable qu'on réussisse de grandes choses dans la vie.

Tout cela va-t-il changer avec l'avènement de l'intelligence artificielle ? Cette dernière aura-t-elle un jour raison de la bêtise naturelle ? Qu'il me soit permis d'en douter !

samedi 16 décembre 2017

Petite leçon de géographie

"Je vais monter à Paris pour le week-end et je redescendrai lundi" : voilà une formule qu'on peut entendre couramment dans la bouche d'un Grenoblois, d'un Lillois ou d'un Brestois – comme si la capitale occupait une situation géographique plus élevée que les villes de province. En vérité, la langue traduit ici simplement la perception d'une domination politique, institutionnelle, économique, culturelle etc. de Paris par rapport au reste de l'hexagone (rappelons à ce propos qu'un hexagone  est une figure géométrique à six côtés et que l'expression "aux quatre coins de l'hexagone" parfois entendue dans la bouche de certains journalistes est un tantinet ridicule).

Pourtant, la province n'a rien à envier à Paris : même si la structure politique de la France concentre beaucoup de pouvoirs dans la capitale, on vit au moins aussi bien, sinon mieux à Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Nantes etc. Pourtant, au fil du temps, ce terme de province a pris curieusement  une connotation négative. Une mentalité provinciale, un certain provincialisme dénotent un manque de sophistication dont ne saurait souffrir le Parisien. (Il n'est cependant pas certain que l'accusation de parisianisme soit préférable à celle de provincialisme). Et c'est ainsi que, dans le discours public, la province céda la place à la Région. Quand un ministre se déplace en Région il va à la rencontre d'une autre France, qui, si elle est différente de l'Île-de-France, n'est en rien inférieure à cette dernière.

Et soudain – patatras – exit la Région, terme que l'on réserve désormais principalement à l'entité administrative qu'elle constitue. Le choix du nom des nouvelles Régions issue de la récente réforme territoriale a donné lieu à de longs et parfois vifs débats. Au moment où nous écrivons ces lignes, la Région PACA (Provence Alpes Côte d'Azur) veut se renommer Région Sud : il est vrai qu'il n'est guère plaisant d'habiter dans un acronyme !

Dorénavant, lorsqu'on veut évoquer ce qui se passe ailleurs qu'à Paris, on parle des territoires : "il faut renforcer la couverture des territoires en internet très haut débit", peut-on entendre ; de toute évidence, cette phrase a un autre poids que "il faut accélérer le déploiement de la fibre en province" ! Du moins aux yeux des technocrates dont la langue a souvent tendance à dessécher la vivacité, la créativité, l'inventivité de notre belle langue française. On ne se désolera pas cependant de la disparition de l'expression la France profonde" ou, pire encore, la France d'en-bas (Jean-Pierre Raffarin) dont on mesure le caractère profondément valorisant pour les intéressés !

Alphonse Allais  disait : "on devrait construire les villes à la campagne car l'air y est plus pur" ; s'il était aujourd'hui Ministre de la cohésion des Territoires, il déclarerait certainement : "nous devrions porter des projets de développement urbain dans la ruralité pour bénéficier d'une moindre charge en polluants atmosphériques". Eh oui : la campagne, qui fleure bon le foin coupé et le fumier, n'a plus la cote et a cédé la place à la ruralité où des agriculteurs, voire des agronomes (certainement pas des paysans), abondamment diplômés, ne se contentent pas d'être un maillon indispensable de la chaîne alimentaire, mais apportent aussi une contribution décisive à l'aménagement du territoire (au singulier cette fois-ci).

Une chose est sûre : les habitants des banlieues défavorisées se sentent certainement beaucoup mieux depuis qu'ils habitent dans les quartiers.

vendredi 8 décembre 2017

Hommage à Jean d'Ormesson : "Le français, une langue animale"

Jean d’Ormesson s’est certainement beaucoup amusé, en écrivant ce billet d’humour :

«Myope comme une taupe», «rusé comme un renard» «serrés comme des sardines»… les termes empruntés au monde animal ne se retrouvent pas seulement dans les fables de La Fontaine, ils sont partout.

La preuve: que vous soyez fier comme un coq, fort comme un bœuf, têtu comme un âne, malin comme un singe ou simplement un chaud lapin, vous êtes tous, un jour ou l’autre, devenu chèvre pour une caille aux yeux de biche.

Vous arrivez à  votre premier rendez-vous fier comme un paon et frais comme un gardon et là , … pas un chat!

Vous faites le pied de grue, vous demandant si cette bécasse vous a réellement posé un lapin.

Il y a anguille sous roche et pourtant le bouc émissaire qui vous a obtenu ce rancard, la tête de linotte avec qui vous êtes copain comme cochon, vous l’a certifié: cette poule a du chien, une vraie panthère!

C’est sûr, vous serez un crapaud mort d’amour.

Mais tout de même, elle vous traite comme un chien.

Vous êtes prêt à  gueuler comme un putois quand finalement la fine mouche arrive.

Bon, vous vous dites que dix minutes de retard, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.

Sauf que la fameuse souris, malgré son cou de cygne et sa crinière de lion est en fait aussi plate qu’une limande, myope comme une taupe, elle souffle comme un phoque et rit comme une baleine.

Une vraie peau de vache, quoi!

Et vous, vous êtes fait comme un rat.

Vous roulez des yeux de merlan frit, vous êtes rouge comme une écrevisse, mais vous restez muet comme une carpe.

Elle essaie bien de vous tirer les vers du nez, mais vous sautez du coq à  l’âne et finissez par noyer le poisson. Vous avez le cafard, l’envie vous prend de pleurer comme un veau (ou de verser des larmes de crocodile, c’est selon).

Vous finissez par prendre le taureau par les cornes et vous inventer une fièvre de cheval qui vous permet de filer comme un lièvre.

C’est pas que vous êtes une poule mouillée, vous ne voulez pas être le dindon de la farce.

Vous avez beau être doux comme un agneau sous vos airs d’ours mal léché, faut pas vous prendre pour un pigeon car vous pourriez devenir le loup dans la bergerie.

Et puis, ç’aurait servi à  quoi de se regarder comme des chiens de faïence.

Après tout, revenons à  nos moutons: vous avez maintenant une faim de loup, l’envie de dormir comme un loir et surtout vous avez d’autres chats à  fouetter.


Jean d'Ormesson

samedi 2 décembre 2017

Une bonne potée de légumes

En France, quand on ne mange pas, on parle de la nourriture. À telle enseigne, que les expressions culinaires pullulent dans la langue française. Celles qui nous intéressent aujourd'hui nous arrivent tout droit du potager.

Quand des entreprises ou des candidats à une élection se livrent à une compétition désordonnée, où tous les moyens sont bons pour arriver en tête, on dit souvent qu'ils se livrent à une course à l'échalote. Une échalote serait une bien humble récompense pour les compétiteurs ; il ne s'agit donc pas du prix à remporter. A l'origine, dans une course à l'échalote, les coureurs essaient de retenir leurs concurrents par le fond du pantalon, ou, si l'on veut, par la peau des fesses, ce qui n'est pas très réglementaire. Or, en argot, l'oignon désigne l'arrière-train d'une personne. On peut imaginer que, par plaisanterie, on ait remplacé l'oignon par l'échalote, une course à l'échalote devenant ainsi une compétition où l'on cherche avant tout à mettre les bâtons dans les roues de ses adversaires.

Transition toute trouvée : après l'échalote, les oignons dont on est parfois invité à s'occuper.  Occupe-toi de tes oignons ou bien c'est pas mes oignons. Comme nous venons de le voir, l'oignon désigne en argot le postérieur d'un individu : si l'on dit à quelqu'un "occupe-toi de tes oignons", on pourrait tout aussi bien lui dire "occupe-toi de tes fesses", ce qui, vous le reconnaîtrez, est tout de même beaucoup moins élégant. Mais, dans leur Dictionnaire du français non conventionnel, Jacques Cellard et Alain Rey proposent une autre explication : dans le centre de la France, les femmes – c'était une marque d'indépendance – pouvaient cultiver un coin de jardin pour y faire pousser des oignons qu'elles allaient ensuite vendre au marché afin de gagner un peu d'argent. Lorsqu'il leur arrivait de se mêler des affaires des hommes, ces derniers les renvoyaient à leur potager en leur disant "occupe-toi de tes oignons" ou bien "c'est pas tes oignons" !

Les carottes, on peut les aimer crues ou cuites. Mais quand les carottes sont cuites, c'est que tout est perdu et qu'il n'y a vraiment plus d'espoir. Au XIXème siècle on disait que quelqu'un avait ses carottes cuites lorsque la mort était proche. Cela vient peut-être du fait que les carottes étaient l'aliment du pauvre, évoquaient le dénuement et, par extension, la mort. Autre hypothèse : les carottes cuites accompagnaient souvent un plat de viande, autrement dit un morceau d'animal mort.

Quand les carottes sont cuites, c'est généralement aussi la fin des haricots. Une fois de plus, deux hypothèses pour l'origine de cette expression : quand, dans le cadre familial, on voulait jouer à des jeux d'argent on remplaçait l'argent par des haricots. Pour le joueur qui avait perdu tout son pécule, c'était la fin des haricots. Ou bien, dans la mesure où les haricots – qui désignaient aussi les fèves, les pois etc. - étaient un aliment assez bas de gamme et bon marché, lorsque les pauvres n'avaient même plus de quoi en acheter, c'était réellement la fin des haricots.

À qui n'est-il jamais arrivé, en voulant entreprendre quelque chose, de faire chou blanc ? Cette expression nous vient peut-être du Berry où coup se prononce choup en dialecte berrichon (comme chacun sait, "une poule cha pond et un chapon, cha pond pas"). Et au jeu de quilles un coup blanc – qui se prononce chou blanc – était un coup nul qui ne rapportait aucun point. La situation n'est pas plus glorieuse lorsqu'on se retrouve dans les choux : la, c'est la paronymie – c.-à-d. la proximité à l'oreille – entre les choux et échouer qui est à l'origine de cette expression. A l'inverse, il est beaucoup plus plaisant de faire ses choux gras de quelque chose, c'est-à-dire d'en retirer profit, de s'en régaler. En ajoutant de la matière grasse au chou on rend ce mets beaucoup plus attrayant. Petite curiosité linguistique : en allemand, l'expression das macht den Kohl nicht fett (mot à mot "ce n'est pas cela qui rend le chou gras"), signifie qu'une action ne produit pas d'effet, n'améliore pas la situation.

On ne se plaindra jamais de pouvoir mettre un peu de beurre dans les épinards, pour, comme on dit, améliorer l'ordinaire. Mais si vous pensez que les épinards sont riches en fer, vous vous trompez comme un biochimiste allemand qui fit une erreur de virgule en écrivant, en 1870, que 100 grammes d'épinards contenaient 27 mg de fer, alors qu'ils n'en contiennent que 2,7 mg. Raison de plus pour les enrichir en beurre !