vendredi 12 juin 2020

Un peu d'archéologie



Quoi de plus intéressant, pour démontrer l'évolution d'une langue, que de se plonger dans d'anciens dictionnaires. J'ai la chance d'avoir dans ma bibliothèque le Dictionnaire de l'Académie française de 1835 ainsi qu'un Nouveau dictionnaire illustré Larousse de 1890, l'ancêtre du Petit Larousse que nous connaissons tous.

A l'heure où le débat sur le racisme resurgit dans nos sociétés, je me suis d'abord intéressé à la définition du mot nègre. Le Dictionnaire de l'Académie le définit ainsi :

"Nom qu'on donne en général à la race des noirs, et spécialement aux habitants de certaines contrées de l'Afrique. La traite des noirs est abolie.
Il se dit, particulièrement, des esclaves noirs employés aux travaux des colonies. Il a cent nègres dans son habitation.
Fam. Traiter quelqu'un comme un nègre, le traiter avec beaucoup de dureté et de mépris.
Fam. Faire travailler quelqu'un comme un nègre, exiger de lui un travail pénible, le faire travailler sans relâche."

Cinquante-cinq ans plus tard, le Larousse nous dit ceci :

"Homme, femme à peau noire. C'est le nom donné spécialement aux habitants de certaines contrées de l'Afrique, de la Guinée, de la Sénégambie, de la Cafrerie etc., qui forment une race d'hommes noirs, inférieure en intelligence à la race blanche, dite race caucasienne. La coloration de la peau pourrait être due, chez les nègres, à l'influence du climat. C'est une modification acquise qui devient transmissible et héréditaire ; mais il est généralement reconnu qu'une famille nègre, transplantée dans nos climats, arriverait à la couleur blanche après quelques générations, et sans mélange de races."

Cette dernière définition, qui ne date que d'il y a 130 ans, est littéralement stupéfiante et jette un éclairage historique particulier sur l'état d'esprit de la société à la fin du XIXe siècle.

Restons chez Larousse et regardons les entrées homme et  femme. Le terme homme est suivi d'une définition de 25 lignes que je ne reproduirai pas ici avec de nombreux exemples tels que homme de qualité, homme de loi, homme de lettres, homme de bien, homme d'armes etc. La femme, elle, n'a droit qu'à 6 malheureuses lignes, que voici :

"La compagne de l'homme ; celle qui est ou a été mariée. Femme de chambre, femme attachée au service intérieur d'une personne de son sexe. Femme de charge, celle qui a soin du linge, de l'argenterie etc., d'une maison."

Et c'est tout ! Là encore, cela laisse sans voix. Le Dictionnaire de l'Académie est beaucoup plus disert ; si la définition commence par "La femelle, la compagne de l'homme", il nous donne tout de même des exemples plus variés, tels que : une femme auteur, une femme peintre, une femme auteur, une femme poète… Mais on y trouve aussi des proverbes tels que "Ce que femme veut, Dieu le veut" ou encore – formule nettement plus sexiste – "Maison faite, et femme à faire : il faut acheter une maison toute bâtie, et épouser une jeune femme qu'on puisse accoutumer à sa manière de vivre." Qu'en pensent les féministes ?

Ces deux exemples montrent à quel point la langue évolue avec la société. Dans un prochain billet, nous nous intéresserons à quelques termes en rapport avec le sexe. Si le Larousse fait l'impasse sur la plupart d'entre eux – c'est un dictionnaire qui figure sur "la liste des ouvrages fournis gratuitement par la Ville de Paris à ses Écoles communales" – on les trouve bien dans le Dictionnaire de l'Académie, qui propose néanmoins des définitions très "politiquement correctes" qui manquent pas de faire sourire le lecteur et la lectrice du XXIe siècle.

Je vous dis donc à bientôt !