lundi 30 décembre 2019

Mythes à gogo


Nous évoquions récemment la place, relativement importante, du vocabulaire religieux dans la langue française. Mais l'empreinte laissée par la mythologie grecque et romaine est autrement plus grande.

Si nous étions animés par un souci d'exhaustivité, nous risquerions d'ouvrir un Tonneau des Danaïdes ou une boîte de Pandore et n'arriverions jamais au bout de ce billet, à moins d'être dotés d'une force herculéenne. Pour tenter de nous y retrouver dans ce dédale regorgeant d'expressions issues de la mythologie, je vous aurais bien proposé de suivre un fil d'Ariane si j'en avais eu un. Il m'a donc fallu faire des choix et, plus d'une fois, j'ai dû me résoudre à trancher un nœud gordien pour sélectionner telle ou telle formule.

Aucune égérie n'est venue me conseiller et je n'ai pas non plus trouvé l'inspiration devant mon miroir, car vous m'auriez aussitôt accusé de narcissisme. Je n'ai pas non plus eu besoin de m'abreuver d'un quelconque nectar et, par chance, la tâche à laquelle je me suis attelé était plus aisée que le nettoyage des écuries d'Augias. "À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" peut-on lire dans Cid de Corneille : quelle parfaite description d'une victoire à la Pyrrhus !

L'amour qui fait tourner le monde et nous fait souvent tourner la tête se nourrit d'érotisme et nul besoin d'être un Apollon ou beau comme un Adonis pour conquérir le cœur d'une Vénus, avec ou sans l'aide de Cupidon. Et l'on s'abstiendra également d'abuser de breuvages aphrodisiaques, car, consommés sans modération, ils risquent d'affliger la malheureuse victime d'un bien gênant priapisme. À moins, bien sûr, d'être mithridatisé.

Je ne voudrais pas jouer les Cassandre, mais simplement prévenir celles ou ceux qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter que, s'ils n'y prennent garde, ils risquent de tomber de Charybde en Scylla. Qu'ils n'oublient jamais qu'il n'y a pas loin du Capitole à la Roche tarpéienne. Celui qui, aujourd'hui, est riche comme Crésus doit se souvenir que nous avons tous un talon d'Achille qui peut nous transformer, du jour au lendemain, en colosse aux pieds d'argile.

Et la psychanalyse freudienne se serait trouvée fort démunie sans complexe d'Œdipe, si ce dernier, plutôt que de tuer son père et de coucher avec sa mère, s'était réfugié dans les bras de Morphée.

mercredi 25 décembre 2019

Nom d'une pipe !


On a tendance à croire que le "politiquement correct" est une évolution récente de la langue, qui conduit à dire non-voyant ou malvoyant à la place d'aveugle, malentendant à la place de sourd, personne à mobilité réduite plutôt que personne handicapée, personne de couleur plutôt que noir etc.

Mais cette édulcoration de la langue n'a rien de nouveau ; on la trouve depuis fort longtemps chaque fois qu'il s'agit d'éviter de blasphémer en prononçant le mot "Dieu". C'est ainsi qu'on retrouve des expressions telles que nom d'une pipe, nom d'un chien, ou encore nom d'un petit bonhomme, voire nom de nom pour ne pas devoir dire nom de Dieu.

On mentionnera aussi le terme crénom, dérivé de sacré nom. Parfois crénom est utilisé seul, mais c'est sans doute la formule crénom de nom qui est la plus répandue. Sacré se retrouve dans d'autres jurons, comme par exemple sacrebleu qui remplace (par le) sacre de Dieu. Mais l'adjectif sacré est également à l'origine de saperlipopette, terme lui-même dérivé de sapristi, qui est une déformation de sacristi qu'on cherche à éviter car trop blasphématoire.

Quant à bleu on le retrouve dans de nombreux jurons (comme sacrebleu cité plus haut) à la place de Dieu : parbleu pour par Dieu, morbleu pour mort de dieu, palsambleu pour par le sang de Dieu ou encore (assez désuet) ventrebleu pour ventre de Dieu.

Plus moderne que palsambleu, on a bon sang, bon sang de bonsoir ou, plus rare, bon sang de bois. Là encore, il s'agit d'invoquer sans blasphémer le sang de Dieu.

Et pour conclure nous donnerons la parole à deux parmi les plus grands poètes français, Alfred de Musset et Guillaume Apollinaire :

« C'est qu'il ne fait pas bon me marcher sur les pieds. Vive Dieu ! Savez-vous que je n'en crains pas quatre ? Palsambleu ! Ventrebleu ! Je vous avalerais »
(Alfred de Musset - À quoi rêvent les jeunes filles)

« Qu'est-ce qu'il se met dans le coco ! Bon sang de bois il s'est saoulé. »
(Guillaume Apollinaire – Caligrammes)

En ce jour de Noël où, en aucun cas, il ne saurait être question de blasphémer, je souhaite à toutes les lectrices et à tous les lecteurs de ce blog de très agréables fêtes de fin d'année et une année 2020 qui vienne combler tous leurs souhaits.

samedi 14 décembre 2019

Et Dieu dans tout ça ?


"Ma personne est sacrée !", s'exclamait il y a quelque temps le dirigeant d'un parti de la gauche radicale. Cette référence religieuse surprend de la part d'un homme qui se reconnaît certainement davantage dans les valeurs de la laïcité, voire de l'anticléricalisme. Mais voilà, la religion est omniprésente dans la langue française ; et la France, ce pays qui se veut un bastion de la laïcité est aussi souvent qualifiée de "Fille aînée de l'Église".

Lorsqu'un footballeur est sacré "Ballon d'Or", c'est pour lui une consécration, qui vient sanctionner sa carrière et qui a certainement exigé de sa part d'innombrables sacrifices.

L'école doit être, dit-on, un sanctuaire pour les élèves. Cela justifie certainement qu'on sanctuarise le budget consacré à l'Éducation nationale.

Tous ces termes (sacré, consacré, sacrifice, sanctuaire, sanction, sacrifice etc.) viennent du latin "sanctus" qui signifie "sacré, inviolable".

Nombre d'hommes politiques ont connu une traversée du désert : c'est bien sûr une référence biblique à la période de l'Exode où le peuple juif a fui l'Égypte avec Moïse. Et lorsque les difficultés s'accumulent, on parle souvent d'un chemin de croix. Il faut alors garder foi en l'avenir et se dire que si l'on a péché par excès d'optimisme, le temps de la rédemption finira bien par arriver. Mais l'électeur a souvent la mémoire courte et finit par donner l'absolution voire sa bénédiction au candidat de son choix. A l'inverse, ce qui peut guetter un Premier ministre, c'est la "Malédiction Matignon" pour reprendre le titre d'un essai de deux journalistes paru en 2006. Quoi qu'il en soit, rares sont les politiques auxquels on donnerait le Bon Dieu sans confession !

La vie politique et sociale est parsemée de querelles de clocher ou de chapelle : chacun cherche à défendre ses intérêts et donc à prêcher pour sa paroisse. Mais quand le discours se fait par trop moralisateur, on va rapidement se lasser d'un tel prêchi-prêcha. Et l'on acceptera encore moins de se faire sermonner !

Telle grande prêtresse de la communication, auteure d'une bible du marketing, expliquera à l'agent immobilier que les maisons disposant d'un séjour cathédrale sont très recherchées. D'ailleurs, cette bible du marketing vient d'être rééditée sous une forme abrégée : c'est désormais un bréviaire.

En tout cas, ne cherchons pas à stigmatiser ce chanteur de variétés qui ne cesse de rappeler à quel point il est heureux, à chacun de ses spectacles, de communier avec son public.

Et pour conclure – mais ce n'est là qu'un au-revoir et non un adieu – je demeure convaincu qu'en toutes circonstances il vaut mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses Saints.

samedi 23 novembre 2019

Vive le vent ...



En cette période où il fait souvent un vent "à décorner tous les cocus de la Terre" (et ça fait du monde), intéressons-nous aux aspects linguistiques de ce phénomène météorologique incarné par le Dieu grec Éole (à qui nous devons l'adjectif éolien). Le terme de vent, nous vient directement du latin "ventus" qui a le même sens.

La tramontane et le mistral sont bien connus des habitants des contrées méridionales de la France. La tramontane désignait autrefois l'étoile polaire : en italien celle-ci était appelée "transmontana" (sous-entendu "stella") ou "étoile au-delà des monts". L'expression, aujourd'hui tombée en désuétude, perdre la tramontane signifiait "être désorienté, perdre le nord". La tramontane, ellipse de vent de la transmontane (de l'étoile polaire), désigne de nos jours un vent du nord sur la côte méditerranéenne ou du nord-ouest en bas Languedoc. Le cousin de la tramontane n'est autre que le mistral : ce vent qui souffle en vallée du Rhône et en Provence tire justement son étymologie du mot provençal maestral, adjectif qui correspond au français magistral. Or, dans leur acception géographique,  mistral et maestral ont le sens de nord-ouest : c'est précisément la direction de laquelle souffle ce vent maître.

Ne confondons pas la bise et la brise. La bise, est un vent froid, fort désagréable, qui souffle du nord ou du nord-est. Ses racines sont probablement germaniques : bîsjō désigne en effet un vent du nord-est. Par métonymie, la langue poétique utilise parfois la bise dans le sens d'hiver : cf. la fable de La Fontaine "La cigale et la fourmi" :
La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
L'histoire de la brise est plus compliquée. En effet, si son étymologie est incertaine, elle renvoie toujours à un vent violent, comparable à la bise. L'une des hypothèses attribue le mot brise à un croisement entre bise et briser. Mais on ne s'explique pas pourquoi la brise désigne aujourd'hui un vent léger et agréable.

Pour le noroît et le suroît les choses sont plus simples : on a affaire à une altération dialectale de nord-ouest et de sud-ouest respectivement. Quand souffle le suroît, souvent accompagné de pluie, il peut être prudent de se vêtir d'un suroît, puisque ce terme désignait autrefois une vareuse de marin et désigne toujours un chapeau imperméable de marin dont le bord arrière descend sur la nuque (cf. Pierre Loti, 1884). On entend aussi parfois pour qualifier un vent de nord-ouest le terme de galerne, ou vent de galerne. Le terme viendrait soit du bas-breton gwalarn (étonnant puisqu'il fait toujours beau en Bretagne), apparenté à l'ancien anglais Walas "pays de Galles", soit du radical prélatin gal qui a donné le verbe gaulois galare signifiant "geler". L'anglais gale – coup de vent, tempête – est certainement apparenté.

Chaque région a ses vents. En Occitanie, le vent d'autan – "le vent qui rend fou" pour les Toulousains – est un vent orageux qui souffle du sud ou du sud-ouest, donc de la mer : et c'est là qu'on retrouve l'étymologie du mot, puisqu'autan vient du latin altanus (ventus), "vent qui souffle de la haute mer". En Suisse et en Autriche, tout le monde connaît le foehn, du latin favonius qui désigne un autre vent, le zéphyr. Alors que favonius est construit sur la même racine que faveur ou favorable, et que le zéphyr (du latin zephyrus, vent d'ouest doux et tiède) est un vent léger et agréable, le foehn n'est, lui, guère apprécié des populations qui le subissent. Le terme foehn (il s'agit d'un vent chaud et sec) désigne également un sèche-cheveux en Suisse ainsi qu'en Allemagne (avec la graphie Föhn).

L'Afrique, en particulier l'Afrique du Nord, est traversée par toute une famille de vents apparentés : le sirocco, l'harmattan, le simoun ou le khamsin. Si nous les évoquons aujourd'hui, nous n'allons pas pour autant nous plonger dans leur étymologie qui déborderait le cadre ce blog.

Et si le vent souffle en bourrasques, ces dernières peuvent venir de toutes les directions alors que leur étymologie renvoie au latin boreas, "vent du nord", racine que l'on retrouve dans l'adjectif boréal.

Chère lectrice, cher lecteur, merci de votre fidélité. Je vous donne rendez-vous pour une prochaine chronique et, d'ici là, je vous dis "bon vent !"

jeudi 7 novembre 2019

Oh putain !


Le juron putain et ses variantes euphémisées  comme purée, punaise ou pétard est sans doute l'un des plus fréquemment utilisés par les francophones. La prostitution (du latin "prostituere" = placer devant, exposer aux regards) est, dit-on, avec la traduction, l'un des plus vieux métiers du monde, ce qui lui a conféré une place de choix dans notre langue. Ainsi, l'étymologie de  putain (et de ses dérivés pute, putassier) traduit l'image très péjorative attribuée à la prostitution dans nos sociétés bien-pensantes : en effet, le mot putain  est apparenté au latin "putidus" qui veut dire pourri, gâté, puant, fétide (cf. le verbe latin "putere" = puer). Ces désignations sont à prendre dans leurs acceptions morales quand on parle des femmes de mauvaise vie ou des filles de joie.

Le terme de catin, lui, est un peu tombé en désuétude. Quand j'en évoquerai les racines, je sais que je ne me ferai pas que des amies : en effet catin est le diminutif affectueux ("hypocoristique" disent les linguistes) du prénom… Catherine, du latin "Catharina", sainte, vierge et martyre décapitée en 307, du grec mystique "Katharina", dérivé de "katharos", qui paradoxalement, signifie "pur" (sens que l'on retrouve dans "catharsis"). Mais le sens péjoratif de prostituée, qui remonte au 16ème siècle a éliminé les anciens emplois. Au 18ème siècle le terme de catin désignait également une poupée, sens conservé au Canada. Cette évolution linguistique pourrait s'expliquer par une assimilation entre la fille de la campagne ou la servante, ainsi désignée, et la fille facile : le sens de poupée n'a pu que favoriser cet amalgame.

Les péripatéticiennes (du grec "peripatein" = se promener en conversant, allusion à la philosophie de la Grèce antique où les disciples d'Aristote aimaient à se promener en discutant) exercent, comme chacun sait, le plus souvent sur le trottoir. Elles font le trottoir, ou le tapin, ce qui revient finalement à faire la retape, autrement dit un racolage bruyant qui est loin de se cantonner, de nos jours, dans le seul domaine des amours vénales. Etymologiquement, un tapin (du verbe "taper"), ne désigne pas le trottoir, mais un soldat qui bat le tambour sur la voie publique, ce qui, finalement, n'est pas très éloigné des activités des prostituées.

Le client de ces dames est souvent qualifié de micheton : il s'agit d'une variante de miché, forme populaire du prénom Michel, que l'on retrouve également dans le godemiché évoqué dans notre billet intitulé "Interdit aux moins de 18 ans". Et le verbe michetonner désigne logiquement, pour une prostituée, le fait de lever des clients.

Le maquereau et la maquerelle, ou encore le mac désignent le proxénète ou le souteneur. Eh bien, aucun rapport avec le poisson ! L'étymologie remonte au moyen néerlandais "makelâre" qui veut dire courtier, intermédiaire. C'est la même origine qu'on retrouve dans le "Makler" qui désigne un intermédiaire en affaires en Allemand ("Immobilienmakler" = agent immobilier), mais aussi dans le verbe anglais "make", faire. Et aussi bien le maquignon, que les verbes maquer et maquiller sont issus des mêmes racines linguistiques.

Et, avant de conclure, allons nous encanailler dans l'un des hauts lieux de la prostitution, à savoir le bordel. C'est un diminutif de l'ancien français "bord" ou "borde" qui désigne une petite maison, une cabane. Cette étymologie se retrouve encore fréquemment dans des toponymes tels que "Les Bordes" ou des patronymes comme "Laborde". Le sens spécialisé de "lieu de prostitution" vient du fait que les prostituées, en particulier dans les ports, ne pouvaient exercer leur commerce qu'à l'écart, dans des "bordes" qui formaient un quartier réservé, un "bordeau".

Nous terminerons en citant deux grandes œuvres du patrimoine culturel français : "La P… respectueuse", pièce de Jean-Paul Sartre de 1946, et "La Maman et la Putain", film de Jean Eustache de 1973.

samedi 26 octobre 2019

Mourir


La vie, dit-on, est une maladie sexuellement transmissible toujours mortelle. Aussi la mort est-elle bien présente dans notre vie, dans nos angoisses et dans notre langue. Il est incontestablement plus plaisant de mourir de rire que d'une intoxication alimentaire. Et celle ou celui qui jamais eu le sentiment de mourir d'amour n'a peut-être jamais réellement aimé. Et nous n'évoquerons même pas (belle prétérition) la petite mort.

A quelques jours de la Toussaint (ou Fête des Trépassés, de "trépasser" = passer à travers, de l'autre côté) et de sa débauche de chrysanthèmes (du grec "fleurs d'or") nous allons nous livrer à une petite exploration linguistique de la mort ou trépas.

Ainsi par exemple, le croque-mort ne s'appelle pas ainsi, comme on l'entend parfois, parce l'employé de pompes funèbres (du latin "pompa" = procession, cortège, et "funus" = funérailles) vérifiait que son client était bel et bien mort en lui mordant les pieds, mais parce que croquer a ici le sens d'escamoter, faire disparaître (ainsi a-t-on qualifié de croque-note un musicien pauvre et sans talent qui croquait la note, autrement dit la sautait, l'escamotait).

Le corps du défunt (du latin "defunctus" = qui s'est acquitté de la vie) est parfois enveloppé dans un linceul : ce terme aussi vient du latin "lintoleum" qui désigne une petite pièce de toile de lin (à ne pas confondre avec "linoleum" qui désigne à l'origine un tissu enduit d'huile de lin : reconnaissez qu'envelopper un mort dans du linoléum ne serait pas du meilleur effet !). Le linceul a remplacé le suaire (du latin "sudarium" = mouchoir, mais aussi linge pour essuyer la sueur du visage – même étymologie que suer, sudation…).

Quant au cercueil, il est étymologiquement apparenté (avec une forte réduction phonétique) au sarcophage, du grec "sarkos" = chair et "phagein" = manger. La bière qu'on trouve dans l'expression mise en bière, n'a rien à voir avec la boisson homonyme, mais nous vient du francique "bëra" qui désigne une civière (et a donné "Bahre" = brancard en allemand). Cette civière servait à transporter les malades, les blessés, mais aussi souvent les morts qui étaient enterrés avec cet équipement. La généralisation du cercueil fit, par la suite, prendre au mot bière le sens qu'on lui connaît aujourd'hui.

Le cadavre (du latin "cadere" = tomber, et qui a également donné "choir") sera souvent enterré dans une  tombe ou un tombeau : mais justement, alors qu'on pourrait croire que la tombe accueille celui qui est tombé, ce terme nous vient du latin "tumba", mot apparenté à "tumulus" (monticule) qu'on retrouve dans "tuméfier", "tumeur" ou encore dans l'allemand "Daumen" qui désigne le pouce. Et nous voilà au cimetière : du grec "koimêtêrion" = dortoir et, dans les textes chrétiens, lieu où reposent les morts. Le mot grec est lui-même issu de "koiman" qui signifie "se coucher pour dormir". Comme le chantait si joliment Georges Moustaki : "Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer".

Le deuil, quant à lui, est étymologiquement apparenté à la douleur, du bas latin "dolus", qui signifie également adresse, ruse et, par extension, fraude, ce qui nous a donné le substantif "dol" et l'adjectif "dolosif".

Nous conclurons ce billet par une curiosité plus culturelle que linguistique : là où en français on évoque un Danger de mort, les Allemands, eux,  parlent de Lebensgefahr, autrement dit de "danger pour la vie".

lundi 23 septembre 2019

Des lettres dans le désordre


Quoi de plus pittoresque que de changer l'ordre des lettres d'un ou de plusieurs mots pour en produire d'autres avec un sens totalement différent. C'est la beauté de l'anagramme – du grec anagramma, renversement de lettres. Un tapissier peut aimer les gâteaux, mais cela ne fait pas pour autant de lui un pâtissier. Et l'on ne connaît pas de tapisserie consacrée à la pâtisserie.

En revanche, rien de plus normal pour un chien que d'habiter dans une niche, surtout en Chine. Si le mode de vie parisien vous donne envie de prendre une aspirine, allez donc consulter d'abord un soigneur qui veillera à votre guérison. Et je parie que votre ami Laurent roule en Renault : quoi de plus naturel ! S'il s'agit de Laurent Fabius, alors méfiez-vous de son naturel abusif.

André Breton surnomma Salvador Dali "Avida Dollars" : les surréalistes n'étaient pas tendres entre eux. Et si Jean-Marie Le Pen déclare "je ramène le pain", ce n'est certainement pas pour l'offrir à un étranger… Pascal Obispo, quant à lui, n'a pas grand-chose de commun avec Pablo Picasso.

Dans la littérature, on a souvent vu des auteurs se donner pour pseudonyme l'anagramme de leur nom. Ainsi Alcofribas Nasier n'est autre que François Rabelais et Boris Vian a écrit, entre autres, sous le nom de Bison Ravi. Marguerite Yourcenar s'appelait en réalité Marguerite de Crayencour et Sébastien Japrisot est le nom de plume de Jean-Baptiste Rossi. Enfin, dans "Les Poètes maudits", Paul Verlaine se donne le nom de Pauvre Lélian.

Parmi quelques autres anagrammes classiques, on citera :

Révolution française Un véto corse la finira
Napoléon, Empereur des Français  - Un Pape serf a sacré le noir démon
Albert EinsteinRien n'est établi
Jean-Paul Sartre Satan le parjure
Et naturellement, pour Le commandant Cousteau, Tout commença dans l'eau

L'actualité économique et écologique nous offre quelques belles anagrammes : La crise économique n'est pas vraiment Le scénario comique ; mais Ce fuel qui tache le firmament est bel et bien causé par Le réchauffement climatique et, pour certains, les Centrales nucléaires engendrent Les cancers et la ruine.

Parmi les anagrammes, certaines sont des mots Janus ou mots à double face dont l'anagramme est un résultat logique. Ainsi, Montherlant observa qu'étreinte est l'anagramme d'éternité. Et rien de plus normal pour un débiteur que de souhaiter voir son créancier incarcéré. La vie d'un ministre est souvent faite d'intérims. Une épine peut causer de la peine et pour César, rien de plus naturel qu'un sacre.

Après la lecture de ce billet, gageons qu'à l'avenir vous n'oublierez plus de prendre un apéro avant d'aller à l'opéra.

Et nous conclurons par une pensée pour nos amis Britanniques aux prises avec le Brexit ; sans doute n'auraient-ils jamais fait ce choix s'ils avaient su que le Bitrex est l'appellation commerciale du benzoate de dénatonium, substance la plus amère qui existe.

jeudi 5 septembre 2019

Interdit aux moins de 18 ans !


Yeux chastes, s'abstenir ! Le billet d'aujourd'hui est consacré aux choses du sexe – et plus si affinités !

Commençons par le mot sexe, du latin sexus : ce mot, d'origine discutée, pourrait être rapproché du verbe secare qui signifie couper, diviser (cf. section ou sécateur)sexus étant alors le partage d'une espèce en mâles et femelles. Honneur aux dames : le vagin vient du latin vagina qui désigne un fourreau, une enveloppe. Mais vagina a également donné en français, par formation populaire, le mot gaine. Quant au pénis masculin, le terme latin dont il est issu – penis  - désignait à l'origine la queue des mammifères (avant d'être remplacé par cauda).

Bien que la présente chronique ne porte pas le numéro 69, intéressons-nous à la fellation et au cunnilingus. Fellation, vient du verbe latin fellare qui signifie téter, sucer. Quant au cunnilingus il réunit le cunnus latin qui nous a donné con en français, et lingua, la langue. (Comme chacun sait : "il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que de mauvaises langues" !) A propos de con, comment ne pas évoquer la très jolie chanson que lui a consacrée Pierre Perret, "Celui d'Alice" https://www.youtube.com/watch?v=UTIIiz-kHDI.

Le sexe peut s'accompagner de divers accessoires, comme par exemple le godemiché, à l'étymologie controversée : pour les uns, l'origine serait la forme latine gaude mihi ou réjouis-moi, de gaudere "jouir". Pour d'autres, le mot serait emprunté au catalan godomacil et à l'espagnol gaudameci qui désigne le cuir de Gadames, avec une influence de Michet ou Miché, variantes du prénom Michel qui a eu des valeurs érotiques.

Il peut arriver qu'on soit réduit au plaisir solitaire, autrement dit à la masturbation ou onanisme. En latin, le verbe masturbare a le même sens que masturber. Il existe aussi un doublet, rare, de masturbation : manustupration, du latin manus, la main, et stupratio, action de souiller (d'où vient également "stupre"). Quant à l'onanisme, nous le devons au personnage biblique d'Onan, qui, contraint par la loi du lévirat d'épouser la veuve de son frère, refusa de donner des enfants à celle-ci en "laissant perdre à terre sa semence" (Genèse, 38, 6-10).

C'est encore la Bible et toujours la Genèse (XIII, XVIII, XIX) qui évoque la ville de Sodome, située en Palestine, qui fut détruite avec Gomorrhe en raison de la luxure et de la corruption qui y régnaient. Et l'on trouve donc là l'étymologie de sodomie.

Chère lectrice, cher lecteur, j'espère que ce billet ne vous aura pas fait rougir, mais qu'au contraire il aura su vous réjouir.

samedi 17 août 2019

Passe-moi le sel !


Selon le Petit Robert, le sel est "une substance blanche, friable, soluble dans l'eau, d'un goût piquant, et qui sert à l'assaisonnement et à la conservation des aliments". Dans la langue française, le sel est à l'origine de quantité de mots et d'expressions dont l'examen nous intéresse aujourd'hui.

Toute peine mérite salaire selon un dicton bien connu. Le salaire, du latin salarium, désigne à l'origine une ration de sel, puis la somme d'argent donnée aux soldats pour acheter leur sel. Ce n'est certainement pas un salaire que perçoit un demi-sel­, terme d'argot pour qualifier à l'origine un individu qui exerce un métier régulier mais vit aussi de proxénétisme, et aujourd'hui un homme qui affecte d'être du milieu sans se comporter comme le milieu l'exige. Ce mélange des genres lui vaut cette appellation de demi-sel par référence au beurre éponyme qui n'est ni salé, ni pas salé.

La parenté avec le mot sel est assez évidente pour les salaisons, la saumure, le saunier (qui récolte le sel), le saleron (partie creuse d'une salière) ou la salière qui désigne, outre le récipient dans lequel on met le sel sur la table, le creux derrière la clavicule chez les personnes maigres. Mais on ne pense généralement pas au sel quand on saupoudre un mets de sucre par exemple : saupoudrer vient en effet de sel et de poudrer. Je n'irai pas jusqu'à qualifier cette étymologie de saugrenue – adjectif qui vient pourtant de sau, forme dialectale de sel, et de grenu, dérivé de grain. Au 16ème siècle une saugrenée désigne l'assaisonnement d'un plat avec du de l'eau et du sel et l'on rencontre aussi l'adjectif saugreneux qui signifie piquant, salé, parfois employé au figuré à propos d'un conte ou d'un juron.

Le sel est essentiel en cuisine : aussi ne s'étonnera-t-on pas de le retrouver dans saucisson, salami, salpicon ou même saupiquet, variété de salpicon et de nos jours marque bien connue. Et rien de meilleur, à la saison froide, qu'un petit salé aux lentilles. Enfin la salade (du provençal salada, mets salé) vient aussi du sel, et je ne vous raconte pas des salades ! Quant au salpêtre ou sel de pierre, il n'est pas bienvenu sur les murs de la cuisine.

L'importance du sel se retrouve dans la métaphore biblique du sel de la Terre, puisque c'est ainsi que le Christ désigne ses disciples ; de nos jours, cette expression qualifie au sens figuré l'élément actif, vivant, l'élite. Dans le même ordre d'idées, on parle aussi d'une plaisanterie pleine de sel, ou d'une affaire qui ne manque pas de sel ou de piquant.

Nous connaissons tous des personnes qui sans cesse viennent mettre leur grain de sel dans une discussion, autrement dit qui interviennent, s'immiscent hors de propos. Curieusement, l'expression latine cum grano salis (avec un grain de sel, en anglais with a pinch of salt) a un sens tout à fait différent : si l'on considère quelque chose cum grano salis, on reste un peu à distance, on relativise la chose en question.

Peut-être vous est-il déjà arrivé de dessaler lors d'une sortie à la voile ? Ce verbe de l'argot des plaisanciers qui signifie chavirer provient de l'argot parisien où dessaler signifie boire (la tasse), voire noyer. Et comme le savent tous les voileux, celui qui dessale est condamné à payer la tournée générale. Il faut espérer pour lui, que l'addition ne sera alors pas trop salée !

mercredi 8 mai 2019

Bienvenue à nos cousins germains !

La polémique née de l'utilisation du terme Blitzkrieg ("guerre éclair") par une tête de liste aux élections européennes nous donne l'occasion de nous pencher sur la présence de l'allemand dans la langue française. Alors qu'on se plaint, souvent à tort, des nombreux anglicismes qui émaillent notre langue, personne ne trouve rien à redire à tous les mots allemands venus enrichir notre langue au fil des siècles.

"J'avais décidé ce jour-là d'aller observer les edelweiss dans la montagne (Leur cueillette est interdite). J'étais en train de préparer mes affaires, et notamment mon frichti et je me demandais si, outre quelques bretzels, je devais également emporter une flasque de schnaps au cas où la température viendrait à chuter sévèrement. Un tout cas, ma thermos était pleine de bon café et non pas d'un quelconque ersatz. Mon alpenstock à portée de main, j'étais paré pour explorer l'hinterland en suivant le thalweg. Ne m'étant pas encombré de mes skis, il n'y aurait pas de schuss au programme."

  • Edelweiss : de l'allemand Edelweiß (Edel = noble, weiß = blanc)
  • Frichti : de l'alémanique alsacien fristick, apparenté à l'allemand Frühstück (petit-déjeuner)
  • Bretzel : transcription phonétique de l'allemand Brezel, du latin médiéval brachiolum (petit bras)
  • Flasque : apparenté à Flasche (bouteille)
  • Schnaps : en allemand "eau-de-vie"
  • Ersatz : succédané de mauvaise qualité (Ersatz = remplacement)
  • Alpenstock : bâton ferré pour les excursions en montagne (Alpen = Alpes, Stock = bâton)
  • Hinterland : littéralement "arrière-pays"
  • T(h)alweg : ligne de fond d'une vallée (Tal = vallée, Weg = chemin)
  • Schuss : de l'allemand Schussfahrt (descente à skis en ligne droite)

"En regardant à travers le vasistas à l'arrière de ma maison, j'apercevais au loin un bunker, à moins que ce ne fût un blockhaus datant de la dernière guerre et de cette funeste époque où le régime nazi chercha à imposer un diktat à toute l'Europe. Malgré plusieurs tentatives, aucun putsch ne réussit à mettre à bas le führer."

  • Vasistas : de Was ist das (qu'est-ce-que c'est ?), question posée à travers un guichet, d'où le vasistas, petit vantail mobile pouvant s'ouvrir dans une porte ou une fenêtre. Sous la Révolution, le vasistas a désigné la lucarne de la guillotine !
  • Bunker : à l'origine une soute ou un entrepôt à charbon, par la suite un abri blindé et enterré. A également donné le verbe bunkériser.
  • Blockhaus : la "maison charpentée" est devenue un ouvrage militaire défensif étayé de poutres et de rondins.
  • Diktat : étymologiquement "chose dictée" – par extension, volonté (généralement politique) imposée par la force.
  • Putsch : de l'alémanique : "coup, action de pousser, mouvement en avant" ; aujourd'hui soulèvement destiné à prendre le pouvoir, coup d'état.
  • Führer : à l'origine "guide" – se passe d'explications !

Si le football est un sport d'origine anglaise, comme en témoigne la prononciation du mot ("ball" prononcé "bol"), le handball, lui, nous vient d'Allemagne et il convient de prononcer "balle" et non "bol" comme on l'entend malheureusement trop souvent sur les ondes. Avant de conclure ce billet, un dernier avertissement s'impose : ne confondons pas le zeitgeist (l'esprit du temps), un concept tiré de la philosophie allemande, avec un poltergeist ou esprit frappeur. Les deux n'ont vraiment rien à voir !

Et puisque le leitmotiv – à l'origine un thème musical récurrent dans une œuvre, par extension un thème ou une formule qui revient régulièrement dans un texte ou un discours – de ce blog est d'explorer la créativité de la langue française, comment ne pas rappeler l'origine pittoresque de l'expression se faire appeler Arthur : durant l'Occupation en France, les Allemands avaient imposé un couvre-feu qui débutait à vingt heures – en allemand acht Uhr. Pour rappeler à l'ordre les passants qui s'aventuraient dans les rues après l'heure fatidique, les soldats allemands indiquaient leur montre en disant acht Uhr ; les Français comprenaient Arthur : c'est peut-être ainsi que de ce rappel à l'ordre est née l'expression se faire appeler Arthur.

Trinquons (de l'allemand "trinken" = "boire") plutôt à la santé de l'amitié franco-allemande !

samedi 13 avril 2019

Latin lover


« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Cette phrase, sans doute l’une des plus célèbres de la littérature française est l’incipit de « Du côté de chez Swann », premier tome de « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust. Un incipit, du latin incipio, is, ere (commencer), désigne les premiers mots d’un texte littéraire ou d’une œuvre musicale chantée. « Allons enfants de la patrie » est l’incipit de la Marseillaise. Nous avons, fort logiquement, commencé par cet exemple pour montrer toute la place que le latin occupe dans notre langue.

Puisque nous avons débuté avec la littérature, mentionnons l’ex libris, du latin ex libris meis (faisant partie de mes livres) qui désigne une inscription dans un livre identifiant le propriétaire de celui-ci. Souvent, l’ex libris prend la forme d’une vignette artistique collée sur le contre-plat (l’intérieur de la couverture) ou la page de garde d’un livre. Certains ex libris sont de véritables œuvres d’art.

Le latin est omniprésent dans le domaine de la chose imprimée : par exemple un vadémécum (de vade mecum, « viens avec moi ») est un petit livre ou guide qui renferme des renseignements utiles. A ne pas confondre avec un mémorandum ou mémo (de memorare, rappeler), qui désigne une note ou une fiche rappelant des informations utiles.  Et qu’en est-il des médias ? En latin, media est le pluriel de medium (milieu). Mais nos médias contemporains ont transité par la langue anglaise où le terme de mass-media désigne des supports de très large diffusion. Mais un medium en français désigne tout à fait autre chose et sans doute un medium n’a-t-il pas besoin de médias pour savoir ce qui se passe dans le monde.

A priori et a posteriori sont suffisamment courants et explicites pour se passer d’explication particulière. Plus rares, ex ante et ex post recouvrent un champ sémantique voisin, mais sont employés dans des domaines plus spécialisés (notamment en finances). Nul ne contestera que a contrario fait beaucoup plus chic que « à l’opposé » et que a minima est d’une autre classe que le banal « au moins » ou « au minimum ».

Alors qu’on entend et qu’on lit fréquemment mutatis mutandis – ce qui devait être changé l’ayant été – autrement dit une comparaison pouvant être établie en ayant fait abstraction des différences, on rencontre plus rarement la locution voisine ceteris paribus qui signifie « toutes choses égales par ailleurs ».

Finalement, l’essentiel pour une langue vivante qui puise pourtant d’innombrables racines dans cette langue morte qu’est le latin, est de ne jamais succomber au statu quo ; cette expression vient de la locution latine in statu quo ante qui signifie littéralement « en l’état où les choses étaient auparavant ». Restons optimistes et ne craignons pas que la vivacité de la belle langue française se trouve entravée par son enracinement latin et ne cédons pas, comme les philosophes stoïciens, à la præmeditatio malorum, autrement dit à l’anticipation de difficultés, d’obstacles qui ne sont que les fruits d’une imagination pessimiste.

Devrai-je faire mon mea culpa pour vous avoir infligé cette indigeste leçon de latin ? Ou me délivrerez-vous plutôt un satisfecit pour avoir modestement contribué à étancher votre inextinguible soif d’apprendre ? A vous de juger, mais, de grâce ne faites pas de cette question un casus belli.

Si, en rédigeant le cinquantième billet de ce blog, je devais me rendre compte que je n’ai pas choisi le bon modus operandi pour promouvoir les charmes de la langue française, il ne me resterait plus qu’à espérer que, tel un deus ex machina – ce dieu qui, au théâtre, surgit à dernière minute des cintres pour dénouer une situation désespérée - une soudaine illumination me remette dans le droit chemin. A défaut, c’est dans le produit fermenté de la vigne que je devrais chercher une consolation puisque, comme chacun sait, in vino veritas.

In fine, chère lectrice, cher lecteur, j’espère que vous aurez pris plaisir à lecture de ces lignes, et qu’après un incipit prometteur, vous ne vous serez pas sentis trahis par la conclusion de ce texte et ne décréterez pas, par référence au redoutable scorpion, in cauda venenum.

Post scriptum : pour les nostalgiques du volumineux « Gaffiot », ce dictionnaire latin-français qui a accompagné tous les latinistes, il est aujourd’hui aisément accessible sur internet : https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php

dimanche 24 février 2019

Comme leur nom l'indique...


Qui de nous ne s'est jamais esclaffé devant un patronyme étroitement lié à la profession de la personne qui le porte. Le Docteur Molaire pouvait-il être autre chose que dentiste ?

Ce phénomène, plus fréquent qu'on ne croit, s'appelle aptonymie. Historiquement, les noms donnés aux personnes étaient souvent liés à leur aspect physique, leur provenance géographique ou l'activité qu'elles exerçaient. Les Dupont habitaient souvent non loin d'un pont, les Legrand se distinguaient par leur taille, tout comme les Lepetit, et il est probable que les Chevrier pratiquaient l'élevage caprin.

Mais de nos jours, les anthroponymes nous sont légués depuis de nombreuses générations et il est plutôt rare qu'un individu ait encore les caractéristiques physiques, la localisation géographique ou le métier de ses arrière-arrière-grands-parents. Voilà ce qui rend d'autant plus amusante cette apparente prédisposition que certains, du fait de leur nom, ont pour une profession donnée.

L'agriculture offre de nombreux exemples d'aptonymie :

Loïc DELAGNEAU est un éleveur de chèvres en Lorraine
Marc DUFUMIER est agronome et spécialiste du développement agricole
François PURSEIGLE est lui aussi agronome, ingénieur en agriculture et docteur en sociologie rurale
Romain LEBOEUF est boucher et Meilleur Ouvrier de France
Eric TABANOU est Directeur général de France Tabac

Il ne serait certainement pas difficile de prolonger cette liste.

La profession médicale n'est pas non plus avare en aptonymes.


Amandine DELIRE est psychologue clinicienne : sa patientèle est-elle séduite par son nom ?


Le Docteur Michel SIMAL, n'hésite certainement pas à prescrire des analgésiques.
Le Docteur Véronique CAVERNES est, vous l'aurez deviné,… dermatologue !

Avant de devenir Premier Ministre, Edith CRESSON fut naturellement Ministre de l'agriculture.

Et qui d'autre que Charles de GAULLE pouvait redresser la France au lendemain de la Deuxième guerre mondiale ?

Quant à Jean-Marie FROIDEFOND, c'est un océanographe réputé, spécialiste, entre autres, de l'étude des courants froids en profondeur !

Et comment ne pas conclure ce billet sans mentionner Jean-Claude TRICHET qui fut Gouverneur de la Banque de France avant de devenir Président de la Banque Centrale Européenne.

samedi 12 janvier 2019

J'en jaunis à l'idée...


Le jaune est très tendance par les temps qui courent. Il nous a donc paru intéressant de nous pencher sur l'étymologie et, plus généralement, la sémantique de cette couleur.

Comme nous l'apprend l'excellent Dictionnaire historique de la langue française (éditions Le Robert), jaune nous vient du latin galbus et galbinus qui signifie vert pâle ou jaune-vert. Cette étymologie apparaît encore plus nettement dans l'allemand gelb et l'anglais yellow. Pourtant l'adjectif latin désignant habituellement la couleur jaune est flavus (qu'on retrouve dans flavescent).

Depuis le 13ème siècle, le jaune, également la couleur de l'or et du safran, désigne la teinte que prend la peau d'une personne malportante. La jaunisse est là pour le rappeler. Au sens figuré, la locution familière en faire une jaunisse signifie "éprouver du dépit". Quant à la redoutable fièvre jaune elle s'appelle ainsi parce qu'elle est provoquée par un flavivirus (du latin flavus = jaune).

Le maillot jaune, qui distingue le premier au classement du Tour de France, s'appelle ainsi en raison de la couleur du papier du journal L'Équipe lors de la création de l'épreuve. Le jaune est choisi comme symbole positif de la couleur solaire.

Mais, à l'exception du maillot jaune, cette couleur se retrouve presque toujours dans des expressions à connotation fortement péjorative, comme par exemple le péril jaune pour qualifier la menace démographique et aujourd'hui économique qu'on attribue aux Asiatiques. Le jaune est également la couleur associée à Judas, mais c'est aussi la couleur du soufre, instrument des forces lucifériennes. C'est d'ailleurs cette propriété infâmante que l'on retrouve dans l'ignoble étoile jaune imposée aux juifs par les nazis en référence au passeport jaune des anciens forçats.

Et quand on dit de quelqu'un qu'il rit jaune, qu'entend-on exactement par là ? Deux origines possibles : chez Saint-Simon au 18ème siècle, les hépatiques au teint jaune ne pourraient rire que de manière forcée en raison des désagréments causés par leur maladie. Mais beaucoup plus tôt, en 1640, on trouve sous la plume d'Antoine Oudin, interprète à la cour de Louis XIII, l'expression "il rit jaune comme farine" ; or, dans l'argot de l'époque, la "farine" ne désignait pas l'aliment, mais une personne vicieuse. Par conséquent "rire jaune" voulait dire rire de manière malsaine et dissimulatrice.

Sont également qualifiés de jaunes les briseurs de grève, par référence au syndicalisme jaune qui s'oppose au syndicalisme rouge révolutionnaire. L'emblème des syndicats jaunes créés en 1899 était un brin de genêt et un gland jaune.

Et comment ne pas conclure ce billet sans évoquer le jaune, la couleur des … cocus. C'est en raison de toute la symbolique négative attachée à cette couleur qu'on l'attribue ainsi aux cocus. La locution être peint en jaune signifie "être trompé par sa femme".

P. S. Si les gilets que les automobilistes sont tenus d'emporter dans leur voiture sont jaunes, c'est pour pouvoir être vus de loin, sécurité oblige.