dimanche 22 octobre 2023

Sous les pavés… la langue (française)

 

Nul n’ignore le pavé que jette volontiers dans la mare celui (oui celle) qui veut choquer ou faire scandale. Pas plus que les valeureux cyclistes de la course Paris-Roubaix n’ignorent les redoutables pavés de la Trouée d’Arenberg. Mais le pavé nous réserve d’autres surprises, celles-là d’ordre linguistique. Connaissez-vous le pavé de l’ours ? Cette expression désigne une action accomplie dans le but d’aider autrui mais qui, en raison de la maladresse de celui qui veut aider, se retourne en définitive contre la personne qu’on voulait aider. L’origine du pavé de l’ours se trouve – une fois de plus – chez Jean de La Fontaine, dans la fable « L’ours et l’amateur des jardins » : dans cette fable qui raconte l’amitié entre un ours et un homme, le plantigrade, voulant tuer une mouche qui s’était posée sur la tête de son ami, s’empare d’un pavé pour l’écraser ; ne mesurant pas sa force, l’ours fait, si l’on peut dire, d’un pavé deux coups et tue à la fois la mouche et son ami. L’enfer, dit-on, est pavé des meilleures intentions, n’est-ce-pas ?

Si l’on veut tenir la dragée haute à quelqu’un (nous reviendrons une autre fois à cette pittoresque expression), il vaut mieux tenir le haut du pavé. Avant l’apparition du tout-à-l’égout, les rues, pavées naturellement, avaient un profil en V : la rigole ainsi formée au milieu de la chaussée servait d’égout et charriait donc les effluents nauséabonds de la ville. Il était dont essentiel de marcher au plus près des façades des maisons pour ne pas se faire éclabousser. Lorsque les bourgeois ou les nobles croisaient les « gens du peuple », ces derniers se décalaient vers le centre de la chaussée, laissant ainsi le haut du pavé aux citoyens de haute condition. Celui qui tient le haut du pavé occupe donc une position sociale élevée et domine ceux qui n’ont pas cette chance.

Il y a fort à parier que ceux qui tiennent le haut du pavé ont également pignon sur rue. Le pignon, comme on sait, est la partie supérieure d’un mur dont le sommet porte l’extrémité du faîtage d’une maison. Mais seuls les propriétaires aisés disposaient d’un pignon donnant sur la rue. L’expression « avoir pignon sur rue » s’est appliquée, par extension, aux riches propriétaires et aux commerçants aisés. Reste à savoir si, avec le développement du cybercommerce, on parlera un jour d’entreprises ayant « Google sur web » ?

Mais restons dans la rue avec une expression amusante, connue plutôt des Parisiens : ça fait la rue Michel. Cela veut dire « cela suffit, le compte est bon ». La rue en question est la rue Michel-le-Comte situe dans le 3e arrondissement de Paris, non loin de la rue Réaumur, siège de nombreuses rédactions de journaux. Dans ce quartier très animé, les conducteurs de fiacre étaient très souvent sollicités pour déposer ou prendre en charge des journalistes. Une fois reçu le prix de la course, le cocher, au lieu de dire « ça fait le compte » disait avec humour « ça fait la rue Michel-le-Comte ». Au fil du temps, cette expression devint « ça fait la rue Michel ».

Alors que certains voulaient nous faire croire qu’on trouverait sous les pavés la plage, on ne peut qu’avoir une pensée attristée à l’endroit de tous ceux, bien trop nombreux, qui se retrouvent aujourd’hui à la rue.