lundi 30 décembre 2019

Mythes à gogo


Nous évoquions récemment la place, relativement importante, du vocabulaire religieux dans la langue française. Mais l'empreinte laissée par la mythologie grecque et romaine est autrement plus grande.

Si nous étions animés par un souci d'exhaustivité, nous risquerions d'ouvrir un Tonneau des Danaïdes ou une boîte de Pandore et n'arriverions jamais au bout de ce billet, à moins d'être dotés d'une force herculéenne. Pour tenter de nous y retrouver dans ce dédale regorgeant d'expressions issues de la mythologie, je vous aurais bien proposé de suivre un fil d'Ariane si j'en avais eu un. Il m'a donc fallu faire des choix et, plus d'une fois, j'ai dû me résoudre à trancher un nœud gordien pour sélectionner telle ou telle formule.

Aucune égérie n'est venue me conseiller et je n'ai pas non plus trouvé l'inspiration devant mon miroir, car vous m'auriez aussitôt accusé de narcissisme. Je n'ai pas non plus eu besoin de m'abreuver d'un quelconque nectar et, par chance, la tâche à laquelle je me suis attelé était plus aisée que le nettoyage des écuries d'Augias. "À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" peut-on lire dans Cid de Corneille : quelle parfaite description d'une victoire à la Pyrrhus !

L'amour qui fait tourner le monde et nous fait souvent tourner la tête se nourrit d'érotisme et nul besoin d'être un Apollon ou beau comme un Adonis pour conquérir le cœur d'une Vénus, avec ou sans l'aide de Cupidon. Et l'on s'abstiendra également d'abuser de breuvages aphrodisiaques, car, consommés sans modération, ils risquent d'affliger la malheureuse victime d'un bien gênant priapisme. À moins, bien sûr, d'être mithridatisé.

Je ne voudrais pas jouer les Cassandre, mais simplement prévenir celles ou ceux qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter que, s'ils n'y prennent garde, ils risquent de tomber de Charybde en Scylla. Qu'ils n'oublient jamais qu'il n'y a pas loin du Capitole à la Roche tarpéienne. Celui qui, aujourd'hui, est riche comme Crésus doit se souvenir que nous avons tous un talon d'Achille qui peut nous transformer, du jour au lendemain, en colosse aux pieds d'argile.

Et la psychanalyse freudienne se serait trouvée fort démunie sans complexe d'Œdipe, si ce dernier, plutôt que de tuer son père et de coucher avec sa mère, s'était réfugié dans les bras de Morphée.

mercredi 25 décembre 2019

Nom d'une pipe !


On a tendance à croire que le "politiquement correct" est une évolution récente de la langue, qui conduit à dire non-voyant ou malvoyant à la place d'aveugle, malentendant à la place de sourd, personne à mobilité réduite plutôt que personne handicapée, personne de couleur plutôt que noir etc.

Mais cette édulcoration de la langue n'a rien de nouveau ; on la trouve depuis fort longtemps chaque fois qu'il s'agit d'éviter de blasphémer en prononçant le mot "Dieu". C'est ainsi qu'on retrouve des expressions telles que nom d'une pipe, nom d'un chien, ou encore nom d'un petit bonhomme, voire nom de nom pour ne pas devoir dire nom de Dieu.

On mentionnera aussi le terme crénom, dérivé de sacré nom. Parfois crénom est utilisé seul, mais c'est sans doute la formule crénom de nom qui est la plus répandue. Sacré se retrouve dans d'autres jurons, comme par exemple sacrebleu qui remplace (par le) sacre de Dieu. Mais l'adjectif sacré est également à l'origine de saperlipopette, terme lui-même dérivé de sapristi, qui est une déformation de sacristi qu'on cherche à éviter car trop blasphématoire.

Quant à bleu on le retrouve dans de nombreux jurons (comme sacrebleu cité plus haut) à la place de Dieu : parbleu pour par Dieu, morbleu pour mort de dieu, palsambleu pour par le sang de Dieu ou encore (assez désuet) ventrebleu pour ventre de Dieu.

Plus moderne que palsambleu, on a bon sang, bon sang de bonsoir ou, plus rare, bon sang de bois. Là encore, il s'agit d'invoquer sans blasphémer le sang de Dieu.

Et pour conclure nous donnerons la parole à deux parmi les plus grands poètes français, Alfred de Musset et Guillaume Apollinaire :

« C'est qu'il ne fait pas bon me marcher sur les pieds. Vive Dieu ! Savez-vous que je n'en crains pas quatre ? Palsambleu ! Ventrebleu ! Je vous avalerais »
(Alfred de Musset - À quoi rêvent les jeunes filles)

« Qu'est-ce qu'il se met dans le coco ! Bon sang de bois il s'est saoulé. »
(Guillaume Apollinaire – Caligrammes)

En ce jour de Noël où, en aucun cas, il ne saurait être question de blasphémer, je souhaite à toutes les lectrices et à tous les lecteurs de ce blog de très agréables fêtes de fin d'année et une année 2020 qui vienne combler tous leurs souhaits.

samedi 14 décembre 2019

Et Dieu dans tout ça ?


"Ma personne est sacrée !", s'exclamait il y a quelque temps le dirigeant d'un parti de la gauche radicale. Cette référence religieuse surprend de la part d'un homme qui se reconnaît certainement davantage dans les valeurs de la laïcité, voire de l'anticléricalisme. Mais voilà, la religion est omniprésente dans la langue française ; et la France, ce pays qui se veut un bastion de la laïcité est aussi souvent qualifiée de "Fille aînée de l'Église".

Lorsqu'un footballeur est sacré "Ballon d'Or", c'est pour lui une consécration, qui vient sanctionner sa carrière et qui a certainement exigé de sa part d'innombrables sacrifices.

L'école doit être, dit-on, un sanctuaire pour les élèves. Cela justifie certainement qu'on sanctuarise le budget consacré à l'Éducation nationale.

Tous ces termes (sacré, consacré, sacrifice, sanctuaire, sanction, sacrifice etc.) viennent du latin "sanctus" qui signifie "sacré, inviolable".

Nombre d'hommes politiques ont connu une traversée du désert : c'est bien sûr une référence biblique à la période de l'Exode où le peuple juif a fui l'Égypte avec Moïse. Et lorsque les difficultés s'accumulent, on parle souvent d'un chemin de croix. Il faut alors garder foi en l'avenir et se dire que si l'on a péché par excès d'optimisme, le temps de la rédemption finira bien par arriver. Mais l'électeur a souvent la mémoire courte et finit par donner l'absolution voire sa bénédiction au candidat de son choix. A l'inverse, ce qui peut guetter un Premier ministre, c'est la "Malédiction Matignon" pour reprendre le titre d'un essai de deux journalistes paru en 2006. Quoi qu'il en soit, rares sont les politiques auxquels on donnerait le Bon Dieu sans confession !

La vie politique et sociale est parsemée de querelles de clocher ou de chapelle : chacun cherche à défendre ses intérêts et donc à prêcher pour sa paroisse. Mais quand le discours se fait par trop moralisateur, on va rapidement se lasser d'un tel prêchi-prêcha. Et l'on acceptera encore moins de se faire sermonner !

Telle grande prêtresse de la communication, auteure d'une bible du marketing, expliquera à l'agent immobilier que les maisons disposant d'un séjour cathédrale sont très recherchées. D'ailleurs, cette bible du marketing vient d'être rééditée sous une forme abrégée : c'est désormais un bréviaire.

En tout cas, ne cherchons pas à stigmatiser ce chanteur de variétés qui ne cesse de rappeler à quel point il est heureux, à chacun de ses spectacles, de communier avec son public.

Et pour conclure – mais ce n'est là qu'un au-revoir et non un adieu – je demeure convaincu qu'en toutes circonstances il vaut mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses Saints.