samedi 2 décembre 2017

Une bonne potée de légumes

En France, quand on ne mange pas, on parle de la nourriture. À telle enseigne, que les expressions culinaires pullulent dans la langue française. Celles qui nous intéressent aujourd'hui nous arrivent tout droit du potager.

Quand des entreprises ou des candidats à une élection se livrent à une compétition désordonnée, où tous les moyens sont bons pour arriver en tête, on dit souvent qu'ils se livrent à une course à l'échalote. Une échalote serait une bien humble récompense pour les compétiteurs ; il ne s'agit donc pas du prix à remporter. A l'origine, dans une course à l'échalote, les coureurs essaient de retenir leurs concurrents par le fond du pantalon, ou, si l'on veut, par la peau des fesses, ce qui n'est pas très réglementaire. Or, en argot, l'oignon désigne l'arrière-train d'une personne. On peut imaginer que, par plaisanterie, on ait remplacé l'oignon par l'échalote, une course à l'échalote devenant ainsi une compétition où l'on cherche avant tout à mettre les bâtons dans les roues de ses adversaires.

Transition toute trouvée : après l'échalote, les oignons dont on est parfois invité à s'occuper.  Occupe-toi de tes oignons ou bien c'est pas mes oignons. Comme nous venons de le voir, l'oignon désigne en argot le postérieur d'un individu : si l'on dit à quelqu'un "occupe-toi de tes oignons", on pourrait tout aussi bien lui dire "occupe-toi de tes fesses", ce qui, vous le reconnaîtrez, est tout de même beaucoup moins élégant. Mais, dans leur Dictionnaire du français non conventionnel, Jacques Cellard et Alain Rey proposent une autre explication : dans le centre de la France, les femmes – c'était une marque d'indépendance – pouvaient cultiver un coin de jardin pour y faire pousser des oignons qu'elles allaient ensuite vendre au marché afin de gagner un peu d'argent. Lorsqu'il leur arrivait de se mêler des affaires des hommes, ces derniers les renvoyaient à leur potager en leur disant "occupe-toi de tes oignons" ou bien "c'est pas tes oignons" !

Les carottes, on peut les aimer crues ou cuites. Mais quand les carottes sont cuites, c'est que tout est perdu et qu'il n'y a vraiment plus d'espoir. Au XIXème siècle on disait que quelqu'un avait ses carottes cuites lorsque la mort était proche. Cela vient peut-être du fait que les carottes étaient l'aliment du pauvre, évoquaient le dénuement et, par extension, la mort. Autre hypothèse : les carottes cuites accompagnaient souvent un plat de viande, autrement dit un morceau d'animal mort.

Quand les carottes sont cuites, c'est généralement aussi la fin des haricots. Une fois de plus, deux hypothèses pour l'origine de cette expression : quand, dans le cadre familial, on voulait jouer à des jeux d'argent on remplaçait l'argent par des haricots. Pour le joueur qui avait perdu tout son pécule, c'était la fin des haricots. Ou bien, dans la mesure où les haricots – qui désignaient aussi les fèves, les pois etc. - étaient un aliment assez bas de gamme et bon marché, lorsque les pauvres n'avaient même plus de quoi en acheter, c'était réellement la fin des haricots.

À qui n'est-il jamais arrivé, en voulant entreprendre quelque chose, de faire chou blanc ? Cette expression nous vient peut-être du Berry où coup se prononce choup en dialecte berrichon (comme chacun sait, "une poule cha pond et un chapon, cha pond pas"). Et au jeu de quilles un coup blanc – qui se prononce chou blanc – était un coup nul qui ne rapportait aucun point. La situation n'est pas plus glorieuse lorsqu'on se retrouve dans les choux : la, c'est la paronymie – c.-à-d. la proximité à l'oreille – entre les choux et échouer qui est à l'origine de cette expression. A l'inverse, il est beaucoup plus plaisant de faire ses choux gras de quelque chose, c'est-à-dire d'en retirer profit, de s'en régaler. En ajoutant de la matière grasse au chou on rend ce mets beaucoup plus attrayant. Petite curiosité linguistique : en allemand, l'expression das macht den Kohl nicht fett (mot à mot "ce n'est pas cela qui rend le chou gras"), signifie qu'une action ne produit pas d'effet, n'améliore pas la situation.

On ne se plaindra jamais de pouvoir mettre un peu de beurre dans les épinards, pour, comme on dit, améliorer l'ordinaire. Mais si vous pensez que les épinards sont riches en fer, vous vous trompez comme un biochimiste allemand qui fit une erreur de virgule en écrivant, en 1870, que 100 grammes d'épinards contenaient 27 mg de fer, alors qu'ils n'en contiennent que 2,7 mg. Raison de plus pour les enrichir en beurre !

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