lundi 28 août 2017

De feu et d'os

Faire long feu et sa forme négative ne pas faire long feu : voilà deux expressions françaises qui forment un véritable sac de nœuds, pour ne pas dire d'embrouilles. A l'origine, on disait d'une arme qu'elle faisait long feu lorsque la poudre se consumait sans exploser : on est donc en présence d'un échec. Un projet qui fait long feu est un projet qui n'aboutit pas, autrement dit qui ne dure pas. Et pourtant, comme nous le rappelle l'excellent blog des correcteurs du Monde "Languesauce piquante", lorsqu'on demande en octobre 2012 au Premier ministre s'il pense faire long feu à Matignon, il répond par l'affirmative en précisant que son action s'inscrit dans la durée. Nous sommes donc en présence d'une expression qui peut avoir deux sens contraires – les linguistes parlent alors d'énantiosémie.

Quid de ne pas faire long feu ? Dans son usage le plus courant, cette expression signifie ne pas durer, ne pas s'éterniser ; ce n'est donc en aucun cas la négation de faire long feu. L'ambiguïté de ces expressions vient sans doute de l'emploi énantiosémique de l'adjectif long : dans faire long feu, long  traduit à la fois la durée (la poudre se consume lentement sans exploser) et la brièveté puisque le projet qui fait long feu est un projet qui tourne court.

Comment nous sortir de ce feu roulant d'interrogations suscitées par ces expressions ? Lorsqu'on ne compte pas s'éterniser quelque part, plutôt que de courir le risque de s'exposer aux remarques pédantes de puristes mal réveillés en disant "je ne vais pas faire long feu ici", disons plutôt "je ne vais pas faire de vieux os" au sens figuré bien sûr, car au sens propre ne pas faire de vieux os renvoie à un passage prématuré de vie à trépas ! A l'inverse, même si cette expression est généralement utilisée dans sa forme négative, on peut dire d'un futur centenaire qu'il fera de vieux os.

Qui se souvient de la chanson de Sacha Distel Mamadou de 1965 :

Quand Mamadou, Mamadou m'a dit
"Toi, mon colon, pas faire long feu ici"
J'lui ai dit "Oh oh, Mamadou, fais ton boulot"
Et je me suis remis à gratter mon banjo
Quand Mamadou, Mamadou m'a ti-
ré dans le dos, du coup j'ai réfléchi
Je m'suis dit "Oh oh, par ici j'ferai pas d'vieux os"
J'ai pris mon fusil, mon couteau et mon banjo
Et le premier bateau... hop !

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