dimanche 24 mai 2020

Une affaire pas banale !


Voilà un petit mot de trois lettres – le ban – qui a produit de nombreux et étonnants tentacules sémantiques dans notre langue. Selon les périodes le ban désigne une loi dont la non-observance entraîne une peine (XIIe siècle), une amende venant sanctionner un délit contre le pouvoir public (VIe siècle), la convocation lancée par le suzerain aux vassaux pour le servir à la guerre (VIIIe siècle), une proclamation par le suzerain pour ordonner ou défendre une chose (VIIe siècle) et, par métonymie, le territoire soumis à la juridiction du suzerain (Xe siècle).

C'est ainsi qu'on retrouve le sens de proclamation officielle dans la publication des bans de mariage. Lorsqu'une proclamation était précédée ou suivie d'un roulement de tambour, on appelait cela ouvrir et fermer le ban. "Fermez le ban !" s'entend encore de nos jours pour clore ironiquement un propos, un discours au sens de "l'affaire est close, toute autre remarque serait superflue". Lorsqu'on battait le ban des récoltes ou des vendanges, on annonçait le jour d'ouverture de ces travaux agricoles. Par extension de cette dernière acception, on propose parfois un ban pour le vainqueur, qui prendra la forme d'applaudissements généralement accompagnés d'un "hip, hip, hip hourrah !".

Lorsque, sous le régime féodal, le suzerain adressait une convocation à ses vassaux, il convoquait le ban et l'arrière-ban, autrement dit tous ses vassaux et arrière-vassaux, qui devaient se ranger sous sa bannière. L'expression est encore employée de nos jours au sens figuré, et il n'est guère glorieux de faire partie de l'arrière-ban. Le terme de ban – dans son sens territorial – est également à l'origine de l'adjectif banal. Nous n'avons certainement pas oublié le four, le moulin et le pressoir banal, appris en cours d'histoire. Leur utilisation était soumise au versement par le vilain au seigneur de taxes appelées banalités ; le four, le moulin et le pressoir banal étaient en quelque sorte des équipements communaux ou communs, et c'est de là que nous vient le sens actuel de banal, à savoir "courant, sans originalité.

L'expression mettre au ban signifie exclure, exiler quelqu'un, autrement dit le bannir. Si de nos jours une personne est mise au ban  de la société, elle est jugée indigne et livrée au mépris public ; même chose pour un pays mis au ban des nations. Si un interdit de séjour se retrouvait en rupture de ban, c'est qu'il avait enfreint le jugement de bannissement qui le visait. L'expression existe toujours dans un sens figuré : "affranchi des contraintes de son état". André Maurois mentionne par exemple "un universitaire en rupture de ban". Et la banlieue alors ? A l'époque féodale, la banlieue n'est autre que l'espace d'environ une lieue autour d'une ville dans lequel l'autorité faisait proclamer les bans et avait juridiction.

Mais surtout n'abandonnons pas en si bon chemin : le terme d'abandon nous vient de l'ancienne expression mettre a bandon signifiant "mettre au pouvoir de…", autrement dit renoncer à une chose (au profit de quelqu'un d'autre). Bandon et ban ont la même étymologie. Et l'ancien verbe forbannir (qui signifie bannir, reléguer) nous a donné forban : ce terme était synonyme de bannissement en droit féodal, mais il désigne également un marin qui pratique la piraterie  pour son propre compte, et, par extension, un homme sans scrupule, puis un bandit.

Ainsi s'achève ce billet : fermez le ban !

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