lundi 6 avril 2020

On n'a jamais vu une mouche se moucher !


La faculté nous recommande, par les temps (et les virus) qui courent, d'éternuer ou de tousser dans notre coude. Heureusement qu'on ne nous invite pas à nous moucher du coude ! Curieuse expression quand on dit de quelqu'un : celui-là, il ne se mouche pas du coude (ou du pied). Le verbe moucher nous vient du latin "mucus" qui signifie "morve" et existe également sous la forme française "mucus". S'il convient de se moucher lorsqu'on a la goutte au nez, il n'est en revanche point agréable de se faire moucher, c.-à-d. se faire remettre à sa place. Par analogie avec le sens "nasal" de moucher, lorsqu'on mouchait la chandelle (au moyen d'une mouchette), on l'éteignait en coupant le bout de la mèche consumée ; et c'est en donnant un sens figuré à cette expression qu'on a fini par dire moucher quelqu'un pour signifier qu'on lui rabat le caquet.

Mais revenons à ceux qui ne se mouchent pas du coude. Au XVIIe siècle, les jongleurs, saltimbanques et autres contorsionnistes – qui n'étaient pas considérés comme l'élite de la société - pouvaient, grâce à leur souplesse, se passer le pied sous le nez et faire semblant de se moucher du pied. On n'imagine pas un bourgeois ou un noble agir de la sorte. C'est aussi à cette époque où les personnes de condition modeste se mouchaient généralement dans leur manche ; celui qui se mouchait de la manche ou du coude était considéré comme mal élevé. Cela ne risquait pas d'arriver aux "gens de la haute", qui, eux, utilisaient naturellement un mouchoir, probablement en soie brodée. Ainsi, lorsqu'on dit d'une personne qu'elle ne se mouche pas du coude, on qualifie un individu prétentieux et imbu de lui-même voulant se faire passer pour plus raffiné et intelligent que lui, autrement dit enclin à "péter plus haut que son cul" (dans un registre moins élégant).

C'est une fois de plus du latin "musca" que nous vient la mouche insecte. "Musca" pourrait être le dérivé diminutif d'une racine indo-européenne "°mu", une onomatopée représentant le bourdonnement et qui est peut-être aussi à l'origine du mot "muet". D'ailleurs, on entendrait voler une mouche quand le silence est total. Nombreuses sont les expressions françaises incluant ces petits diptères. Nous ne nous étendrons pas sur celle où nos malheureuses mouches sont victimes de violences que la morale réprouve, expression qui qualifie un comportement excessivement tatillon.

On dit qu'une personne prend la mouche quand elle s'énerve soudain, en général pour un motif futile ; cette expression est la forme moderne de prendre mouskes qui remonte au XIVe siècle. A cette époque, mouskes désignait toute une kyrielle d'insectes volants et souvent piquants, tels les guêpes, bourdons, frelons et autre taons. Quelle mouche l'a piqué vient de là et peut parfaitement s'appliquer à quelqu'un qui vient de prendre la mouche.

Une personne fine et astucieuse est souvent qualifiée de fine mouche ; en revanche, en argot, une mouche désigne un espion, ce qui nous a donné mouchard. Ce dernier terme est d'ailleurs officiellement recommandé à la place de l'anglais "cookie" pour désigner ces témoins de connexion ou de navigation qui nous pistent sur internet. C'est également ce sens venu de l'argot que l'on retrouve dans le bateau-mouche, à l'origine un petit navire de guerre ou un petit bateau à vapeur. Pour se faire de la publicité et asseoir sa notoriété, le fondateur de la "Compagnie des Bateaux Mouches" à Paris, Jean Bruel, a inventé le personnage mythique de Jean-Sébastien Mouche qu'il présenta comme le concepteur de ce type de bateaux. Un buste de ce personnage imaginaire fut d'ailleurs dévoilé à l'occasion d'une cérémonie au port de Solferino le 1er avril 1953.

Il ne me reste plus qu'à espérer que ce billet fera mouche, autrement dit atteindra son but et son public, puisque la mouche désigne également le point noir au centre de la cible.


2 commentaires:

  1. Sympa!
    Pour l'expression que vous ne citez pas, un copain utilisait "sodomiser les diptères", qu'en pensez-vous?

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  2. Bien sûr - ou bien "faire violence aux diptères" ou encore "leur faire subir les derniers outrages". Dans une situation justifiant l'emploi de cette expression, j'ai déjà entendu "pauvres mouches, elles sont en train de souffrir".

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