dimanche 31 octobre 2021

Ces chères têtes blondes (ou brunes, ou rousses…)

 

La langue ne manque pas d'imagination lorsqu'il s'agit de parler des enfants : gosse, gamin, môme, mouflet, marmot, moutard, chenapan, garnement, polisson, canaille, fripouille, drôle, j'en passe et des meilleures.

Commençons par le mot enfant (terme épicène puisque aussi bien masculin que féminin), qui nous vient du latin infans signifiant "qui ne parle pas" : le préfixe négatif in est suivi de fans, participe présent de fari "parler" rattaché à une racine indoeuropéenne voulant dire à la fois "éclairer" (ce qui nous a donné phénomène) et "parler" (qu'on retrouve dans aphasie, emphase ou fable). Si l'enfant ne parle pas, il produit cependant des sons peu articulés tels que mom, un radical expressif qui aurait donné môme. Ce terme n'est pas très sympathique, sauf, bien sûr, lorsque Léo Ferré chante Jolie Môme !

L'origine de gosse est assez obscure : peut-être du provençal gous "chien" et ses variantes gousse, gousset, goussoun pour "petit chien". Il y a quelque chose de condescendant dans gosse et l'on ne pourrait que se réjouir de voir disparaître l'emploi ce terme de la langue française. Et attention : en français canadien, les gosses désignent les testicules, non pas parce que ces organes sont sollicités lors de la fabrication des enfants, mais par analogie de forme avec une gousse (d'ail par exemple). Parmi les expressions péjoratives pour désigner les enfants, on citera également mouflet et moutard. L'étymologie de mouflet (féminin mouflette) renvoie à l'allemand Muffel "museau" et désigne quelque chose de rebondi, de joufflu. On retrouve la même origine dans les mots mufle et moufle. Quant à la vilaine appellation moutard, son origine est également incertaine : peut-être moulte ou mote qui désigne en franc-comtois et franco-provençal une "chèvre sans cornes", ces dernières étant les plus jeunes (au 17e siècle dans le Dauphiné un mottet désignait un petit garçon ou un jeune homme). Moutard n'est pas employé au féminin en raison de l'homonymie avec moutarde, qui vient de moût.

Le gamin et la gamine sont également caractérisés par un flou étymologique. L'Encyclopédie (18e siècle) désigne par ce mot le jeune aide du verrier (dans l'article consacré à la verrerie). L'origine est peut-être à chercher dans l'alémanique gammel qui signifie à la fois "joie bruyante" et "jeune homme dégingandé, vaurien". Le marmot, quant à lui, serait apparenté à un petit singe, le marmouset – sorte de ouistiti - de même étymologie. On trouve la même origine dans les verbes marmotter et marmonner en raison des mouvements continuels que les singes, mais aussi les marmottes, font avec leurs babines. À moins que, autre hypothèse, on ait affaire ici à un dérivé de mermer, marmer "raccourcir", du latin minimare,  en raison du museau aplati et comme raccourci du singe et de la marmotte.

Le chenapan, lui, nous vient de l'allemand Schnapphahn, "voleur de grand chemin", le verbe schnappen signifiant "attraper", "s'emparer vivement de quelque chose". Quant au garnement, il partage son étymologie avec le verbe garnir. Un garnement désignait à l'origine l'équipement d'un soldat, et, par métonymie, un homme armé, puis un vaurien. Le terme anglais garment désigne toujours un vêtement. Le polisson est à l'origine celui qui polit (dans le sens de nettoyer, laver), c'est-à-dire qui "écoule la marchandise qu'il a volé". On retrouve la même idée dans le concept de blanchiment (d'argent sale). Le polisson était le gueux, le vagabond qui revendait les vêtements qu'il avait mendiés. Par extension, le terme a fini par désigner un petit garçon un peu fripon et espiègle. La fripouille – qui n'est d'ailleurs pas forcément un enfant – est apparentée au fripon et à la fripe. À l'origine, c'est un bon à rien (comme une fripe, un haillon qui ne vaut pas grand-chose) ; aujourd'hui c'est une personne dénuée de scrupules.

Avec la canaille, nous retrouvons l'univers des chiens, puisque le terme italien canaglia désigne une troupe de chiens (du latin canis "le chien"). La canaille (qui existait en ancien français sous la forme de chienaille ou chenaille) désignait de manière péjorative le "bas peuple" ; ce sens a fini par évoluer et il n'y a rien d'offensant à traiter aujourd'hui un enfant de petite canaille. Dans le sud de la France les enfants sont souvent qualifiés de drôles : le terme nous renvoie sans doute au moyen néerlandais drolle, drol "lutin, petit bonhomme". Un lien avec le troll scandinave (lutin) n'est pas à exclure, mais n'est pas avéré.

Si, comme nous le faisions remarquer en introduction, l'enfant est celui "qui ne parle pas", il fait en revanche abondamment parler de lui comme en témoigne l'excellent Robert historique de la langue française (publié sous la direction d'Alain Rey) dont ce billet – et plus généralement ce blog – se nourrit régulièrement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire