jeudi 16 novembre 2017

Touchez pas au grisbi !

Le titre de ce billet est celui d'un film de Jacques Becker sorti en 1954, adapté du roman éponyme d'Albert Simonin. Grisbi, voilà l'un des innombrables termes d'argot utilisés pour désigner l'argent : fric, flouze, oseille, blé, pépettes, fraîche, thune, pognon, galette, picaillons, artiche, rond ou radis (dans l'expression je n'ai plus un rond ou plus un radis). Une personne désargentée dira qu'elle est fauchée (comme les blés).

Là où la chose est devenue problématique lors du passage à l'euro, c'est avec les termes d'argot utilisés pour quantifier une somme d'argent : balle (1 franc), sac (10 francs), brique, patate, plaque (10.000 francs pour ces 3 derniers termes). Il semble que seul le terme balle ait survécu au passage à l'euro (avec une parité de 1 pour 1) et on peut entendre une phrase telle que "quand le paquet de clopes sera à 10 balles, j'arrêterai de fumer (ou pas)". Le franc appartiendra réellement au passé lorsque les différentes dénominations en euros seront passées à l'argot.

Si ceux qui aiment recevoir de l'argent sont très nombreux, on ne peut en dire autant de ceux qui le dépensent volontiers. L'avarice ou, tout au moins, la réticence à payer ce que l'on doit, se retrouvent aussi dans notre langue avec des expressions très pittoresques, comme par exemple avoir des oursins dans les poches ou dans le porte-monnaie. Cette expression se passe d'explication, tant on imagine aisément l'expérience douloureuse que représente l'extraction de quelque pièce ou billet d'une poche peuplée d'oursins ! Si votre débiteur se trouve dans cette disposition d'esprit, il y a de fortes chances qu'il vous paye au lance-pierres : le lance-pierres étant un instrument à la précision très relative et manquant souvent sa cible, attendez-vous à ne recevoir qu'une partie de l'argent qui vous est dû.

Et connaissez-vous le fesse-mathieu ? Voilà encore une façon de désigner un avare. L'étymologie est ici singulière : fesser signifiait au 15ème siècle "battre avec des verges" (pas forcément la partie postérieure souvent charnue de l'anatomie) ; et mathieu renvoie à Saint-Mathieu, l'un des quatre évangélistes qui fut prêteur avant de se convertir. Au 16ème siècle mathieu désigne ainsi un créancier. D'où l'expression fesser Saint-Mathieu qui signifierait "pratiquer l'usure" car, nous dit Alain Rey, celui qui fesse Saint-Mathieu serait un individu qui, pratiquant indignement son premier métier, mettrait à mal la réputation de l'apôtre. Le fesse-mathieu, après avoir désigné un usurier, qualifie ainsi de nos jours une personne avare. Si cette explication capillotractée ne vous convainc pas, ce n'est pas moi qui vous jetterai la première pierre (pour rester dans la métaphore biblique).

Peut-être vous est-il arrivé d'avoir maille à partir avec un débiteur ou un créancier, ou toute autre personne d'ailleurs ? La maille ici n'a rien à voir avec un tricot ou un filet de pêche. Il s'agit d'une monnaie valant la moitié du denier, lui-même égal au douzième du sou qui équivaut au vingtième de la livre. La maille représente donc une somme très faible et c'est aussi la plus petite pièce en circulation au Moyen-âge. Quant au verbe partir, il provient de départir qui signifiait partager. Ainsi donc, lorsque deux personnes voulaient se partager une somme aussi faible – une maille -, qui plus est l'unité monétaire la plus petite de l'époque, on aboutissait inéluctablement à une querelle car il n'est pas possible de diviser l'indivisible.

Alors, me direz-vous, tout cela n'est pas bien grave puisque l'argent n'a pas d'odeur. Le parfum d'un billet fraichement imprimé n'est pourtant pas désagréable ! Au 1er siècle de notre ère, l'empereur romain Vespasien institua diverses taxes pour renflouer les caisses de l'Empire mises à mal sous le règne de Néron. L'une de ces taxes frappait les urines que l'on collectait pour les teinturiers (les urines étant utilisées pour dégraisser les peaux). Les contribuables romains ne se privèrent pas de brocarder cette "taxe-pipi". Quand Titus, le fils de Vespasien, lui relata ces moqueries, Vespasien lui mit une pièce de monnaie sous le nez et lui dit "non olet", c'est-à-dire "cela n'a pas d'odeur". Autrement dit, peu importe la provenance de l'argent, pourvu qu'il remplisse les caisses. Pour la petite histoire, c'est en mémoire de Vespasien et de sa taxe sur les urines qu'on appela au 19ème siècle vespasiennes les urinoirs publics.

L'argent ne fait pas le bonheur, dit-on ; il fait en tout cas celui du blogueur en lui livrant un passionnant sujet de réflexion.

2 commentaires:

  1. Merci, Francine. J'espère que tu en as pour ton argent ;-)

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  2. Mais bien sûr, Edgar! A propos de billets, as-tu vu nos nouveaux billets, qui se plient difficilement et ont encore plus tendance à sortir du porte-monnaie? http://bfmbusiness.bfmtv.com/monde/pourquoi-le-nouveau-billet-de-5-livres-est-historique-1036383.html

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