jeudi 26 décembre 2024

Cette leçon vaut bien un fromage sans doute

 

Il y a quelque temps, nous évoquions la tartiflette, spécialité savoyarde à base de reblochon et de pommes de terre. « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? » : cette citation, souvent attribuée au Général de Gaulle, mais peut-être apocryphe, illustre en tout cas la grande diversité fromagère de notre beau pays. Et c’est à cette excellente spécialité culinaire que nous allons nous intéresser aujourd’hui, et plus particulièrement au reblochon.

Si la plupart des fromages tirent leur nom de l’aire géographique de leur production – camembert, brie, coulommiers, munster, emmenthal, gruyère, comté, chavignol, chaource etc. – on rencontre toutefois quelques exceptions, comme par exemple le brillat-savarin, ainsi nommé en hommage au magistrat et célèbre gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) ou encore justement le reblochon.

Aucun toponyme ne porte en effet le nom de reblochon et l’étymologie de cette appellation est fort amusante. Ce fromage au lait de vache, qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 1958 et d’une appellation d’origine protégée (AOP) depuis 1996 est produit principalement en Haute-Savoie et dans quelques communes de Savoie. L’appellation trouve son origine dans le massif des Bornes et des Aravis, principalement la vallée de Thônes.

Le terme reblochon vient du verbe savoyard re-blocher qui signifie « pincer à nouveau (le pis de la vache) », c.-à-d. « traire une nouvelle fois ». Mais que vient donc faire ici cette histoire de double traite ? Au moyen-âge, les propriétaires des terres possédaient un droit d’auciège (ou ociège) sur les paysans qui exploitaient les alpages. Il s’agit d’une redevance annuelle en nature, perçue par les propriétaires et calculée sur la base du nombre de pots de lait produits en un jour par le cheptel. Lors du contrôle, le fermier procédait délibérément à une traite partielle afin de minimiser l’impôt à payer. Une fois le contrôleur parti, le paysan procédait à une seconde traite, qui n’était sans doute pas très abondante mais avait l’avantage de fournir un lait très riche en crème, parfait pour produire un fromage. Et c’est ainsi que cette petite fraude, appelée la rebloche (ou reblasse) a donné son nom à l’excellent reblochon.

La morale de cette histoire : fraude, il y a en effet, mais on ne va quand même pas en faire tout un fromage… eh bien si justement !

dimanche 26 mai 2024

L'affaire est dans le sac !

 

L’affaire est dans le sac ! Mais de quelle affaire s’agit-il donc ? Et de quel sac ? C’est l’univers de la justice qui nous a légué cette expression, et beaucoup d’autres. Sous l’Ancien Régime, toutes les pièces d’un dossier judiciaire étaient conservées dans un sac de toile, appelé sac à procès. On disait « l’affaire est dans le sac » lorsque toutes les pièces nécessaires à la tenue du procès étaient réunies dans ce fameux sac, alors scellé. Pour l’audience, l’avocat ou le procureur qui voulait produire des pièces à l’appui de sa plaidoirie, les extrayait dudit sac : il vidait son sac ! Lorsque l’avocat ou le procureur se montrait particulièrement rusé, pour ne pas dire retors, on disait de lui qu’il avait plus d’un tour dans son sac.

Dans l’attente du procès ou une fois celui-ci terminé, le sac à procès était fixé au mur par un crochet, plutôt que posé au sol afin d’éviter que des rats ou autres rongeurs n’en fassent leur ordinaire. On disait donc, dans l’attente du procès, que l’affaire était pendante.

Le sort des justiciables sous l’Ancien Régime n’était pas des plus enviables. Avant que le coupable ne soit cloué au pilori – poteau auquel le condamné était attaché pour l’exposer à la foule qui le conspuait -, il était bien sûr soumis à un interrogatoire serré : il était mis sur la sellette, un petit tabouret aussi bas qu’inconfortable destiné à placer le présumé coupable dans une situation d’infériorité.

Le condamné qui échappait au pilori pouvait se voir contraint à faire amende honorable ; l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert la définit ainsi :
« L’amende honorable est une sorte de punition infamante, usitée particulièrement en France contre les criminels de lèse-Majesté divine ou humaine, ou autres coupables de crimes scandaleux.
On remet le coupable entre les mains du bourreau, qui le dépouille de ses habits et ne lui laisse que la chemise, après quoi il lui passe une corde au cou, lui met une torche de cire dans la main, et le conduit dans un auditoire ou devant une église, où il lui fait demander pardon à Dieu, au Roi & à Justice. Quelquefois la punition se termine là, mais le plus souvent ce n'est que le prélude du Supplice capital ou des galères. »
J’invite tous ceux qui ont coutume de dire que tout « était mieux avant » à faire amende honorable !

Et pour conclure, à toutes fins (in)utiles, un petit rappel terminologique : juridique concerne ce qui se rapporte au droit, judiciaire ce qui se rapporte à la justice. Quant à juridiction, ce terme fait référence à l’action et à la compétence des tribunaux. On reste perplexe face à la dénomination – assez pléonastique -  de « tribunal judiciaire », juridiction qui est issue de la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance. Que serait donc un tribunal qui ne serait pas judiciaire ?