jeudi 13 février 2020

Mon petit doigt m'a dit...

Pour commencer ce billet consacré aux cinq prolongements qui terminent la main, nous allons très rapidement passer sur l'expression se mettre le doigt dans l'œil, qui signifie "se tromper grossièrement" : en effet, en argot, l'œil désigne un orifice postérieur situé en-dessous de la ceinture et le doigt représente, par analogie de forme, un appendice masculin qui n'a rien de digital. On comprend ainsi que quelqu'un qui réussit à se mettre le doigt dans l'œil ne peut que s'être lourdement trompé.

Doigt nous vient du latin "digitus" qui pourrait être apparenté à "dicere" (dire), le doigt étant ce par quoi on montre ou on désigne. Voilà peut-être pourquoi les Latins sont si enclins à parler avec les mains !

Plutôt que de se mettre le doigt dans l'œil, il est nettement préférable de réussir ce que l'on entreprend les doigts dans le nez : cette expression, qui date du début du 20e siècle, nous viendrait des courses hippiques : "le jockey est arrivé premier les doigts dans le nez" ; cette image véhicule une idée de grande facilité. Tel un enfant insouciant, le jockey, au lieu de se préoccuper de la course, n'a rien trouvé de mieux que de se mettre les doigts dans le nez sans que cela compromette sa victoire.

Quant au titre de cette chronique, mon petit doigt m'a dit, l'expression sous-entend que l'on sait quelque chose sans pour autant vouloir révéler d'où on le sait. Certains ont imaginé que doigt était une déformation de "dé", raccourci de Dieu et que la source d'une information ne pouvait être que divine. C'est peu probable et si c'est mon petit doigt qui me l'a dit, c'est tout simplement que les autres doigts sont trop gros pour s'insinuer dans le conduit auditif.

Quiconque maîtrise parfaitement son sujet, le connaît sur le bout des doigts : en effet, au bout du doigt, se trouve l'ongle qui permettait à l'ouvrier ou au sculpteur de s'assurer que la surface travaillée était parfaitement lisse ; c'est l'idée véhiculée par l'expression latine "ad unguem" qui signifie "avec le plus grand soin", "sans aucune imperfection". Comme nous l'avons vu au paragraphe précédent, le doigt est omniscient et cette connaissance (ou ce savoir) sur le bout des doigts renvoie peut-être aussi à notre apprentissage de la lecture où le doigt suivait méticuleusement la ligne qu'on était en train de déchiffrer.

Celles et ceux qui ont fréquenté les rangs de l'armée savent que, lorsqu'on se met au garde-à-vous, on doit avoir le (petit) doigt sur la couture du pantalon. Par extension cette expression traduit le respect qu'on doit témoigner à ses supérieurs, pour ne pas dire l'obéissance, voire la servilité. Un tel reproche est souvent adressé aux élus membres d'un parti politique où règne le caporalisme. "Les députés godillots étaient tous là, le doigt sur la couture du pantalon".

Nous avons tous en mémoire cette scène du film "Les temps modernes" où le pauvre Charlot est happé par une gigantesque machine faite de rouages. Voilà ce qui menace quelqu'un qui met le doigt dans l'engrenage : en effet, à moins de laisser arracher le doigt, c'est le corps tout entier qui est entraîné. Il est donc vivement recommandé d'anticiper toutes les conséquences avant de s'engager dans une entreprise. Mais évitons de prendre nos décisions au doigt mouillé : si une direction approximative du vent est suffisante pour naviguer sur une petite mare, les grands choix qui déterminent l'avenir ne doivent, eux, pas se faire au doigt mouillé.

Qui dit doigt, dit digital. Si les empreintes digitales se rapportent bien à nos dix doigts, une montre à affichage digital, nous renvoie à un anglicisme dérivé du mot digit qui signifie "chiffre" (eh oui, quand on apprend à compter, on utilise ses doigts !). Si l'Académie française recommande d'utiliser l'adjectif "numérique" plutôt que digital, ce dernier et ses dérivés sont en train de s'enraciner dans notre langue (sachant qu'on part toujours de la même racine latine digitus). Curieusement, le Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert) nous apprend que le substantif digitalisation est une création française apparue vers 1970 : à cette époque, le terme de digitalization existait dans les dictionnaires anglais, mais seulement dans son acception médicale "administration de digitaline" (la digitaline est un glucoside extrait des feuilles de la digitale pourprée utilisé en cardiologie). De nos jours, toutes les grandes organisations sont engagées dans une stratégie de digitalisation et il paraît bien improbable qu'elles consentent à remplacer ce terme par "transition (ou transformation) numérique".

J'espère que ce billet vous aura plu et que vous ne voudrez pas le mettre à l'index : en tout cas, je croise les doigts !

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