samedi 1 février 2020

Cuisine au beurre


En ce funeste jour de Brexit, combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que, si les négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni avaient tant duré, c'est parce que les Britanniques voulaient conserver les avantages de leur appartenance à l'UE tout en la quittant : autrement dit, ils voulaient le beurre et l'argent du beurre, ce qui n'est tout de même pas très moral. Soit dit en passant, dans la langue de Shakespeare le beurre devient gâteau, puisque l'expression équivalente est have your cake and eat it.

La valeur du beurre a varié au fil des siècles. A l'origine, le beurre constitue une réelle valeur ajoutée : ne met-on pas du beurre dans les épinards pour améliorer l'ordinaire ? Et celui qui fait son beurre gagne beaucoup d'argent. Pour nos amis Wallons, avoir le cul dans le beurre correspond à une situation d'aisance, voire de richesse. Et puis l'assiette au beurre, autrement dit la plus richement garnie, était servie par la maîtresse de maison aux convives les plus influents, qu'on voulait particulièrement choyer en contrepartie de quelque faveur. L'assiette au beurre traduit une situation source de profits ou de faveurs plus ou moins licites. La même métaphore hautement lipidique se retrouve dans l'expression graisser la patte de quelqu'un. Mais attention à ne pas promettre plus de beurre que de pain, c.-à-d. faire une promesse qu'on ne peut pas tenir. Depuis le XIXe siècle, on rencontre l'expression compter pour du beurre – autrement dit être sans valeur, sans intérêt – avec cette fois-ci le beurre qui devient une matière sans aucune valeur. Un Larousse du XIXe nous apprend que l'expression vendre du beurre voulait dire "être ignoré, délaissé dans la société" ; à cette époque, les jeunes filles qui vendaient du beurre dans les bals étaient celles qui faisaient tapisserie. Cette acception dévalorisante et péjorative du beurre est sans doute imputable à sa mollesse et à sa fusibilité.

Nul ne sait qui a inventé le fil à couper le beurre ; en revanche nous connaissons tous d'innombrables individus qui ne l'ont pas inventé (pas plus que l'eau chaude, l'eau tiède ou la poudre). Incontestablement, il est plus facile de couper une motte de beurre avec un fil, que, par exemple, avec le tranchant de la main ou une tong ! Et quand une opération s'exécute avec une grande facilité, ne dit-on pas que tout se déroule comme dans du beurre ? Le beurre, quand il n'est pas réfrigéré, n'oppose guère de résistance. Exposé à la chaleur, il finit par fondre et par disparaître ; voilà pourquoi, lorsqu'une chose est hautement improbable, on n'a pas plus de chance de la voir que du beurre en broche (embrochez donc une plaquette de beurre au-dessus de votre barbecue, et vous verrez !).

Si le beurre est à consommer avec modération – attention au cholestérol ! -, il en va de même pour les boissons alcoolisées. Celui qui en abuse va rapidement être beurré : beurré est ici une paronymie de bourré, autrement dit "rempli à ras bord" d'alcool. Et lorsqu'on est beurré comme un petit LU, c'est par référence aux célèbres petits beurres LU (Lefèvre Utile). Mais attention : l'abus d'alcool peut rendre agressif et vous entraîner dans une bagarre d'où on ressortira avec un œil au beurre noir. A l'origine, l'expression était  avoir un œil poché au beurre noir, l'hématome autour de l'œil évoquant la sauce au beurre noir dans laquelle on fait pocher un œuf : l'œil correspond au jaune d'œuf et le blanc, coloré par le beurre noir, représente l'hématome.

Nous conclurons avec une expression de l'argot policier : beurrer le marmot, qui  signifiait à l'origine "consoler" (un enfant) ; il s'agit, pour les "keufs" d'obtenir les aveux d'un présumé coupable par des moyens peu orthodoxes et qui n'ont, bien sûr, plus cours aujourd'hui. Si une lectrice ou un lecteur du présent billet en sait davantage sur la genèse de cette expression, nous lui saurions gré de nous faire profiter de ses connaissances.

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