On pourrait
certainement consacrer un livre entier à la place des chiffres dans la langue.
Nous nous limiterons à quelques exemples particuliers. Là où, hier, nous
demandions son numéro de téléphone à une personne, les jeunes d'aujourd'hui
disent simplement : tu me donnes ton 06.
Même si, en France, les numéros de téléphone mobile (ou cellulaire comme on dit
au Québec) peuvent également commencer par le préfixe 07, c'est le 06 qui
domine largement la scène. Cette expression, légèrement familière, ne se
rencontre pas seulement dans le 9-3 (se prononce "neuf-trois"),
voire le 93 (prononcer
"neuf cube"). C'est souvent ainsi qu'on qualifie le département de la
Seine-Saint-Denis qui porte le numéro 93. Aucun autre département ne bénéficie
d'un traitement semblable. Petite digression non-linguistique à ce sujet :
lorsque que les nouvelles plaques minéralogiques ne mentionnant plus le numéro
du département ont été introduites de France, la nostalgie de ce dernier a été
telle que quasiment tous les automobilistes ont fait usage de la possibilité
qui leur était offerte de faire figurer le numéro de département (avec le logo
de la Région) à droite de l'immatriculation.
Pour indiquer à un
interlocuteur qu'on l'entend, ou plus précisément, qu'on le comprend
parfaitement, il n'est pas rare de lui dire "je vous reçois 5 sur 5" : cette expression nous vient des
communications radiotéléphoniques aéronautiques ou maritimes ; lors de l'établissement
de la communication, on note, sur une échelle de 1 à 5, la qualité de
cette dernière. Cette locution s'est imposée dans le langage courant, mais
uniquement pour confirmer qu'on a parfaitement compris son interlocuteur ; dans
le cas contraire, on ne lui dira pas "je
vous ai reçu 2 sur 5", mais on lui demandera simplement de réexpliquer
son propos.
Le nombre 36 se rencontre dans deux expressions qui
n'ont rien à voir l'une avec l'autre : voir
36 chandelles et être au 36ème
dessous. La première renvoie à l'étourdissement causé par un choc violent, ce
choc pouvant être physique ou psychologique. La sensation d'éblouissement qui
s'en suit est sans doute à l'origine de la métaphore des chandelles. Mais
pourquoi 36 ? Quant au 36ème dessous, c'est là qu'on
se retrouve lorsqu'on se sent très déprimé, piteux, en situation d'échec. L'expression
nous viendrait du théâtre où les dessous
désignent les niveaux situés sous la scène ; c'est là qu'on entrepose les
accessoires et que s'activent les machinistes. Quand la pièce est vraiment
mauvaise et abondamment sifflée, les acteurs ne voient pas d'autre issue que de
se réfugier dans les dessous. A
l'origine, on parlait du 3ème
dessous (l'Opéra Garnier à Paris compte ainsi trois niveaux inférieurs). Comme
la langue aime bien exagérer, le 3ème
dessous est devenu le 14ème dessous (disparu de nos
jours même si on le trouve chez Proust) et finalement le 36ème dessous. Difficile de tomber plus bas !
Quand on se pare de
ses plus beaux habits, on se met, dit-on, sur
son 31. Voilà une expression à l'origine bien mystérieuse. Jusqu'au 15ème
siècle, on connaissait le trentain,
un tissu de qualité supérieure, mais l'expression se mettre sur son 31 date, elle, du 19ème. Autre
hypothèse : l'existence de la "tenue de combat T31" revêtue par les
militaires lors des prises d'armes. Mais le nom (T31) de cette tenue ne
vient-il pas justement de l'expression sur
son 31 ? Je vous livre mon hypothèse personnelle : une référence à la
soirée du 31 (décembre) où chacun s'efforce
d'être tiré à 4 épingles. Si l'on
veut présenter un carré de tissu sous son meilleur jour, c'est en le fixant au
moyen de 4 épingles (aux 4 coins), qu'on lui donnera le plus bel
aspect. Par extension, cette expression qualifie une tenue vestimentaire particulièrement
nette et bien en place.
Un mouton à 5 pattes (c'est également le
titre d'un film d'Henri Verneuil sorti en 1954) désigne quelque chose de
hors-norme, d'exceptionnel. Le patron qui cherche à recruter un mouton à 5 pattes, a bien peu de chances
de trouver un candidat répondant à des exigences aussi particulières. A
l'inverse, quelqu'un ou quelque chose qui ne
casse pas 3 pattes à un canard, est d'une très grande banalité. L'extrême
rareté dans l'univers des canards à 3
pattes, rendrait tout à fait exceptionnelle une personne qui réussirait cet
exploit consistant à casser 3 pattes à un
canard. Le verbe casser prend ici
le sens d'"avoir un effet retentissant, spectaculaire" (comme dans ça ne casse pas des ruines, ça ne casse pas des briques, ou, plus
simplement, ça ne casse rien).
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