jeudi 6 janvier 2022

Merde alors !


 "C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Mais les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout". Cette déclaration du Président de la République (interview dans Le Parisien du 4 janvier 2022) aura fait couler beaucoup d'encre. Nombreux sont ceux qui reprochent au Chef de l'État de faire usage d'un langage familier, voire vulgaire. Et pourtant, merde est sans doute le "gros mot" le plus employé par les francophones.

Du latin "merda" (fiente, excrément), merde est utilisé comme interjection pour exprimer toute une kyrielle de sentiments négatifs : indignation, colère, refus, impatience, mépris etc. Pour éviter l'écueil de la vulgarité, on remplace parfois merde par mince, mercredi, miel (cf. mouche à miel), le mot de cinq lettres, le mot de Cambronne (par allusion à une réplique du général de Napoléon aux Anglais qui le sommaient de se rendre).

Qui n'a jamais dit merde ! à quelqu'un pour l'encourager avant un examen ou un entretien d'embauche par exemple ? Cette expression viendrait du théâtre : plutôt que de souhaiter "bonne chance" – formule qui porte malheur – à un acteur ou un membre de la production on lui dit merde ! A l'époque où les spectateurs se faisaient déposer au théâtre en calèche, le volume de crottin produit par les chevaux était bien sûr proportionnel au nombre de spectateurs. En disant merde ! aux artistes, on leur souhaitait beaucoup de crottin, autrement dit beaucoup de spectateurs.

Merde a donné lieu à toute une série de dérivés, qui relèvent du même registre familier ou vulgaire. Qui n'a pas croisé un jour le chemin d'un petit merdeux ? Merdeux, à ne pas confondre avec merdique qui désigne quelque chose de très mauvais, de raté, de nul. C'est la même idée qu'on retrouve dans le verbe merder et ses variantes merdoyer et merdouiller.

Quant au verbe emmerder, à l'origine de ce billet, on lui connaît plusieurs acceptions. À l'origine, cela veut dire concrètement "salir de merde" ; au sens figuré actuel cela signifie ennuyer quelqu'un, l'enquiquiner, l'embêter, en un mot et pour rester dans la métaphore scatologique "le faire chier" (registre beaucoup plus vulgaire). Dans un sens un peu différent, l'expression "je t'emmerde !" ou  "je vous emmerde !" traduit la volonté de mettre fin à toute discussion, d'opposer une fin de non-recevoir, d'ignorer purement et simplement la position de son interlocuteur. On pourrait ainsi imaginer qu'un non-vacciné ainsi interpellé par le Président de la République dans son entretien lui réponde "je vous emmerde !"

Et bien sûr, l'existence de tout un chacun apporte son lot d'emmerdements ou d'emmerdes comme le chantait Charles Aznavour dans la chanson intitulée "Mes emmerdes". Lorsqu'on se retrouve dans la merde ou qu'on est victime d'emmerdements, il faut chercher à s'en sortir, autrement dit se démerder pour retrouver meilleure fortune.

Pour conclure ce premier billet de l'année 2022, j'adresse à tous les fidèles lecteurs de ce blog mes vœux les plus chaleureux pour une année nouvelle qui ne soit pas trop… merdique !

2 commentaires:

  1. Très intéressant, comme toujours. Comme disait le professeur qui m'enseignait, il y a bien longtemps, les jurons et expressions vulgaires, en espagnol "il faut les connaître et les comprendre mais pas nécessairement les utiliser". Bonne année, cher Edgar!

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    1. Exactement. C'est le même conseil que j'ai toujours dispensé à mes étudiants.

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