La
langue ne manque pas d'imagination lorsqu'il s'agit de parler des enfants : gosse, gamin, môme, mouflet, marmot, moutard, chenapan, garnement,
polisson, canaille, fripouille, drôle, j'en passe et des meilleures.
Commençons
par le mot enfant (terme épicène
puisque aussi bien masculin que féminin), qui nous vient du latin infans signifiant "qui ne parle
pas" : le préfixe négatif in est
suivi de fans, participe présent de fari "parler" rattaché à une
racine indoeuropéenne voulant dire à la fois "éclairer" (ce qui nous
a donné phénomène) et
"parler" (qu'on retrouve dans aphasie,
emphase ou fable). Si l'enfant ne
parle pas, il produit cependant des sons peu articulés tels que mom, un radical expressif qui aurait
donné môme. Ce terme n'est pas très
sympathique, sauf, bien sûr, lorsque Léo Ferré chante Jolie Môme !
L'origine
de gosse est assez obscure : peut-être
du provençal gous "chien"
et ses variantes gousse, gousset, goussoun pour "petit
chien". Il y a quelque chose de condescendant dans gosse et l'on ne pourrait que se réjouir de voir disparaître
l'emploi ce terme de la langue française. Et attention : en français canadien,
les gosses désignent les testicules,
non pas parce que ces organes sont sollicités lors de la fabrication des
enfants, mais par analogie de forme avec une gousse (d'ail par exemple). Parmi les expressions péjoratives pour
désigner les enfants, on citera également mouflet
et moutard. L'étymologie de mouflet (féminin mouflette) renvoie à l'allemand
Muffel "museau" et désigne quelque chose de rebondi, de joufflu. On
retrouve la même origine dans les mots mufle
et moufle. Quant à la vilaine
appellation moutard, son origine est
également incertaine : peut-être moulte
ou mote qui désigne en franc-comtois
et franco-provençal une "chèvre sans cornes", ces dernières étant les
plus jeunes (au 17e siècle dans le Dauphiné un mottet désignait un petit garçon ou un jeune homme). Moutard n'est pas employé au féminin en
raison de l'homonymie avec moutarde,
qui vient de moût.
Le
gamin et la gamine sont également caractérisés par un flou étymologique. L'Encyclopédie (18e siècle) désigne par ce
mot le jeune aide du verrier (dans l'article consacré à la verrerie). L'origine
est peut-être à chercher dans l'alémanique gammel
qui signifie à la fois "joie bruyante" et "jeune homme
dégingandé, vaurien". Le marmot,
quant à lui, serait apparenté à un petit singe, le marmouset – sorte de ouistiti - de même étymologie. On trouve la même
origine dans les verbes marmotter et marmonner en raison des mouvements
continuels que les singes, mais aussi les marmottes,
font avec leurs babines. À moins que, autre hypothèse, on ait affaire ici à un dérivé de mermer, marmer "raccourcir", du latin minimare, en raison du museau aplati et comme raccourci
du singe et de la marmotte.
Le
chenapan, lui, nous vient de
l'allemand Schnapphahn, "voleur
de grand chemin", le verbe schnappen
signifiant "attraper", "s'emparer vivement de quelque
chose". Quant au garnement, il
partage son étymologie avec le verbe garnir.
Un garnement désignait à l'origine
l'équipement d'un soldat, et, par métonymie, un homme armé, puis un vaurien. Le
terme anglais garment désigne toujours
un vêtement. Le polisson est à
l'origine celui qui polit (dans le
sens de nettoyer, laver), c'est-à-dire qui "écoule la marchandise qu'il a
volé". On retrouve la même idée dans le concept de blanchiment (d'argent sale). Le polisson
était le gueux, le vagabond qui revendait les vêtements qu'il avait mendiés. Par
extension, le terme a fini par désigner un petit garçon un peu fripon et espiègle. La fripouille – qui n'est d'ailleurs pas
forcément un enfant – est apparentée au fripon
et à la fripe. À l'origine, c'est un
bon à rien (comme une fripe, un haillon qui ne vaut pas grand-chose) ;
aujourd'hui c'est une personne dénuée de scrupules.
Avec
la canaille, nous retrouvons
l'univers des chiens, puisque le terme italien canaglia désigne une troupe de chiens (du latin canis "le chien"). La canaille (qui existait en ancien
français sous la forme de chienaille
ou chenaille) désignait de manière
péjorative le "bas peuple" ; ce sens a fini par évoluer et il n'y a
rien d'offensant à traiter aujourd'hui un enfant de petite canaille. Dans le sud de la France les enfants sont souvent
qualifiés de drôles : le terme nous
renvoie sans doute au moyen néerlandais drolle,
drol "lutin, petit
bonhomme". Un lien avec le troll
scandinave (lutin) n'est pas à exclure, mais n'est pas avéré.
Si, comme nous le faisions remarquer en introduction, l'enfant est celui "qui ne parle pas", il fait en revanche abondamment parler de lui comme en témoigne l'excellent Robert historique de la langue française (publié sous la direction d'Alain Rey) dont ce billet – et plus généralement ce blog – se nourrit régulièrement.