Quoi de
plus intéressant, pour démontrer l'évolution d'une langue, que de se plonger
dans d'anciens dictionnaires. J'ai la chance d'avoir dans ma bibliothèque le Dictionnaire de l'Académie française de 1835
ainsi qu'un Nouveau dictionnaire illustré
Larousse de 1890, l'ancêtre du Petit
Larousse que nous connaissons tous.
A l'heure
où le débat sur le racisme resurgit dans nos sociétés, je me suis d'abord
intéressé à la définition du mot nègre.
Le Dictionnaire de l'Académie le
définit ainsi :
"Nom
qu'on donne en général à la race des noirs, et spécialement aux habitants de
certaines contrées de l'Afrique. La
traite des noirs est abolie.
Il se dit, particulièrement, des esclaves noirs employés aux travaux des
colonies. Il a cent nègres dans son
habitation.
Fam. Traiter quelqu'un comme un nègre,
le traiter avec beaucoup de dureté et de mépris.
Fam. Faire travailler quelqu'un comme un
nègre, exiger de lui un travail pénible, le faire travailler sans relâche."
Cinquante-cinq
ans plus tard, le Larousse nous dit
ceci :
"Homme,
femme à peau noire. C'est le nom donné spécialement aux habitants de certaines
contrées de l'Afrique, de la Guinée, de la Sénégambie, de la Cafrerie etc., qui
forment une race d'hommes noirs, inférieure en intelligence à la race blanche,
dite race caucasienne. La coloration
de la peau pourrait être due, chez les nègres, à l'influence du climat. C'est
une modification acquise qui devient transmissible et héréditaire ; mais il est
généralement reconnu qu'une famille nègre, transplantée dans nos climats, arriverait
à la couleur blanche après quelques générations, et sans mélange de races."
Cette
dernière définition, qui ne date que d'il y a 130 ans, est littéralement
stupéfiante et jette un éclairage historique particulier sur l'état d'esprit de
la société à la fin du XIXe siècle.
Restons
chez Larousse et regardons les
entrées homme et femme. Le terme homme est suivi d'une définition de 25
lignes que je ne reproduirai pas ici avec de nombreux exemples tels que homme de qualité, homme de loi, homme de
lettres, homme de bien, homme d'armes etc. La femme, elle, n'a droit qu'à 6 malheureuses
lignes, que voici :
"La
compagne de l'homme ; celle qui est ou a été mariée. Femme de chambre, femme attachée au service intérieur d'une
personne de son sexe. Femme de charge,
celle qui a soin du linge, de l'argenterie etc., d'une maison."
Et c'est
tout ! Là encore, cela laisse sans voix. Le Dictionnaire
de l'Académie est beaucoup plus disert ; si la définition commence par
"La femelle, la compagne de l'homme", il nous donne tout de même des
exemples plus variés, tels que : une
femme auteur, une femme peintre, une femme auteur, une femme poète… Mais on
y trouve aussi des proverbes tels que "Ce
que femme veut, Dieu le veut" ou encore – formule nettement plus
sexiste – "Maison faite, et femme à
faire : il faut acheter une maison toute bâtie, et épouser une jeune femme
qu'on puisse accoutumer à sa manière de vivre." Qu'en pensent les
féministes ?
Ces deux
exemples montrent à quel point la langue évolue avec la société. Dans un
prochain billet, nous nous intéresserons à quelques termes en rapport avec le sexe.
Si le Larousse fait l'impasse sur la
plupart d'entre eux – c'est un dictionnaire qui figure sur "la liste des
ouvrages fournis gratuitement par la Ville de Paris à ses Écoles
communales" – on les trouve bien dans le Dictionnaire de l'Académie, qui propose néanmoins des définitions
très "politiquement correctes" qui manquent pas de faire sourire le
lecteur et la lectrice du XXIe siècle.
Je vous dis donc à bientôt !